Une bonne soirée – Christian Satgé

Hier soir, invité chez de bonnes gens
Je me suis senti soudain intelligent,
Et, mieux encore, très vert et en verve
Arrivé au terme d’un de ces Médoc
Qui se marient si mal avec ces médocs
Que les docteurs généreusement me servent.

L’eau, même plate, gâchant les meilleurs crus,
Nous n’avons donc pas convié cet intrus.
Nous nous sommes tous trouvés fort philosophes
Capables de nous frotter aux grands génies,
De les juger, les jauger, sans vilenie,
Sans la jouer pour autant vains théosophes.

Nous avons renié le vieux Platon
– J’avais vu le film ! – un brise-ripatons,
Et critiqué Rousseau, l’inventeur du code
De la route, puis préféré Heineken
À Kierkegaard, un tout autre péquin
Qui ne carburait pas, le soir, qu’à l’iode !

Si on est resté sur notre Kant à nous,
Si on a changé Debord pour Marcel Dug’nou,
On a joué, un moment, avec Descartes
Au pendule avec Foucault, comme lions,
Sans gagner, cette fois-ci, des millions.
On a tiré sur Freud des flèches de Parthes ;

On vit comment bouder Bouddha à loisir,
Qu’là où y a Diogène, y a pas de plaisir
On s’est pris Bourdieu, fait taire Voltaire
Quant à Hegel… « Quoi Hegel ?!… Qu’est c’qu’il a Hegel ?! »
Fut notre scie jusqu’à l’aube et son dégel
Avec Sartre et Beauvoir en co-locataires…

C’est donc avec une belle acuité,
Avec une réelle lucidité.
Que nous avons ainsi repensé le monde,
Créant des concepts neufs, jetant des idées
Nouvelles pour le faire mieux tourner.

Pas de bol !… On était tous tellement cuits
Qu’à peine étions-nous au bout de la nuit
Qu’il ne nous restait qu’un affreux mal de tête
Pour tout souvenir de ce soir aux flacons
Où la Pensée gagna des esprits féconds
Dignes des plus grands : Épicure, Épictète,…

© Christian Satgé – décembre 2015

Tableau : P. P. Rubens, Les quatre philosophes, 1611

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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2 Commentaires
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Laurent Vasicek
Membre
16 janvier 2019 3 h 18 min

Très beau texte Christian ça m’a fait penser à certains dialogues d’Audiard (le père) et une célèbre scène des Tontons Flingueurs mais aussi Un Singe en Hiver …