Viduité – Eneeh Quarter

Le poète a dit qu’un seul être nous manque et tout est dépeuplé. Le chansonnier lui a répondu que la solitude, ça n’existe pas. Qui croire? Avec la perte de l’être cher, c’est toute la vie de celui qui reste qui se vide. Il est dépouillé de son essence même, il n’a plus de raison d’être. Un arbre sans feuilles ne peut donner d’ombre, une rivière sans eau n’abreuve personne, une ville sans habitants est une cité sans âme. Et pourtant, seul, il ne l’est jamais totalement; la famille, les amis, les connaissances, chacun lui apporte son soutien, partage sa douleur, comprend sa peine, promet de rester à disposition à n’importe quel moment du jour ou de la nuit.
Mais partager sa douleur, c’est comme dispenser l’amour, on ne s’en trouve dépouillé d’aucune part; la peine d’autrui ne se comprend pas, chacun vit la sienne à sa manière, mystérieuse pour les autres.

On est aux petits soins de sa personne, trop, bien souvent, jusqu’à l’étouffement. Il en vient à manquer d’air, à la désirer, cette solitude qu’il ne voudrait partager qu’avec le seul disparu. Puis le temps passe, pour lui comme pour le reste du monde. Il s’écoule simplement plus vite pour le bienheureux. Ce n’est qu’une question de relativité, en somme. Puis un matin, il se rend compte que les visites s’espacent, que le téléphone sonne moins souvent.

On parle d’autres choses, on ne mentionne pas le défunt en sa présence, on fait attention aux mots que l’on prononce, craignant de réveiller un souvenir et, par les larmes qui en découlent, retarder la guérison d’une blessure qui peine à cicatriser. Ce n’est pas de l’indifférence, ce n’est pas de l’égoïsme, c’est tout simplement que la vie continue son cours. Et elle n’a que faire, la vie, de ceux qui sont tombés à l’arrière; elle ne veut pas s’offrir le luxe de regarder derrière elle: avançant de concert avec son compère le temps, c’est l’avenir qui est l’objet de son attention; il faut penser aux vivants et oublier les morts.

Et lui, qui n’est plus qu’un survivant, finit par se retrouver tout-à-fait seul, avec des images, des sons, des odeurs. Des amertumes et des regrets. Des “si” qui restent en suspens. Des “pourquoi” sans réponse. Des “comment” sans solution. Cette solitude tant aspirée lui est maintenant pesante. Il voudrait une épaule disponible à volonté pour pleurer dessus. Mais cette épaule a trop à faire, elle a ses soucis personnels, peut-être même ses propres chagrins, ses peines, elle accorde quelques instants et elle retourne à ses préoccupations.

 

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Brahim Boumedien
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24 septembre 2019 15 h 15 min

Au “Un seul être vous manque et tout est dépeuplé” de Lamartine, s’oppose :”Gémir, pleurer, prier est également lâche, fais énergiquement ta longue et lourde tâche dans la voie où le sort a voulu t’appeler, puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler” répond Vigny, dans “la mort du loup”. Il se trouve cependant que le stoïcisme, devant les coups du sort, n’est pas toujours aisé ! Merci pour ce partage intéressant et utile !