Souvenirs – Daniel Marcellin-Gros

Eté majestueux, en ton écharpe d’or,

Tu as jeté les gueux aux porches des églises,

Qui n’ont pour seul ami que leur vieux chien Médor,

Et qui tendent leurs mains que l’obole magnétise!

 

Quand bien même le soleil éclaire les vitraux,

Le sanctuaire de Dieu est froid comme une tombe!

Les femmes y confessent leurs péchés immoraux,

Et ressortent l’âme blanche comme un vol de colombes!

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Chaque année nous allions au pays de mon père,

Aux vacances d’été avec mes frères et sœur,

Séjourner pour deux mois dans la maison en pierres

Qui devenait pour nous un havre de douceur!

 

Mon père avec sa faux débroussaillait la cour,

Dont ronces et chardons se croyaient possesseurs;

La nuit, quand les étoiles brillaient de mille atours,

On sortait prendre l’air sous la tonnelle en fleurs!

 

Je garde comme un trésor ce parfum de glycine!

Qui éveille en moi des souvenirs si doux,

Lorsque maman chantait de sa voix cristalline,

Quand le tricot lâché tombait sur ses genoux!

 

Puis, ivres de bonheur, nous montions à la chambre,

Où les rêves attendaient d’investir nos cerveau,

Et de gentils fantômes, flottant, privés de membres,

Endormaient nos jeunesses sous les noirs soliveaux!

  

Parfois dans la nuit sombre un orage éclatait,

Nous étions réveillés par les coups de tonnerre,

Et les éclairs zébrant la pièce sans volets,

Semblaient la revêtir d’ombres extraordinaires!

 

Nous nous pelotonnions dans le lit de noyer,

La tête sous les draps, car nous avions très peur,

De ces éclairs du Diable, aimant à tournoyer

Autour du Christ en bois l’emplissant de stupeur!

 

Puis l’orage s’en allait comme il était venu,

Il ne restait de lui que quelques auréoles,

Un roulement plaintif, l’embrasement des nues,

Et le chant d’un ivrogne tout imbibé d’alcool!

Au matin, les oiseaux chantaient à la fenêtre,

En modulant des trilles de douceur infinie,

Comme pour fêter les oisillons venant de naître,

Et qui s’ébrouent, tout nus, dans le duvet des nids!

Et ce chant des oiseaux est un hymne à l’amour!

Le recommencement d’une vie éternelle,

Que ce soit dans les villes ou bien dans les faubourgs,

Chacun prend du plaisir à ouïr ces ritournelles!

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Une odeur de café filtrait par le plancher,

Dont les lames grinçaient car elles étaient disjointes,

Les yeux pleins de sommeils nous prenions l’escalier,

Pour manger les tartines que maman avait ointes,

 

De ce beurre de campagne jaune d’or si goûteux,

Qu’à ces réminiscences mes papilles frissonnent,

Maintenant l’on se jette sur des beurres moins coûteux ,

Le savoir faire d’antan n’intéresse plus personne!

 

Le soleil généreux, par l’huis de la maison,

Laissait passer à flot des grands rais de lumière,

Sur lesquels dansaient les poussières, à foison,

Jetant des reflets d’or dans le couloir austère!

 

Le confort n’était pas de mise, et quand j’y pense,

Je revois le cheval boiteux à l’écurie,

Qui nous lorgnait quand nous soulagions nos panses,

Que, pressés d’en finir, nous sortions, ahuris!

 

Dans la grange attenante papa fendait du bois,

Le mégot sur la lèvre, faisant siffler la hache,

Afin que le foyer du vieux fourneau flamboie,

Pour faire cuire un dîner stimulant nos ganaches!

 

Quand le soleil cinglait comme un coup de cravache,

Il était temps pour nous d’aller faire une sieste,

Puis, reposés, nous suivions un troupeau de vaches,

Que guidait un vieux pâtre, de la voix et du geste!

Aidé de son grand chien gambadant près de nous,

Dont la truffe brillait plus qu’une étoile au ciel,

Qui mordait des jarrets plutôt que des genoux,

Quand les bêtes s’écartaient du chemin officiel!

On passait notre temps à éviter les bouses,

Dont généreusement les vaches nous gratifiaient,

Cela faisait bien rire le berger, dans sa blouse,

Puis il bourrait sa pipe de ses doigts grassouillets!

 

C’était un très brave homme qui avait fait la guerre,

Remporté des médailles sur le chemin des dames,

Combattu à Verdun comme on faisait naguère,

Avec la baïonnette plus rouge qu’une oriflamme!

 

Avare de paroles, l’homme en parlait très peu,

Car il était pudique, gardant pour lui l’horreur,

Laissant déblatérer les officiers pompeux,

Qui voulaient à eux seuls, recueillir les honneurs!

 

Comme un cortège de loups, mes souvenirs en masse,

Reviennent bien souvent me dévorer le cœur!

Tout comme ces étés que ma mémoire replace

Dans le livre imagé des grands rêves vainqueurs!

 Chapitre IV

  

On ne croit pas vieillir; les jours succèdent aux nuits,
Dans le grand mouvement de l’horloge du temps,

Dont le balancier rythme les joies et les ennuis,

On se retrouve alors à soixante cinq ans…

 

…On sait bien que la vie creuse ses chausse-trappes,

Avec la pioche aigüe des noires destinées,

On glisse dans le piège, au bord on se rattrape,

On s’accroche hélas à des rêves mort-nés!

 

Je suis revenu vivre au pays de mon père,

J’habite pas très loin de la vieille maison,

Où, l’été flamboyant semait des joies prospères!

Cependant j’ai quitté le manteau d’illusions…

  

…La grange n’existe plus, pas même la balançoire!

Les successeurs ont créé deux appartements,

Je ne reconnais rien, tout est en ma mémoire,

On dirait que délaissée la maison me ment!

 

Je l’ai prise en photo, la glycine n’est plus là,

Ni le banc où mon père venait fumer le soir,

Ni le merle moqueur chantant à capella,

Ni la benne à vendange, ni même le décrottoir!

 

Le mur d’enceinte, lui, penche un peu sur la route,

Le lierre, envahisseur, a rongé le ciment,

Les galets se détachent annonçant sa déroute,

Et je pleure malgré moi redoutant ce moment!

 

Mes parents ne sont plus, ils sont au cimetière,

Je vais fleurir leur tombe quand le ciel est clément,

J’irai dormir près d’eux à mon heure dernière,

Mais avant je ferai repeindre le monument!

  

Souvenirs

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1 Commentaire
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Christian Satgé
Membre
16 juin 2018 11 h 17 min

un magnifique texte…