Rue Pigale et ses vertus – Anne Cailloux

 

Du haut de la rue Pigale, elle déambulait depuis le couché du soleil

Le soir venant, on entendait que les bruits des talons et les :

« Tu viens chéri ! »

Elle n’était pas une étoile filante, mais une notoire déclarée, comme tel par la grande maison..

Mado, surnommée trois, quatre, à cause de son déhanchement, allait et venait sur le trottoir, en dévisageant les hommes avec insistance, dans le but de ce livrer au commerce de son corps.

Ici, tout le monde connaissait Mado, les cafés, les cabarets, les chasseurs, la police, le moulin rouge, même l’école d’à coté. Elle avait la gouaille des titis parisiens et jouait avec l’humour, faute de jouer avec sa beauté.

Elle faisait les cent pas et les danses à mille temps. Au fil du temps, ses varices étaient devenues des cartes routières, mais comme elle disait, elle utilisait du trompe-couillon. Bas à varice noir, gaine montante, sein refait, maquillé comme un camion volé, mais travaillant de nuit, les défauts se voyaient moins.

Certains clients étaient infidèles à leurs femmes, mais souvent fidèles aux filles de petites vertus et Mado avait gardé de nombreux habitués de sa jeunesse, elle n’avait pas le choix, sa gentillesse lui rapportait sa compté quotidienne, ne pouvant plus espérer sur sa beauté, car à 65 ans, c’est du réchauffé disait-elle.

Un jeune brun passa pas très loin d’elle :

-Allez mon petit, viens donc me voir de plus près, je suis vierge.

– Non merci Mdame, j’ai rendez vous avec l’équipe de France de foot.

-Tu as tord mon petit lapin, ils ne font pas le poids à coté de moi, moi je fais 15 passes en une soirée, tu en dis quoi mon ptit, ils font mieux ?

Le jeune se mit à rire de bon cœur en, lui souhaitant du monde, mais en ces jours de match, les rues étaient vides.

Un homme d’un certain âge lui demanda ce qu’elle faisait comme pose pour 30 euros. Mado se mis a crier comme une poissonnière et lui dit :

-Tu m’a pris pour un photomaton ? Je ne fais pas 5 poses pour 5 euros. Non mais ! Allez circule, virgule ou j t’apostrophe.

Elle avait été mariée avec un voyou, qui avait terminé six pieds sous terre. La Mado narrait souvent, qu’elle avait tant de fois failli se retrouver à l’horizontal avec cet homme, que ce n’est que justice et cet horizontal n’était pas celui où on se couche pour prendre du plaisir.

Cette femme avait passé tant d’années sur ce bout de trottoir, qu’elle ne voulait pas quitter son Q-G et puis sa fille et son gendre ne travaillant pas, elle se devait de nourrir ses 4 petits enfants.

Les hivers étaient durs avec parfois, une température de moins 15 et en petite tenue, il faut en vouloir ou être obligé…Elle en voulait… d’autres étaient obligés, elle le fut, mais il y à longtemps.

Un nain passa, lui demanda le prix, elle répondu 50 euros.

-Comment 50 euros ? Normalement c’est 30 euros, pourquoi ce prix là ?

-Il va te falloir 10 minutes pour montrer sur le lit et autant pour descendre.

Le nain ne répondit pas et parti car mise à part Mado, il n’y avait pas encore d’autres filles.

Mado fit un sourire, elle apercevait au loin un habitué.

Ne pas s’apitoyer sur son sort, il y à toujours pire.

-Coucou mon minet, tu as de la chance, je vais te faire le cri du paon ce soir

L’homme était beaucoup plus jeune qu’elle, il venait surtout pour parler, Mado l’écoutait, elle se souvenait de tout et lui posait des questions. Pas comme sa femme…

-Tu as raison Mado, il va y avoir anguille sous roche.

Ils partirent bras dessus, bras dessous.

Dans l’immédiat, ils étaient heureux tout les deux, pas pour les mêmes raisons, mais peut importe ils ne se sentaient pas inutiles.. c’était ça l’important, être encore utile à quelqu’un..

Il y a de nombreuses années déjà… De mon appartement, j’avais Mado dans mon champ de vison et tant d’autres.

Je buvais mon café du matin dans ce bar, ou toutes les filles, tous les chasseurs venaient prendre leurs petits-déjeuners. J’aimais ce quartier de Pigalle, à deux pas de Montmartre. Je me suis lié d’amitié avec Mado, Caroline, Ange et tant d’autres.. Que de soirées festives, que de misères derrière leurs sourires, dans leurs regards, il y avait de la poudre aux yeux que leurs jules leurs envoyaient, qui cachaient parfois le bleu de l’âme et le noir des brutalités. Mes copines me demandaient comment je pouvais habiter ce lieu..

C’était un village où tout le monde se connaissait, c’était paradoxale mais je me sentais en sécurité..Je pouvais rentrer à 2h du matin, entendre des pas derrière moi, sans me retourner, car il ne me serait jamais rien arrivé.

Quelques années plus tard, je suis repassée…Mado n’était plus là. Elle est partie

sur son bout de trottoir, elle s’est effondrée un soir, entre deux portes, entres deux clients, entre deux cafés, comme elle le désirait.

Paix à son âme.

Je ne juge pas ses filles, car je sais le pourquoi du comment.

Je voulais laisser une trace en faveur de ces femmes et de leurs malheurs

qu’elles cachent si bien..

Les prostituées ont de cela en commun avec les soignantes, vieillesse se faisant on ne sait pas ce quelles deviennent, ni les unes ni les autres…..

Anne..

 

©Anne Cailloux

 

 

 

 

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Anne Cailloux

Anne Cailloux (335)

Depuis ma naissance, je fus autodidacte et trop rêveuse.Spécialiste dans l'art thérapie et les maladies neurodégénératives, j’essaie de retenir le temps des autres et du mien.. Quelques diplômes, une passion pour l'art et les poètes. J'ose dormir avec Baudelaire.Je suis une obsédée textuelle . Je peins, je crée et maintenant j’écris. Je remets cent fois mon ouvrage pour me corriger. De quinze fautes par lignes je suis passée à quinze lignes pour une faute... Deux livres en préparation et peut-être un recueil de poèmes, si Dieu veut.Anne
Je suis une junky des mots..

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6 Commentaires
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O Delloly
Membre
9 juillet 2018 18 h 55 min

bel hommage poétique et émouvant
merci Anne
Ol

Invité
11 juillet 2018 9 h 25 min

Merci Anne bel écrit
Agréable journée
Mes amitiés
Fattoum.

Christian Satgé
Membre
9 juillet 2018 19 h 18 min

Bravo Anne pour ce texte touchant et fort. On y trouve toute l’émotion dont vous êtes capable d’emplir vos œuvres et cette capacité de trouver – et de transmettre – la poésie parfois morose là où on est étonné d’en trouver. C’est un beau regard que vous avez et une belle plume pour traduire ce qui est vu et ressenti.