Un amour de coccinelle – Christian Satgé

Petite fable affable

 

J’ai la nature pour compagne.
La vie bucolique de ma campagne,
Qui est « un trou du c… du monde »,
C’est un bois, le sentier qui l’accompagne,
Des champs et des prés à la ronde,
Quelques trous d’eau, des fossés en broussaille.
Mais c’est aussi toute un faune
D’insectes, parfois infects, qui tressaille
Dans l’herbe qui n’est jamais jaune.

 

Même « la bête à Bon Dieu », Dame,
Mérite sur bien des points, carton rouge
Et blâme. Oui, sans état d’âme !
J’en sais même une qui encore bouge,
Masculin de genre et d’espèce :
Mufle. Aimant fort courir la prétentaine,
Il enivra de gentillesses
Et habilla de mots doux par centaines,
Une très jolie coccinelle,
Une de ces demoiselles qu’on gruge
En jouant bien de la prunelle
Et d’anciens, mais habiles, subterfuges.

 

Charmeur, il lui donnait l’aubade ;
Charmant, il lui promettait miel et lune
Et la soûlait de sérénades
Pour avoir enfin la bonne fortune
Que leurs élytres las convolent,
Qu’en un mot, cette prude-là succombe :
Pour elle, pas de gaudriole
Avant le mariage : loi des combes
Et des filles de sa famille.
Elle ne céda qu’avec l’assurance
Qu’il mourrait, c’est pas peccadille,
Pour lui éviter toute souffrance.

 

Or ce soir-là, sous les étoiles,
Une épeire l’a prise en toile.
Courageux, il abandonna sa Belle
Qui n’avait pu mettre les voiles
À une mort des plus cruelles,
Et dit, avec un air d’indifférence,
Ignorant ses pleurs et ses plaintes :
« Nous promettons selon nos espérances
Et nous tenons selon nos craintes.* »

 

© Christian Satgé & François de La Rochefoucault(*) (1613-1680), Maximes (1665)

 

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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Invité
29 décembre 2018 17 h 48 min

Si la bête à bon dieu avait pris le voile avant de mettre les voiles peut-être que ses voeux de fuite auraient été exaucés… Quoique dans nos vallons et nos prés on ne peut plus jurer de rien ! Merci pour cet air frais de sérénades d’avorton avortées !

Invité
29 décembre 2018 14 h 47 min

Merci Christian pour ce texte ! Pauvre petite coccinelle, si jolie, on dit qu’elle porte bonheur. Quelle ironie du sort !

Anne Cailloux
Membre
29 décembre 2018 13 h 32 min

Oui, si bien dit .. que la vérité nous crève les yeux..
Vous étés le Maître des fabulistes. vos mots font mouches.. lol
ils sont très beaux
Anne