Paroles d’auteur – interview Michto Rex

 

Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

Le premier livre lu, je ne m’en souviens pas. J’étais si jeune et j’ai appris à lire avant d’aller à l’école, grâce à ma sœur aînée. Mais, je me souviens de la première émotion d’un livre. C’était pour Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. L’institutrice de notre village du Limousin nous lisait un passage en fin d’après-midi, avant la fin des classes, comme une récompense à notre journée de labeur. Pendant les dernières pages, la bouleversante scène entre le Petit Prince et le serpent, madame Pallier pleurait. Nous pleurions aussi. Après, j’ai eu envie de lire ce texte. Je le relis de temps en temps en passant un doigt sur les dessins. Ce livre, c’est comme une pépite qui caresse le fond de mon âme, et j’aime cette douceur-là !

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Je le pense, oui. Je lis beaucoup, tous les jours. Je ne peux pas imaginer un jour sans lire. Ce serait pour moi, comme vivre sans oxygène, je crois. J’ai besoin des livres, de ce contact charnel avec les pages imprimées, découvrir des histoires écrites par d’autres. C’est un besoin vital. Sans livres, je serais déjà mort.

Pourquoi écrivez-vous ?

Puis-je répondre que c’est à cause d’un rêve, mon premier rêve, Avant, je ne rêvais pas, je m’endormais et je me réveillais sans le souvenir d’avoir rêvé, rien. Mes camarades de classe racontaient leurs rêves. J’ai inventé les miens. Peut-être le début de l’écriture, dans l’inconscience. Pourtant un soir, ce soir-là, j’ai répété dans ma tête, avant de m’endormir ce leitmotiv : rêver, rêver…

Et au matin, un sourire était dessiné sur mon visage, j’avais enfin rêvé, pour la première fois ! Je me souvenais de tout. J’ai eu si peur d’oublier que j’ai retranscrit sur un cahier ce rêve étrange. Il est écrit et je le conserve précieusement. Les rêves ont continué et l’écriture aussi. J’avais attrapé le virus de l’écriture. Ce n’étaient plus les rêves que j’écrivais, mais des histoires inventées, avec ma vie à moi. Je cite Yves Navarre, c’est encore mieux :
« En fait on écrit que pour se sentir libre. L’espace des pages n’a pas de frontières ». Yves Navarre Une vie de chat (Albin Michel, 1986 – et 2013)

Avez-vous des habitudes d’écriture ?

Oui, des tas ! Lorsque j’écris, j’aime me sentir confortable, dans ma pièce à moi, dans mon monde. Je n’aime pas être dérangé. J’écris sur des cahiers avec un stylo-encre. J’ai besoin de sentir l’encre s’écouler du stylo. C’est comme un fluide vital qui s’écoule de ma main droite pour écrire les mots à venir, l’histoire inventée et dite. Souvent, après, ma main droite, celle des mots, est tachée d’encre bleue, comme l’écolier de mon enfance, celui que j’étais, autrefois, presque comme dans une autre vie. Après avoir écrit sur le papier, je retranscris l’ensemble sur l’ordinateur. J’imprime et je corrige à la main. Je renouvelle l’opération plusieurs fois. Je lis mes épreuves à haute voix, toujours, car j’ai besoin d’entendre les mots écrits, pour savoir la fluidité du texte, la réalité des mots. J’écoute aussi en écrivant, de la musique classique.

Comment se sont passés vos premiers contacts avec un éditeur ?

Je serai bref : je pourrais tapisser ma chambre avec toutes les lettres de refus, ou créer une œuvre d’art !

Vous pratiquez également la peinture. Exprimez-vous les mêmes émotions, quel que soit le support ?

Je le crois. La peinture est aussi importante que l’écriture, c’est une autre forme d’expression. Cependant, si j’écris, je ne peux pas peindre, et vice-versa. Pourquoi, je ne sais pas. À chaque fois que j’achève un roman, toute l’écriture de l’histoire avec, je commence à peindre, j’ai cette envie de peindre. Je peins des gens, des émotions. C’est la même chose que l’écriture, un complément, n’est-ce pas ? Marguerite Duras, que j’adore, faisait des films aussi.

Vous pouvez reprendre un texte non publié, le transformer… mais une peinture, non, lorsqu’elle est terminée, il n’y a plus de retouches possibles. C’est là, cette petite différence, que j’aime bien.

Après avoir terminé une peinture ou un livre, j’ai toujours ressenti la même émotion, une joie qui étreint ma poitrine, pour une courte durée, mais superbe ! Courte, car un autre projet survient et il faut continuer la route.

Pouvez-vous nous parler de Yves Navarre ?

Yves Navarre, oui, il a obtenu le prix Goncourt en 1980 pour Le Jardin d’acclimatation. Je l’ai découvert avant, lorsque j’étais étudiant à Paris, à la bibliothèque de la rue Buffon dans le cinquième arrondissement, dans cet incroyable livre, Portrait de Julien devant la fenêtre, avec cette magnifique couverture du peintre Alekos Fassianos. Le coup de foudre à l’état pur ! En moins d’un mois, j’ai emprunté tous ses livres disponibles. Son écriture de la vie était et reste un écho de ma propre vie. Je comprenais enfin pourquoi, la douleur, les chagrins et toutes ces incertitudes. J’aurais tant aimé le connaître, mais il s’est suicidé en 1994. Depuis que j’habite en Angleterre, j’ai acheté tous les livres que j’avais empruntés et les autres aussi. Et vous savez, un livre inédit d’Yves Navarre sera publié l’année prochaine par les éditions H & O : Pour dans peu. J’espère que ce nouveau roman permettra à ceux qui ne connaissent pas son œuvre de la redécouvrir.

Comment décide-t-on d’écrire la suite du roman d’un autre auteur ?

Par accident ou par amour. Souvent, j’ai éprouvé l’envie d’écrire une suite d’un roman lu. N’avez-vous jamais voulu savoir ce qui se passait après avoir terminé la lecture ? Pour Yves Navarre, en lisant pour la énième fois son émouvant Hôtel Styx, j’ai ressenti le besoin d’écrire cette suite. Pourquoi ? Je ne sais pas. J’ai contacté l’ayant droit qui m’a donné la permission de l’écrire. Hôtel Styx a été publié en 1989 (Albin Michel) et Yves disait que c’était son roman préféré. Cet hôtel, c’est un endroit où les gens viennent et meurent, pour une euthanasie payante, anonyme et complètement illégale. Les morts sont incinérés dans le sous-sol de l’hôtel. C’est tellement d’actualité, n’est-ce pas !

Et c’est quoi la suite ?

C’est l’histoire de Caron, le fils de la propriétaire de l’hôtel qui a aidé des centaines de gens à mourir. À la fin du roman d’Yves Navarre, il a fermé les portes de l’établissement et a enfourché sa moto pour partir, loin, vers le sud.
Le début de ma suite, c’est cette fuite. Sylvie Lannegrand, une spécialiste de l’œuvre d’Yves Navarre a lu le tapuscrit. Elle m’a répondu :
« Je viens de lire votre roman, que vous avez eu la gentillesse de me confier, sans avoir auparavant relu Hôtel Styx, volontairement. J’ai aimé ce texte, et beaucoup aimé les derniers chapitres. Je pense qu’il a sa vie propre, si je puis dire, même s’il est “suite” du roman d’Yves Navarre, et je trouve qu’il se lit bien. Saviez-vous qu’Yves Navarre aimait beaucoup Rilke ?… /… Je crois qu’il aurait été extrêmement flatté que vous ayez été inspiré par l’un de ses ouvrages. Et je crois qu’il aurait aimé votre livre, oui. Lettres à un jeune poète était un de ses livres favoris. J’aime le fait que cet auteur vous rejoigne. »
Sylvie Lannegrand, (2014).

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Un bijou, un minuscule ouvrage de Jorge Luis Borges Le livre des êtres imaginaires. C’est une incroyable promenade dans un zoo rempli d’animaux qui n’existent que dans l’imaginaire. J’ai encore un côté enfant et comme je vous ai confié au début, j’aime rêver !

(source : http://www.parolesdauteurs.com/interview-michto-rex/)

Caron, requiem pour des feuilles mortesMichto Rex

éditions Atramenta, 2015, ISBN : 978-952-273-602-4

photographie de la couverture  ©Michto Rex

https://www.atramenta.net/books/caron-requiem-pour-des-feuilles-mortes/349

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