Victor, indigent et indigène – Marie Combernoux

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VICTOR « indigent et indigène »

Victor, appelé TOTO était mon grand-père par alliance, le père du mari de ma mère , Raymond.

C’était un personnage hors du commun, une sorte de « zonard » comme on dirait aujourd’hui, divorcé d’avec sa femme Jeanne , il vivait seul dans un petit appartement à Toulouse, rue des roziers , dans le quartier des Chalets.

Il avait été prisonnier pendant la guerre dans plusieurs camps où il s’était évadé à chaque fois, et le dernier ce fut à Rawa-Ruska , camp de concentration en Pologne, avec des températures jusqu’à -30°, pour le punir des ses escapades. Je ne connais pas toute son histoire, mais Victor prenait la poudre d’escampette je ne sais comment, et avait traversé toute l’Europe, à pied . Mais il était repris à chaque fois par les allemands . Et la dernière fois, on le mit dans ce camp de la mort.

Il faut dire que c’était une forte tête qui ne supportait pas d’être enfermé, mais le dernier camp où il fut interné aurait pu lui être fatal. Heureusement, il y eu la Libération.

Il avait gardé des séquelles physiques -souffrant des pieds- , il marchait la plupart du temps en pantoufles , et des souffrances morales, mais c’était un homme remarquable et courageux.

Il aimait les femmes par dessus tout, et une fois sorti des horreurs qu’il avait vécu, il s’en donnait à coeur joie ! La dernière que l’on a connue s’appelait Aïcha, et elle lui demandait toujours plus d’argent, lui qui n’étais pas bien riche. Une fois, elle avait voulu un manteau de fourrure . Alors il lui avait dit : « mais tu me prends pour l’Aga Khan » ! Et nous avions bien ri !

Victor chantait très bien, et je me souviendrai toujours, lors du mariage de mes parents, en Ariège, après quelques verres, il s’est levé et il a entonné le « Bèth ceù de Pau » (beau ciel de Pau) en béarnais, d’une voix magnifique. Il était originaire des Pyrénées, du côté de Lannemezan . Toute l’assistance a applaudi, les larmes aux yeux. J’ai une photo qui a immortalisé ce moment.

C’était un être « fantasque » pas d’instruction, mais intelligent et d’une bonté hors du commun. On peut dire aussi qu’il était un peu caractériel, mais il s’était bien calmé avec le temps.

Il n’avait pas fait les papiers nécessaires pour toucher une bonne pension de prisonnier de guerre et il tirait le diable par la queue !

Il répétait à l’envi : « je suis indigent et indigène » ce qui faisait rire toute la famille, et au sujet de son fils Raymond, mon beau-père , prof de maths à l’époque, il disait aussi  : «  les mathématiques, ça rend fou ! «  mon Dieu Toto, que tu avais raison, tu avais bien entrevu le premier ce qui se passait dans la tête de ton fils qui ne t’a pas aidé pour tes papiers ! Et qui a fini sa courte vie bien tristement, dans la paranoïa totale !

Après la guerre, Victor avait repris son ancien travail : serveur dans un restaurant. Il se faisait renvoyer souvent, car il ne supportait pas d’être commandé, et avait la réplique facile. Le dernier restaurant où il était serveur se trouvait près du marché Victor Hugo à Toulouse, où il travaillait en pantoufles, et conseillait les clients en leur disant : « mais non ne prenez pas ça , c’est d’avant-hier ! c’est pas bon ! Prenez plutôt ça ! » Si le patron du restaurant l’avait entendu c’était le renvoi ! Mais il faisait rire les gens : « ne prenez pas de la soupe , elle vaut rien ! » Et les gens riaient, n’ayant jamais eu affaire à un serveur qui dénigre le menu !

Quand je rentrai de Caussade , au début de ma vie Toulousaine à 12 ans, mes parents venaient me chercher la gare et on allait passer la soirée chez Toto , on faisait des parties de belote ou de rami et j’adorais être avec lui. Chaque fois , je demandais à aller chez lui le dimanche soir…et j’insistais tellement que mes parents craquaient.

On allait manger dans un petit restaurant près de chez lui, et on revenait jouer aux cartes. Il trichait mais on s’en fichait car c’était un moment de franche rigolade !

Sacré Toto ! Tu étais bien le seul que j’aimais de cette belle-famille compliquée. Avec toi, tout redevenait simple.

Je t’aimais Victor, tu étais le seul être de cette famille qui valait le coup ! Et je me souviendrai toujours quand je m’étais fait des nattes en couronne sur ma tête , à la « russe » , tu m’avais dit : tu ressembles à une poupée russe ! On a bien ri ! Je t’aimais pour ta bonté que personne n’a bien comprise !

C’est toi qui m’a offert la médaille de ma communion, on est entré dans une bijouterie et tu m’as dit « Grand Prince « : « choisi ce que tu veux ! « Je suis tombé en arrêt devant une médaille de la Vierge avec , agenouillée à ses pieds, Bernadette. Depuis mes treize ans, je la porte autour du cou et je pense à toi.

Tu jouais tous les dimanches au tiercé et tu faisais des combinaisons abracadabrantes : l’âge du cheval multiplié par le poids du jockey ou autre chose invraisemblable, mais tu y croyais et c’était ton plaisir. Et bien entendu, tu as toujours « presque gagné » sauf que les chevaux gagnants n’étaient pas sur le même ticket !

Une fois tu as cru gagner, et n’ écoutant que ton coeur, tu t’es empressé d’acheter de quoi faire un bon repas et tu as invité toute la famille. Le lendemain, tu es allé encaisser ton gain, mais hélas , encore une fois, c’était pas la bonne combinaison ! Tu avais mal lu !

Mais Toto avait de sacrés penchants pour le pastis, pauvre être solitaire qui se réconfortait comme il pouvait. Vint le moment où il n’allait pas trop bien , un dimanche il a invité toute la famille : mes parents , moi, son ex- femme Jeanne et Aïcha, bien sûr. Et puis après ce repas où il avait mis tout son coeur, il s’est alité. On est revenu le voir, Il était mal, nous avions compris que c’était grave.

Et puis un jour , comme il était au plus mal, le docteur l’a envoyé à l’hôpital. Nous pressentions le pire.

En effet, un dimanche matin, mes parents et moi étions levés, nous avons entendu la voiture d’un ami de la famille, qui portait Jeanne . La sentence est tombée tout le suite : « Toto est mort » a t’elle dit en sanglotant.

Ce fut une grand tristesse pour tout le monde : fini les parties de cartes, fini les blagues douteuses, fini les fous rires, les moments d’amitiés, les savants calculs des dimanches au tiercé.

Victor, indigent et indigène, qui avait survécu aux horreurs de la guerre , et s’était évadé plusieurs fois, était parti sans espoir de retour, cette fois. Car si parfois on revenait des camps de la mort, de la mort elle-même, on n’en revenait pas…

©Marie Combernoux.

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Marie Combernoux

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je ne suis plus une jeunette, je suis née le 3 Avril 195....et quelque, j'ai été élevé jusqu'à mes 12 ans à Caussade (82) par mes grands parents , qui étaient agriculteurs et négociants en fourrage, j'ai été élevé entouré de nature, d'animaux de basse-cour, d'un jardin, et j'ai aussi appris l'occitan car entre eux mes grands parents le parlaient. Après 12 ans de bonheur , je suis allée vivre àToulouse, avec ma mère et son mari. A partir de là, ce fut une autre histoire.... je viens d'écrire un libre de nouvelles, réelles et fictives, et de poésies, j'attend sa sortie. Voilà un peu de moi, mais vous ne savez qu'une partie de ma vie riche et cahotique à la fois Bien cordialement.

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Christian Satgé
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7 juillet 2018 13 h 03 min

Merci Marie pour ce bon moment de nostalgie teinté de tristesse.