Un monde est mort en 1914 – Claudette Tricoire

UN MONDE EST MORT EN 1914

C’était un jour d’été
Comme tous les autres
Quand le tocsin se mit à sonner
Dans tous les villages de France
Dans toutes les villes de France
Il n’y avait ni feu de broussailles
Ni maison qui brûlait
C’était la maison Europe
Qui s’embrasait tout d’un coup
Pour un feu qui allait emporter
Tout un monde sur son passage

 

Alors des garçons de vingt ans
Qui rêvaient d’avenir
Avec la fille rencontrée plutôt
Qui rêvaient sous le soleil d’août
Quittèrent tout d’un coup
Pères et mères
Femmes et sœurs
Et la jeune fiancée
Pour partir à la guerre

 

Ils partirent à la guerre
Laissant leurs vingt ans
Laissant leur jeunesse
Et revêtirent l’uniforme
Prirent leurs armes
Pensant que tout serait
Fini à la Noël prochaine

 

« A Berlin, à Berlin »
Disaient –ils !
Ils ne virent jamais Berlin
Ils virent un coin de France
Dans les boyaux de leurs tranchées
Ils connurent la faim, la soif
La saleté et le froid
Le bruit de la mitraille
Le bruit du canon
Ils virent la grande faucheuse
Qui prit leur vie
Qui leur enleva le camarade
Sans qu’ils eurent le temps
D’un dernier au-revoir

 

Quatre ans durant
Ils connurent l’enfer
Ils virent les copains
Morts près d’eux
« Morts au champ d’honneur »
Comme disaient ces messieurs
Dans leurs beaux uniformes
Ils virent tant et tant
De massacres inutiles
Qu’ils furent vieux
Avant que d’avoir été jeunes
Avant que d’avoir vécu
Tous leurs rêves

 

Quand ils revinrent du front
Et que la guerre fut finie
L’Europe était vêtue de noir
Les femmes pleuraient
Qui un mari, un fiancé, un frère
Et les enfants un père
Ils étaient partis à vingt ans
Ils revenaient déjà vieux
D’avoir trop vécu
Leurs nuits peuplées de cauchemars
Leurs nuits peuplés des camarades disparus
Qui reposaient seuls
Là-bas dans un coin de France

 

Quand le canon se tût
Ils s’en revinrent
Eux qui étaient partis à vingt ans
Et s’en revenaient comme des vieillards
Sans illusion et sans espoir
Seuls avec leurs souvenirs
Seuls avec leurs cauchemars
Un monde était mort
Un monde avait disparu
Assassiné par la furie des hommes

 

Et pourtant
Ils se remirent à espérer malgré tout
Ils se juraient entre eux
Que ce serait la « der des der »
Que le monde deviendrait enfin plus sage
Que de cet enfer
Pourrait naître un autre monde
Un monde de justice et de paix
Mais c’était sans compter
Sur la folie des hommes
Dans vingt ans à peine
Il leur faudrait recommencer
A affronter les forces du mal
A affronter d’autres engins de mort
A combattre d’autres démons

 

Le monde est ainsi fait
Qu’il se détruit lui-même
Que l’on dirait qu’il aime
Que l’on croirait qu’il aime mieux
Détruire et semer la mort

Que de bâtir des ponts pour la paix

Nombre de Vues:

40 vues
S'abonner
Me notifier pour :
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires