Welcome to New York .2 – Lucie Fargère-Carles

Après avoir été accueillis comme des V.I.P. Lucille et Jordan s’installent dans la confortable suite qui leur a été réservée au Washington Square Hôtel. Avant même de l’avoir sollicité, la direction s’est empressée de leur faire parvenir des rafraîchissements dès leur arrivée dans la chambre. Lucille aime se retrouver dans cet établissement discret que l’on peut qualifier de haut de gamme pour son passé glorieux tout autant que pour son style art déco.

Elle apprécie à chaque fois les petites intentions qui lui sont réservées comme des fleurs fraiches dans la chambre et la salle de bain et les journaux du jour. Mais c’est surtout le charme du quartier de Greenwich où il est situé qui l’attire le plus, ce fameux quartier connu du monde entier que les New-yorkais appellent si joliment « Le village ». D’ailleurs ce n’est pas un hasard s’il est devenu le décor favori des films de Woody Allen, dont les comédies légères se déroulent avec exubérance le long de ses rues bordées d’arbres, dans ses maisons en grès rouge et leur charmant perron ou dans ses clubs de jazz. Il faut dire que grâce à la fréquentation de nombreux artistes, écrivains, peintres ou musiciens il a conservé cette ambiance un peu bohème et anti-conformiste qui le rend si attachant. Lucille aime prendre le temps de flâner dans ses petites boutiques ou se reposer sur une de ses terrasses intimistes, à la fois si proches et si lointaines du brouhaha et de l’effervescence de la 5ème avenue.

Jordan a déjà enlevé sa chemise et affalé torse nu sur le canapé il pianote déjà sur son iPhone pour joindre Cheryl et Tom. Ce n’est pas si souvent qu’ils ont l’occasion de retrouver leurs amis bostoniens. Lucille a juste le temps de se rafraîchir et de changer de tenue avant d’aller rejoindre Lynn qui a déjà organisé une rencontre avec la presse écrite.
Elle se rappelle avec tendresse de ses premiers pas en tant qu’écrivain il y a quelques années. A cette époque elle avait la terrible impression d’avoir été jetée dans une savane peuplée de fauves. Sans réelle préparation elle s’était retrouvée morte de trac face aux journalistes. Ils se bousculaient tous pour poser à la jeune française les  questions les plus extravagantes pour obtenir la réponse qui ferait immédiatement le buzz. Elle était terrorisée à l’idée de faire un faux pas ou de ne pas être à la hauteur. Elle détestait la question trop intime ou ambiguë et redoutait celles dont elle n’était pas sûre de capter tout le sens. Complexée d’avance par son accent et ses réponses qui ne manqueraient pas d’augmenter son malaise en dévoilant son anglais trop modeste. Si lors de ses premiers entretiens elle semblait toujours au bord de l’évanouissement, désormais grâce aux efforts qu’elle avait entrepris pour travailler sa prononciation et surmonter sa peur en public, son aisance était irréprochable.
Aujourd’hui on pouvait dire que ses nombreux ouvrages avaient construit son succès et sa légende, et qu’elle avait acquis un indéniable talent de communication.  Cette notoriété lui avait apporté non seulement de l’assurance, mais lui permettait aujourd’hui d’être entourée, conseillée  chouchoutée, donc parfaitement préparée à toutes ces formalités.
Dans ce type de situation elle se sentait désormais comme une sirène dans l’eau.
Son dernier roman traduit en plusieurs langues est en passe de devenir un nouveau succès planétaire,  hors des frontières  sa publication suscite déjà l’engouement. Malgré la vague de polars scandinaves qui dominent aujourd’hui le marché du livre international, il semblerait qu’avec Michel Houellebecq et Amélie Nothomb (deux références mondiales de la littérature française) elle  réussit parfaitement à tirer son épingle du jeu.

Elle a surtout découvert qu’on pouvait l’aimer à l’étranger, et elle en est particulièrement fière. Car au début, ses livres n’ont pas toujours fait l’unanimité en France. Ils ont même fait l’objet d’un certain dédain de la part de cette bande d’intellectuels bien-pensants qui composent ce détestable microcosme littéraire parisien, et qui font hélas la pluie et le beau temps.
Elégante comme toujours, Lucille Laverdière descend lentement les escaliers qui permettent d’accéder aux vastes salons situés dans l’entrée de l’hôtel. Comme à  chacune de ses apparitions en public elle a remplacé ses lunettes par des lentilles de contact et porte une robe qui souligne parfaitement sa silhouette  juvénile. Le rouge aux lèvres qu’elle a choisi réhausse parfaitement son sourire éclatant. Elle est détendue, son regard direct va droit dans les yeux et elle semble ravie de retrouver la petite équipe qui l’attend.
C’est finalement dans le calme d’une chambre impersonnelle de l’hôtel que vont se dérouler  les entretiens prévus avec la presse.
Ce qui a été remarquable c’est l’emballement du public à l’égard de son premier roman alors même qu’elle n’était à l’époque qu’une parfaite inconnue. Ensuite sa cote a rapidement décollée, pour exploser en 1983 avec la parution de ce livre au titre sulfureux : Incandescence,  tiré à plus de 20 000 exemplaires. L’ouvrage s’est  littéralement envolé en librairie et en novembre il recevait le prix Médicis. Une récompense bien méritée qui allait la faire connaître et la propulser au top des ventes. C’est alors qu’elle accède à la cour des grands, et depuis cette date toute sa production dépasse les 200 000 exemplaires, sans compter les ventes en poche qui sont considérables.

Il suffit de lire deux pages de ses livres et on sait que c’est elle. Son style est reconnaissable dès les premières phrases. Subtil, percutant et résolument libre. Toujours empreint d’une immense maîtrise et irrigué par sa passion des sentiments. Avec une élégance qui lui permet de passer sur les drames d’une manière vive et concise. Comme on a coutume de le dire pour certains artistes, sa signature est presque superflue. Elle a l’art de se mettre dans la peau de ses personnages, même s’ils sont très différents de sa propre personnalité, pour vous emporter dans les méandres de l’intrigue comme si vous y étiez.  »On a tous éprouvé a-t-elle coutume de dire, au moins une fois dans sa vie toute cette palette infinie que représente la multitude des sentiments. Que ce soit du plus louable au plus condamnable  mais seul l’écrivain a cette chance inouïe de pouvoir aller puiser au fond de lui pour les explorer, les amplifier et les magnifier à travers ses personnages ».
Cette fois Lucille est attendue au tournant. Ce nouveau roman n’est pas vraiment une fiction. Il s’agit bel et bien d’un récit autobiographique dans lequel elle n’a pas hésité à se mettre à nue. Expérience passionnante qui nous fait découvrir la vie de la narratrice à travers l’épreuve du temps. Elle y est parvenu en puisant dans sa mémoire, mais pas seulement. Elle s’est amusée à mélanger des extraits de son journal – qu’elle a tenu à plusieurs époques de sa vie – avec des ébauches de roman complétées de réflexions sur l’histoire et  l’actualité. Un jeu pour le moins vertigineux, avec une puissante méditation sur son devenir et celui des femmes en général.
Lucille va maintenant se plier de bonne grâce à l’exercice des questions.
La plupart manquent furieusement d’originalité. Cependant elle essaie toujours de conserver un sourire indéfectible et un enthousiasme intact, ne serait-ce que par respect pour l’intérêt que le public et les médias lui portent. Elle pourrait faire preuve de lassitude mais elle s’en défend s’efforçant de rester imaginative dans ses réponses sans se départir de son humour. Surtout essayer de ne pas se prendre trop au sérieux pour conserver la tête froide.
Faisant suite à sa demande Lynn vient de déposer un verre et une bouteille d’eau minérale sur le guéridon proche de son fauteuil. Elle enchaîne aussitôt avec un jeune homme barbu, comme le veut la tendance actuelle, qui représente le magazine American Litterature. Sa première question est sans grande surprise :

Comment vous est venue l’idée de ce roman ?
Et bien si pour la plupart de mes romans il y a toujours un élément déclencheur, parfois d’une totale insignifiance, pour l’Ecume du temps il s’agit d’une  démarche totalement différente. Ce projet est en fait en gestation depuis fort longtemps. Si au départ l’enjeu de ce livre était de me souvenir des moments les plus exaltants de ma vie, ce fut aussi l’opportunité de raconter la formidable évolution que toute ma génération a eu la chance de connaître au fil des années. Ma découverte de la liberté, de l’art et du plaisir a été accompagnée par tous les bouleversements sociétaux incroyables qui sont intervenus en France pendant toute la deuxième partie du 20ème siècle. Mais comme les souvenirs ont tendance à magnifier les choses, j’ai préféré présenter mon livre comme un roman.
Vous dites adorer la période de recherches avant de vous lancer dans un nouveau livre. Pourquoi cela vous plaît-il autant  ?
D’une part parce que j’adore écrire, et de préférence des romans. Le livre est un territoire de transgression vous savez, parce que l’écrivain  a une liberté folle. Moi, j’aime que l’on puisse s’identifier à mes personnages. Je crée des personnages auxquels je m’attache, c’est une famille avec laquelle je vis pendant tout le temps que dure l’intrigue, souvent plusieurs années et j’aime qu’elle reste plausible. Ecrire un roman est un long voyage et sa gestation est extrêmement enrichissante.
Pour ce dernier livre c’est un peu spécial,  j’ai surtout fait appel à mes souvenirs. J’ai puisé dans ma mémoire, étudié des photos, solliciter  de nombreux témoignages. D’une manière générale pour créer l’architecture d’un roman j’ai besoin de m’imprégner de l’univers que je veux décrire. Comme j’aime rester le plus possible fidèle à la réalité j’ai besoin de rencontrer des personnalités inspirantes pour imaginer mes personnages. Ce sont celles qui ont une passion qui me fascinent plus, les plus susceptibles de m’apporter de la matière.

Françoise Giroud disait que placer un verbe dans un titre le renforce. Et c’est encore mieux si ce verbe est au présent ou au futur.  Et vous comment choisissez-vous les vôtres  ?
Je n’ai pas de règle particulière. Parfois le titre s’impose dès le début de l’écriture,  parfois c’est seulement à la dernière page qu’il arrive comme une évidence. Il m’arrive aussi de me laisser inspirer par une parole de chanson ou le vers d’un poème qui pourrait parfaitement illustrer mon histoire. Même si la tendance est de choisir des titres longs, j’ai un faible pour les courts. Je les trouve plus percutants, parfois même plus provocateurs.

On imagine l’écrivain isolé, hors du temps pour écrire afin de faciliter le travail de création. Et vous comment écrivez-vous ?  Avez-vous un rituel  ?
Comme je vous l’ai dit je commence par plusieurs mois de réflexion. Je pense à l’histoire et aux personnages et je prends des notes. Lorsque mon scénario tient à peu près la route, je me lance dans la rédaction. J’aime être en fusion avec mes personnages pour vivre leurs émotions. Par contre je n’ai pas de rituel particulier.  J’écris lorsque l’inspiration est au rendez-vous en buvant d’innombrables tasses de thé. J’ai surtout besoin de prendre du recul sur mes écrits. C’est une étape indispensable pour pouvoir en corriger les imperfections et les embellir.

On dit souvent qu’on est ce que l’on lit. Et vous que lisez-vous ?
Je lis énormément, parfois plusieurs livres à la fois. J’ai un faible pour les biographies et les romans historiques, les polars n’ont jamais été ma tasse de thé. J’aime aussi les livres qui traitent de philosophie ou d’architecture. Comme toute adolescente j’ai adoré les drames romantiques avant d’être subjuguée par la plume de Colette, j’aime sa prose vagabonde, sensible et sensuelle. Personne mieux qu’elle n’apporte cette fameuse chair aux mots, elle sait faire appel à tous les sens pour décrire un moment parfois anodin,  comme une simple balade au jardin  ou un matin d’été au petit déjeuner. Ensuite je suis tombée sous le charme de Françoise Sagan, de son style incroyable, de sa désinvolture et de son impertinence. C’est sa  liberté de ton qui m’a conduite vers une littérature plus féministe. Une tendance qui s’est intensifiée avec les années, au point d’influencer totalement ma manière de vivre.
Les journalistes se suivent, les questions se ressemblent mais elle refuse catégoriquement de répondre à toutes celles qui touchent à sa vie privée.

Le mot de la fin sera pour vous :
Eh bien je peux conclure en vous disant que je ne serais jamais devenue ce que je suis sans les livres. Les livres m’ont tout appris. Ils ont participé à mon éducation, à ma culture. Ils m’ont fait grandir, ils m’ont  surtout appris à penser et à aimer.
Aujourd’hui j’exerce mon métier avec passion et je savoure cette chance chaque jour comme une petite fille le jour de son anniversaire  !

A suivre …

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