Une “leçon” de mathématiques – Marie Combernoux

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UNE « LEçON » DE MATHEMATIQUES

Toulouse – classe de seconde – 1971

C’était l’heure du cours de maths, où j’allais à reculons. Je n’avais jamais rien compris à ces signes sibylliques que représentait l’algèbre, et je ne voyais pas du tout ce que l’on pouvait en faire une fois trouvée la solution au problème. Les mots, ça parle, ça représente quelque chose, mais les expressions algébriques pour moi, c’était un mystère.

J’entendais des mots comme : « facteur commun », « équation au 1er degré à 2 inconnues » « coefficient directeur » « les fonctions » Mais ça me laissait vraiment perplexe. Qui ça pouvait bien être ce « facteur commun » et « ces 2 inconnues » ? Moi, de « facteur commun » à tout le monde, je ne connaissais que celui qui faisait sa tournée. Quand aux inconnues, elles restaient inconnues…

Tout cela pour dire que j’avais décroché depuis longtemps les mathématiques et que je m’intéressais surtout aux rédactions littéraires, aux livres, aux poésies (que j’apprenais par coeur pour mon plaisir) Je connaissais au moins une vingtaine de poésies que je me récitais le soir dans mon lit pour m’endormir : Apollinaire, Rimbaud, Baudelaire, Victor Hugo, et même des fables de La Fontaine.

J’attendais avec impatience le cours de français pour laisser parler mon imagination, ma soif d’écrire, de rédiger des histoires. Quand on nous donnait des devoirs à faire, je prenais un réel plaisir à faire la rédaction.

Mais à l’heure présente, nous étions au cours de mathématiques. Le professeur de maths (aujourd’hui il faut dire : la professeure ) s’appelait Mme MOUTON et elle portait bien son nom, car la nuit elle devait sûrement se mettre des bigoudis, et elle était frisée comme un mouton toute l’année.

C’était une dame d’un certain âge, hyper calée en maths (il vaut mieux quand on est prof de maths) et l’on sentait que c’était un vrai sacerdoce.

Ce jour là, nous entrâmes en classe, et une fois le silence établi, elle nous annonça la couleur :

 « Mesdemoiselles, prenez une feuille double, interrogation surprise : et toutes celles qui n’auront pas la moyenne seront collées ! » Alors là, ma petit dame, c’était un mot à ne pas dire, car ma décision fut prise tout de suite. Puisque je n’avais jamais la moyenne, je n’allais pas me fatiguer. Je pris une feuille, inscrivis mon nom, et recopiais l’énoncé que la prof avait écrit au tableau. J’ai gardé cette copie , Cela commençait par  cette phrase énigmatique :

mx + 2 (x – m) = (m + 1)² + 3 et comme ça sur plusieurs lignes….

Je tirais un trait et attendit que le temps passe, en regardant les mouches voler. Tout à coup, il me vint une idée : j’ouvris la feuille double, et j’écrivis les lignes suivantes, extraites d’un poème que j’avais appris par coeur, qui étaient sensées excuser ma mauvaise volonté :

« Ah que la vie est quotidienne !

« Et du plus vrai qu’on se souvienne

« Comme on fut piètre et sans génie »

………………………………………

Jules Laforgue

Et je refermais la feuille et me remit à attendre la fin du cours. Mme MOUTON ramassa les copies, et je compris à sa tête qu’elle m’avait vu ne rien écrire. De toutes façons, collée pour collée !

Nous partîmes vers un autre cours. Le temps passa, et le cours de maths suivant arriva. Mme MOUTON rendit les copies. En attendant mon tour, je n’étais pas trop rassurée sur ce qu’elle allait me dire. Elle me tendit ma copie sans un mot, sans sourciller. Je vis d’abord un beau zéro bien gros, souligné, écrit en rouge sur la première page. J’ouvris la feuille et là , ô surprise, elle m’avait répondu, au stylo rouge, deux vers de La Fontaine :

« travaillez, prenez de la peine,

« C’est le fond qui manque le moins »

………………………………………..

Jean de La Fontaine

J’étais soufflée ! Elle m’avait bien eu ! Du coup, elle remontait dans mon estime ! Je la trouvais plus humaine, je me rendis compte que les prof de maths aussi pouvaient avoir de l’humour une fois sortis de leur marotte de l’algèbre.

Elle me regardait du coin de l’oeil pour voir ma réaction : je fis comme elle, je gardais un visage impénétrable. Puis je levais le nez et nos regards se croisèrent et un sourire apparu sur ses lèvres et ses yeux malicieux semblaient dire : « je t’ai eu ma petite ! »

Merci Madame MOUTON, tu m’as donné une de mes meilleures « leçons »de mathématiques, mais tu m’as quand même « refilé» un après-midi de colle !

©Marie Combernoux

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Marie Combernoux

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je ne suis plus une jeunette, je suis née le 3 Avril 195....et quelque, j'ai été élevé jusqu'à mes 12 ans à Caussade (82) par mes grands parents , qui étaient agriculteurs et négociants en fourrage, j'ai été élevé entouré de nature, d'animaux de basse-cour, d'un jardin, et j'ai aussi appris l'occitan car entre eux mes grands parents le parlaient. Après 12 ans de bonheur , je suis allée vivre àToulouse, avec ma mère et son mari. A partir de là, ce fut une autre histoire.... je viens d'écrire un libre de nouvelles, réelles et fictives, et de poésies, j'attend sa sortie. Voilà un peu de moi, mais vous ne savez qu'une partie de ma vie riche et cahotique à la fois Bien cordialement.

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2 Commentaires
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Christian Satgé
Membre
14 juin 2018 18 h 40 min

Superbe et touchante anecdote… J’ai connu moi aussi des Madame Mouton, même si pour l’heur c’étaient surtout des Messieurs, mais eux n’avaient guère plus d’humour ou de lettres que leurs formules n’étaient magiques. Et pourtant je garde au cœur deux d’entre eux : l’un car il était “humain” – forme et fond – et l’autre (une dame en l’occurence) parce qu’elle a tout fait pour nous faire réussir, nous des “littéraires”… et elle y est parvenue. Comme quoi, la fonction fait moins que cell ou celui qui l’exerce… Amitiés