Ne te fais pas de film – Eric Guillaume Aatira

Ne te fais pas de film Erich !

Baisser de rideau pour Erich Zimmermann en ce samedi 30 Octobre 1926, date marquant la fin de la longue épopée du film Metropolis dont la production paraissait aussi chimérique que le scénario ; mais il faut croire que certaines personnes connaissent le bonheur de voir leur rêve se réaliser. Erich avait été engagé par le studio de Babelberg pour bâtir les décors de la ville futuriste qui avait germée dans l’esprit de Fritz Lang, et force est de constater que le travail fourni par le jeune menuisier était bluffant : des bâtiments aux étages innombrables, des routes entrelacées comme le corps immense d’un boa de bitume, une usine où les ouvriers se perdaient à travers les nuages de vapeur, tout cela était sorti des mains expertes d’Erich Zimmermann. 

Heureux d’avoir terminé son immense labeur, il demeurait adossé à une de ses créations gigantesques, les bras croisés et les pieds fixés au sol. La fatigue se lisait dans ses yeux bleus qu’il levait de temps en temps vers les hauteurs des immeubles factices du plateau. Il n’échangea aucune parole avec les autres techniciens présents, non pas qu’il fut timide (même si le peu de relation humaine qu’il entretenait tendrait à le penser), mais Erich était du genre à économiser ses mots et à ne parler que lorsque l’essentiel n’avait pas été dit ; en l’occurence, l’allégresse générale se passait bien de commentaires.

On avait l’habitude de voir le jeune homme à l’écart, solitaire. 

Volonté de se démarquer ? Génie misanthrope ? 

Les hypothèses allaient bon train à son égard et échouaient à entamer son mystère. Pour autant, pouvait-on parler de mystère chez Erich ? Lui qui, bien loin de dissimuler des secrets pour attiser la curiosité des autres, aurait préféré se fondre dans l’anonymat le plus complet. 

 Cependant, Il n’était pas maître des pensées de ses collègues. Il vivait avec, sans s’en soucier plus que cela.

Malgré la crainte que communiquent souvent les êtres singuliers, les maquilleuses du studio étaient fortement attirées par le personnage énigmatique qu’elle côtoyait tous les jours. Car si Erich pouvait disparaître de l’attention des hommes, les femmes, elles, n’avaient d’yeux que pour lui. 

Ce n’est pas qu’il avait le corps d’un Apollon ou la virilité d’un guerrier, mais son visage et ses cheveux noirs traduisaient, d’une certaine façon, une vie faite d’errance et de douleur ; de cette douleur que la maquilleuse la plus habile n’aurait pu masquer. 

Comme le tournage de Metropolis avait pris du retard dans la journée, on avait décidé de reporter le rangement du plateau pour le lendemain. Il était déjà 23 heures du soir et le mois d’Octobre finissant soufflait un vent glacial sur Potsdam. Tout le monde ne souhaitait qu’une seule chose : rentrer chez soi. Alors que techniciens, maquilleuses, cameramen et acteurs quittaient les lieux, Erich Zimmermann était toujours là, le dos appuyé contre sa structure en bois, comme s’il faisait lui-même partie de celle-ci, regardant fixement la fenêtre d’une des maquettes qu’il avait construite. 

On ne lui demanda pas de partir : la confiance qu’on lui accordait suffisait à le laisser seul dans le hangar. Il fallait voir en ce geste un présent, une marque d’affection et de reconnaissance pour son assiduité et sa détermination. De plus, il s’agissait de son premier film, puisqu’il était sorti de la Bauhaus, où il apprit le métier de menuisier de décor, cette année même.

La porte du hangar se ferma dans un claquement multiplié par la réverbération des murs. Cela dure quelques secondes… Le bruit s’estompe… Enfin seul.

Erich respire lentement, balayant du regard l’étendue du studio encombré d’échelles abandonnées ici et là. On ne voit que l’ombre des décors que dessine la lumière des lampes, et un chemin parsemé de cordes négligemment enroulées. 

Tout est calme, silencieux, endormi…

 De l’extérieur, on n’entend rien, on ne voit rien. Aucune voiture, aucune cloche de tramway pour perturber la solennité du moment que connaît Erich. A le voir ainsi, baigné à moitié dans l’obscurité, on penserait voir une statue, un mannequin, qu’on aurait entreposé là pour ajouter au chaos du studio. Pourtant, Erich ne s’est jamais senti aussi vivant de sa vie. Il lui semble que toute son existence, toutes les épreuves qu’il a dû affronter pour réussir, devait le mener ici, en ce jour précis. Et la solitude dans laquelle il se trouve, tout comme le silence qui l’entoure, est un écrin qui conservera éternellement sa fierté.

Il reste immobile pendant de longues minutes. 

Soudain, la chute d’une plaque en bois le fait sursauter. Il tourne la tête à l’endroit où celle-ci est tombée. En scrutant l’obscurité qui enveloppe cette partie faiblement éclairée du studio, il croit entendre, malgré son coeur battant à ses tempes du sursaut qu’il vient d’avoir, des bruits quasi imperceptibles, comme des bruits… De pas. 

La peur ne s’immisce pas dans l’esprit d’Erich qui préfère s’interroger sur les probabilités que quelqu’un puisse être encore présent dans les locaux. 

Il réfléchit et ne parvient pas à savoir qui se trouve avec lui en cet instant. 

C’est poussé par l’étrangeté de la situation et par l’impression de responsabilité qui lui est attachée quand à la bonne tenue du lieu de tournage qu’il s’avance vers la source des bruits qu’il a entendus.

Les premiers mètres ne sont pas trop ardus puisque la luminosité permet à Erich d’éviter de s’emmêler les pieds dans les cordes ou de percuter les échelles. Mais plus il progresse, plus il se voit environné de maquettes de plus en plus rapprochées, si bien que l’on dirait que le studio s’est transformé en un énorme labyrinthe.

Même si la lumière se fait rare et la voie de plus en plus étroite, Erich ne ressent aucune crainte, au contraire ; il se souvient de ses soirées, pas si lointaines, qu’il passait à arpenter les rues de Berlin en quête de beauté et de poésie. S’accrochant à la première ombre frôlée pour songer à l’histoire qu’elle pouvait bien traîner derrière elle. Oui, tous ces moments de liberté à la place Rosa-Luxembourg, sur les docks de la Sprée ou au parc Helsingforser, situé face à l’hôtel où il vit, reviennent en trombe à son esprit. 

N’oubliant pas le possible risque qu’il court à rencontrer un inconnu dans ces circonstances, le jeune homme s’adonne à ses plaisirs d’esthète contractés lors de ses promenades nocturnes.

Comme il déambule dans cette ville en miniature, une étrange sensation se produit en lui: pour la première fois, il se sent être un dieu. 

On pourrait dire que seuls les gosses ou les artistes ont l’âme à se penser démiurges, mais Erich Zimmermann tient de l’enfant et de l’artiste. Au milieu des bâtiments de Metropolis, il se croit un géant. Un géant invisible à l’oeil des habitants imaginaires de cette cité impossible. Il rapproche son visage des tours et regarde les trous faisant office de fenêtres. Il peuple alors les appartements de personnes dont il crée l’existence. 

Là, un couple de jeunes amoureux nouvellement installés. Ici, une famille complète qui déjeune autour d’une table richement garnie. Plus haut, des locataires rentrent du travail, ils embrassent leurs enfants et leur épouse pour ensuite se diriger dans leur chambre où ils s’évanouissent de fatigue. 

Dans les couloirs de l’immeuble, un fort contraste s’exprime entre le vert des murs et le beige clair du sol. Les portes, elles, présentent des couleurs variées. Plus on monte, plus les murs se lézardent de fissures et s’auréolent de tâche d’humidité; le sol se couvre d’une fine poussière, ce qui trahit l’absence de locataires. Pourtant, du dehors, une fenêtre du dernier étage laisse transparaître une lueur. 

Erich se met sur la pointe des pieds. 

Il y découvre un réduit à moitié occupé par un lit. Une valise est ouverte sur le seul meuble du taudis, à savoir une table. Il cherche à voir qui habite l’appartement. Il remarque alors que la porte d’entrée s’ouvre. C’est un petit garçon qui apparaît. Il s’avance vers la valise, la ferme, puis la prend et repart dans le couloir.

Au même moment des bruits de pas se font entendre. Ils sont proches. Beaucoup plus proches que ceux qu’a entendus Erich, il y a presque vingt minutes.

Ce dernier poursuit son chemin à travers le studio, bien décidé à mettre la main sur celui qui l’a arraché à sa solitude tranquille.

Partout des bâtiments en bois et des murs.

Des zigzags incessants ponctuent le chemin étroit, entouré par des structures toujours plus grandes. Erich a l’impression de s’aventurer dans des ruelles. 

Il progresse, tant bien que mal, désorientée par le manque de luminosité. 

A gauche, à droite, c’est interminable. A gauche, encore à gauche… Puis à droite… 

Puis…

Une silhouette à l’angle de l’allée !!! Ça y est. Erich l’a enfin trouvé, l’intrus du plateau.

Il accélère afin de rattraper le fuyard.

— Arrêtez-vous !  ordonne Erich. L’autre stoppe sa course et se retourne.

C’est une jeune femme ! 

Elle est vêtue d’une robe blanche. Ses yeux encerclées de khôl et sa bouche noircie détonnent avec la blancheur de sa peau et la clarté de ses cheveux blonds. 

En la voyant maquillée et vêtue de cette magnifique robe, Erich émet l’hypothèse qu’elle est une actrice.

— Bonsoir Mademoiselle, vous vous êtes perdue ?

— Oui. Je suis Mlle Helm. Excusez-moi de vous avoir effrayé … Monsieur ?

— Erich Zimmerman. Que venez-vous faire ici au beau milieu de la nuit ? Vous n’étiez pas partie avec les autres ?

— Si, mais dégourdie comme je suis, j’avais oublié mes bagages dans les loges, ce qui est assez embêtant vu que je pars pour Berlin dans la matinée 

— Mais par où êtes-vous entrée ? 

— Par la porte principale, voyons. 

— Et pourquoi ne m’avez-vous pas demandé de vous accompagner aux loges ? Je pensais qu’un voleur était entré.

— C’est que je ne vous ai pas vu, comprenez avec toute cette obscurité.

— Oui, je comprends… Bon,  nous devons tout d’abord sortir du studio : les loges sont dans un autre bâtiment. Suivez-moi. » 

Tous les deux rebroussent chemin. 

Erich rit en lui même de cette rencontre qui aurait pu être beaucoup plus problématique si l’inconnu n’avait pas été une actrice qui s’était perdue. Cependant, préfère-t-il vraiment être avec Mlle Helm que face à un homme dangereux ?

Il a assez de force dans ses bras, rompu à l’exercice, pour briser un adversaire, même armé. 

Alors qu’avec Mlle Helm, le rapport de force s’inverse: c’est lui qui se trouve fragile devant la beauté subjuguante de la jeune femme. Son parfum et son sourire discret entêtent le pauvre Erich qui n’a jamais connu l’amour. Sa vie ne lui a pas permis de s’attacher aux gens car il craignait que la mort ne les lui arrache comme elle lui avait arraché son père, mort à la bataille de Verdun en 1917, alors qu’il n’avait que onze ans.

Quel malheur que cette perte ! Et comme tout malheur, il en amena un autre: sa mère devint apathique, livide, défaite. Le souvenir qu’il garde de cette période sombre de son existence est celui des repas passés dans le silence le plus monacal. Lui, assis face à sa mère. Devant eux, des assiettes vides et des couverts sales. Dans la gorge, la brulure des sanglots réprimés. Il a pourtant fait preuve de courage en apprenant dès 13 ans le métier de menuisier, que son père avait exercé avant la guerre. Sa détermination et son abnégation furent payantes : il était reconnu comme un talentueux artisan. Son travail était sa raison d’être. Jamais il n’eut d’amis. Jamais il n’eut d’amoureuses. Cela demandait du temps et tout son temps, il le passait à travailler et à s’occuper de sa mère. 

Alors pour éviter de souffrir, Erich se met à distance. Ce qu’il fait en ce moment même en prenant de l’avance sur Mlle Helm.

« J’ai froid » dit-elle en se frottant les mains. Erich se rapproche d’elle et remarque que de la vapeur sort de sa bouche.

 — Pourquoi la température a si vite chuté ? Il y a à peine cinq minutes, nous n’avions pas froid.

— Cela vient surement de la chaudière.

— Oui…

 Elle hésite :

— Monsieur Zimmermann, Vous qui savez qui je suis.

— Vous savez également qui je suis.

— Je veux dire : vous savez que je suis une actrice mais moi je ne sais pas ce que vous faites ici.

— Et bien, pour tout vous dire, je suis menuisier de décor.

— Vous voulez dire que c’est vous qui avez bâti Metropolis !

— Oh ! Je n’étais pas seul, vous vous en doutez bien ; je travaillais sous la direction de monsieur Muller.

— Laissez moi tout de même vous dire que vous avez fait un travail formidable.

— Je vous remercie sincèrement…

Après un silence, Eric décide de poursuivre la conversation en demandant à la jeune actrice, non sans une certaine réserve, quelle était son rôle dans le film.

— Ce n’est rien… Je jouais le rôle principal. J’étais Maria, une jeune femme originaire de la ville basse de Metropolis. Vous savez peut être que Metropolis est découpée en deux zones: la ville basse où les ouvriers travaillent comme des forçats, et la ville haute, réservée à l’élite. Moi, j’étais à la croisée de ces deux mondes. Messagère de paix, je suis venue dans la ville haute pour prôner la fraternité entre les dirigeants et le peuple. 

— C’est un beau message que vous incarnez. Vous pouvez être fière de vous.

— Merci.

Elle esquisse un sourire et regarde Erich dans les yeux. Celui-ci lui sourit en retour et reprend la marche.

La lumière se fait plus régulière: ils approchent de la sortie du hangar ; cependant, les bâtiments semblent ne pas avoir changé de taille. 

Erich ne s’attarde pas trop sur ce détail car pour lui l’important est de ramener Mlle Helm aux loges.

— Vous habitez Berlin, j’imagine ?

— Oui. Et vous ?

— A Berlin également.

— Mais vous n’êtes pas originaire de Berlin ?

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

— Votre accent.

— Je vois que vous avez l’oreille. En effet, je suis originaire de Potsdam. 

— Vous devez être heureux d’être de retour dans votre ville natale.

— D’une certaine manière… 

— Comment cela ? Vous devez avoir de la famille ici. Quelqu’un vous attend en ville.

— Ecoutez… Je ne veux pas vous paraître rude mais je ne vois pas en quoi cela peut vous intéresser. Comprenez : il n’y a aucune utilité pour vous à la connaître.

— Je suis désolée de vous avoir blessé.

— Vous ne m’avez pas blessé.

Voyant que Mlle Helm se tait, apparement honteuse de sa curiosité, Erich décide de relancer le dialogue.

— Je suis arrivé à Berlin il y a quatre ans, suite au décès de ma mère. J’habite dans un hôtel à Mitte. Si vous vous demandez comment un gars comme moi a eu l’idée de travailler dans le cinéma, je vous répondrai que j’avais l’habitude d’aller à l’Odyssée, qui se trouve à Alexanderplatz. J’y allais tous les deux jours voir encore et encore Les Nibelungen et Le Cabinet du docteur Caligari. L’histoire, les acteurs, les effets visuels, tout me fascinait. Mais, ce sont les décors qui m’ont le plus marqué. Les rues étroites, les maisons aux angles acérés comme des couteaux et le mystère qui s’en dégageait étaient pour moi la plus grande preuve de génie qu’un homme pouvait avoir: faire un monde semblable au nôtre mais tordu sous l’effet des sensations. Ayant remarqué l’admiration maladive que je portais aux films, l’un des projectionnistes m’a dit qu’une école de cinéma existait à Weimar, la Bauhaus. Je m’y suis rendu, j’ai fait mes classes, et me voilà aujourd’hui.

De toute sa vie, jamais Erich ne s’était jamais autant confié à quelqu’un…

Mlle Helm comprend sa noble intention et le remercie.

Enfin, le bout du chemin. Il ne reste plus qu’à dépasser le réverbère qui fait l’angle entre les deux tours de bois pour retrouver la porte du studio. Quelle drôle de soirée mais le moment des adieux est là. Ce moment qu’Erich désirait depuis longtemps ne plus connaître. 

— Voil…Quoi !…Ce n’est pas… Ce n’est pas possible… Non.. Nous ne sommes pas sortis !

Ils se trouvent tous les deux dehors, mais ce n’est pas l’extérieur du studio.

Ils sont dans une ville mais ils ne la reconnaissent pas.

Il fait nuit. Une route, longue de plusieurs kilomètres, s’étend face à eux. Elle est bordée de réverbères éteints et d’immeubles, tous identiques, séparés entre eux par des ruelles sombres. Elle semble ne pas connaître de fin. Erich n’en croit pas ses yeux, il regarde en l’air afin de savoir s’ils sont bel et bien dehors : les étoiles et la lune sont absentes. Il n’y a aucune lumière ; cependant, l’obscurité est contrebalancée par une légère teinte bleutée provenant de ce qu’Erich suppose être le ciel. 

Celui-ci cherche un nom de rue ou un numéro. Rien. 

Alors où sont ils ? 

Erich avance tandis que Mlle Helm reste immobile comme foudroyée. Il se prend la tête dans les mains et revient vers elle.

— Venez, il y a surement un autre moyen de sortir de cette rue.

À peine a-t-il pu terminer sa phrase qu’il remarque que les deux tours de bois qu’ils venaient juste de franchir n’étaient plus là. À la place, la même rue rectiligne avec les mêmes réverbères et les mêmes immeubles. Seule différence : la route se termine au pied d’un bâtiment immense qui fait guise de frontière. Au dernier étage, une fenêtre semble échapper une pâle lueur. 

Erich n’y comprend rien. Mlle Helm se met à doucement sangloter. Il la prend dans ses bras et tente de la rassurer.

— Ecoutez-moi. N’ayez pas peur, Mlle Helm, je suis là. Nous allons trouver une solution.

— Quelle échappatoire nous reste-t-il ? Hein ? Ne voyez-vous pas que nous sommes pris au piège. Et puis, où sommes-nous ? Vous devez le savoir, non ?

— Je vous mentirais si je vous disais savoir où nous sommes.

Il regarde des deux côtés et réfléchis à la marche à suivre. Son coeur palpite, ses pensées s’affolent. Il se sent perdu ; lui qui avait l’habitude de se jeter dans les tréfonds de Berlin endormie, le voici perdu.

 Il ne sait quel chemin prendre. Mais une sourde répulsion envahit son être à la vue de l’immeuble. Il ressent une envie de fuir loin de ce colosse de béton. Il prend la main de Mlle Helm.

— Cet immeuble ne me dit rien qui vaille. Je sais que cela va vous paraître insensé mais il faut que nous poursuivions notre chemin.

— Pour nous enfoncer dans ces ténèbres ! Vous avez perdu la raison.  

— Je pense que la raison n’a plus droit de cité sur cette route. 

— Vous délirez complètement. Allez-y. ! Partez sans moi. Laissez-moi seule. Je me demande bien pourquoi vous désirez tant que je vous suive.

Erich respire profondément, crispe les poings et lève son regard sur le visage de Mlle Helm.

— Je veux que vous me suiviez parce que j’ai peur… Parce que  je me sens seul, terriblement seul depuis si longtemps ! Et parce que je vous veux à mes côtés. Ne soyez pas étonnée. Nombre de garçons ont dû vous déclarer leur amour mais la seule différence qu’il y a entre eux et moi c’est que vous vous trouvez avec moi à présent sur cette route. Et tout ce que je vous ai dit avant que l’on s’égare ici, tout ce que je vous ai dévoilé comme ce que je vous déclare maintenant, absolument tout, n’a jamais été su de quiconque. Ainsi vous pouvez juger de ma confiance en vous. Je ne suis pas fiévreux, Mlle Helm. Vous aussi vous la voyez, l’avenue obscure où nous sommes. Alors pour répondre à votre question, je vous en pose une autre : Pourquoi vous obstinez-vous à me fuir ?

Cette confession a mis Erich dans tous ces états. 

Mlle Helm est silencieuse.

Elle le regarde, les larmes aux yeux, tremblante. Il s’agit là de la décision la plus importante qu’elle eût à prendre. Dieu sait quel combat se déroule dans l’âme de la jeune actrice.

Soudain.

Le silence se rompt.

— Emmenez-moi.

Sur cette phrase, comme par magie, les réverbères s’allument et découvrent au bout de la route d’autres lampadaires. 

Erich et Mlle Helm se fixent longuement… Puis ils s’avancent, main dans la main, en direction de l’horizon ; conscients de la distance qu’ils leur restera à parcourir, ils savent cependant qu’ils arriveront, un jour, à destination.

Il faut croire que certaines personnes connaissent le bonheur de voir leur rêve se réaliser.

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