LII – Un réveillon, une famille et trois cousines
Vu que les trois fistons de ma grand-mère paternelle Angèle se relayaient un dimanche sur trois pour lui rendre visite chez elle, mon père s’en occupant en sus la semaine, le réveillon était l’occasion de se retrouver chez l’une de ses deux autres progénitures banlieusardes. Les dimanches chez Angèle revêtaient quelque chose d’un peu protocolaire, comme une visite d’obligation. D’ailleurs mon oncle Jean passait sa matinée dans des magasins végétariens bio et son après midi dans les plantes de chez Truffaut, et entre les deux il se promenait avec tante Marcelle, ma cousine Christine dite Kiki et leur teckel, un saucisson à pattes surnommé Koirine dit Koikoi (j’avais peur de confondre Kiki et Koikoi…dans les noms appelés) dans les environs, à pieds.
En conséquence, le 31 décembre, mon père emmenait sa maman Angèle, ma maman Marie-Louise dite Milou et moi-même une fois chez son frère Joseph à Vanves et une fois chez son frère Jean à Neuilly sur Seine. En fait c’était plutôt trois fois sur quatre chez mon oncle Joseph, qui était aussi mon parrain, car mon oncle Jean aimait trop la tranquillité et le rangement millimétré de son appartement et n’aimait pas trop s’adonner aux tâches ménagères. Il travaillait comme contrôleur des compteurs EDF et était très fier de sa situation. Encore plus que mon parrain Joseph qui était chef d’atelier chez Renault.
A chaque début de repas, mon parrain rappelait les règles : on parle de tout sauf de politique et de religion. En levant son verre d’apéritif, c’était promis juré que la règle étaient chose acquise. Mon parrain mettait toute la famille dans l’ambiance avec son humour bien à propos. Par exemple, en proposant de la Suze, il annonçait qu’il faudrait boire ensuite son Sancerre car « Ne Suze que si l’on Sancerre ! ». Vous imaginez qu’après quelques verres de Suze et de Sancerre la règle était vite oubliée et là où l’on riait le plus c’est quand tout le monde se crêpait le chignon avec des tartes à la crème sur De Gaulle ou sur la calotte. Mes tantes s’écriaient aussitôt : « Le filles allez jouer dans la chambre ». Je ne me sentais donc nullement concerné. Pas plus que ma cousine aînée Arlette, sœur de Nadine qui avait six mois de moins que moi, toutes deux filles de Tonton Joseph, dit Jojo, ou de tante Yvonne. Ma troisième cousine, Kiki que vous connaissez aussi bien que Koikoi, se situait entre Arlette et moi, mais était très puérile pour son âge. D’ailleurs, quand je me risquais dans la chambre de mes cousines, j’avais l’impression de rentrer dans une cage à poules qui gloussaient des mièvreries à en pleurer. Aussi préférais-je retourner dans le salon où Arlette aimait me faire découvrir les nouveaux vinyles de musique celte. Elle n’écoutait que des mélodies et des chants bretons comme les sœurs Goadec, Alan Stivell ou autre Bernard Sauvat et sa blanche Hermine. Cela engendrait à chaque fois un crescendo entre le haut-parleur du tourne-disques et les vociférations des politicards à cheval sur la calotte. Il ne fallait pas penser rester jusqu’à l’heure indue des vœux de nouvel an car ma grand-mère avait elle aussi sa règle : se coucher tôt en toute circonstance. Nous nous quittions donc sur une rapide soupe du soir avant de nous lancer dans le traditionnel bouchon de la Saint Sylvestre et ses coups de klaxons qui, immanquablement, nous immobilisait autour du lion de Belfort au centre de la place Denfert Rochereau. Dans ce capharnaüm, ma grand-mère criait « C’est pas bientôt fini cette débandade, ils font tout pour m’empêcher de me coucher à mon heure, et c’est de ta faute Maurice, tous les ans tu n’arrives pas à arrêter de rigoler avec tes frères ». Comme ma grand-mère était malentendante appareillée, elle entendait particulièrement fort les klaxons et confondait les empoignades et les rigolades lors des réveillons.
J’oubliais de vous dire que chaque frère apportait son projecteur et ses diapositives de vacances d’été et que les commentaires qui n’intéressaient que le projectionniste semblaient interminables. Mon papa, lui, préférait distribuer ses clichés en noir et blanc du réveillon précédent. C’était l’occasion de ressortir toutes les photos de mariage et de profession de foi. Cela créait une ambiance du genre « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». C’est à la suite de cet épisode de réconciliation que nous nous faisions la bise en nous disant : « Vivement le réveillon de l’année prochaine que l’on rigole pareillement chez un autre frère d’Angèle ». Moi j’étais content d’avoir revu mes cousines et de constater combien, de réveillon en réveillon, elles ressemblaient de moins en moins à des premières communiantes..
On retrouve dans ce récit si pittoresque l’atmosphère chaleureuse et très colorée des Fêtes dans une grande famille!
Voilà ce que je recherche dans l’écriture. Et depuis le 19eme siècle on ne retrouve plus dans les romans des véritables personnalités bien trempées. Tu ne confondait pas ta cousine avec le saucisson à pattes j’espère ! Et les autres réveillons c’était aussi Suze sancerre ? Je te dis ça parce que je déteste les deux. Le premier à pour moi goût de médicament. Bon réveillon et bonne beuverie !