Mes années Picpus (fin) – Autobio Tome LVI – Jean-Marie Audrain

LVI – Mes années Picpus (fin)

Je pensais que le père Guitton resterait directeur du Lycée St Michel de Picpus jusqu’à sa retraire, mais la direction de sa congrégation (Sainte Croix) en décida autrement. L’idée était de « désacraliser » l’établissement.

D’une part un laïc fut nommé à sa place, Jacques Guérif, un ancien directeur d’un centre socio-culturel, d’autre part tous les prêtres furent remercié (sur plaintes et soupçons de pédophilie et non seulement selon les bruits de couloirs) et on envisageait d’ouvrir une classe de prépa afin d’être plus performants et de proposer un réel tremplin à l’excellence, ce terme commençant à bien se vendre dans les années 80’.

Au début du premier trimestre scolaire, le nouveau chef des troupes me convoqua dans son bureau : des parents se seraient plaint que je cite saint Thomas d’Aquin en cours de philosophie (c’était un cours de méthodologie et cette sommité en était un maître) et pour cette raison il préférait qu’au trimestre suivant, je cède ma place à un nouvel arrivant et que je m’occupe de la catéchèse au niveau de tout le collège et également pour le lycée de l’annexe de Saint Mandé en Val de Marne sous la direction du très rigide Monsieur Fauconnier. Par ailleurs, se retrouvant sans prêtre, il aurait lancé un appel d’offre qui fut saisi au vol par le père Rémy Leproust de la paroisse voisine appelée L’immaculée Conception.

Cette nouvelle recrue avait demandé carte planche pour fonctionner à sa façon. Alors que j’avais bataillé pour obtenir des demi-classe en catéchèse, celui-ci imposa tout l’inverse : toues les classes devraient se réunir dans l’immense parloir pour écouter son speech. Ce prélat me valut des plaintes de la part des élèves et de leurs parents car il présentait Jésus et son cousin Jean-Baptiste comme des missionnaires de la lutte des classes. Il avait même choisi deux ou trois mamans « de son bord » pour le seconder et avait sollicité leur accord pour faire supprimer les psaumes de la Bible, jugeant ceux-ci dépassés, poussiéreux et inutiles. A la place des cantiques, il décida d’introduire dans le parloir des chansonnettes qu’il diffusait pendant que les élèves étaient invités à représenter un passage d’évangile en pictogrammes. Jésus devenait un triangle bleu virant au rouge quand on le contrariait, par exemple.

Idem pour les chants de chorale. Le Salve Regina, qui ouvrait ses concerts, fut remplacé par Elle a les yeux révolver.

Quand une élève demanda au Père le Proust ce qu’était l’Immaculée Conception, le père Le Proust lui répondit très sérieusement « C’est moi » car c’était le nom de son église. Ce genre d’humour faisait grincer bien des dents.

Une nouvelle fois, je reçus la visite de la petite collégienne Laurence qui me disait qu’il fallait prier pour ce prêtre qui confondait Jésus et Marx et qui prétendait que les psaumes et les monastères ne devraient plus exister.

J’avais encore les classes de 4ème  et 3ème en classe entière et je continuais à les faire interpréter un chant de louange pour ouvrir l’heure de catéchèse. J’avais fait acheter des diaporamas évangéliques du temps du père Guitton et tout cela leur plaisait grandement.

Pour toutes les classes de la sixième à la terminale, j’invitais des témoins remarquables : Monsieur Jean-Pierre de l’association Raoul Follereau qui leur parla de la lèpre et de toutes les lèpres, Serge Perrin le dernier miraculé officiel de Lourdes, frère Thibault mon ami moine de 20 ans qui étonnait tous les jeunes yeux avec ses pieds nus en plein hiver…

Cela ne plaisait ni à la hiérarchie, ni à certains parents qui n’avaient inscrit leurs enfants à St Michel de Picpus  uniquement pour leur réussite scolaire.

J’avais toujours mes classes de second cycle qui semblaient apprécier mes séances d’échanges par demi classes. Jusqu’au jour ou Monsieur Bénard, le responsable des études, me convoqua dans son bureau pour me dire : « Mais foutez leur donc la paix avec vos bondieuseries. N’avez-vous donc pas compris que tous ces garçons n’attendent qu’une chose : le bac afin que leurs parents leur payent une garçonnière ? Bien bosser pour mieux baiser si vous préférez. ».

J’avais une relation assez libre et franche avec mes élèves. Par exemple en terminale A, Philippe Aguesse arrivait en classe avec ses rollers aux pieds, Pierre Bidot me contredisait systématiquement etc. Je fermais les yeux pour les conduire vers une réflexion sur l’essentiel.

Un jour, je décidai de ne rien préparer et de leur parler de l’Esprit Saint, ou plutôt de laisser parler l’Esprit Saint par ma bouche. Je leur ai raconté les merveilles qu’il avait accomplies autour de moi. Huit jours plus tard, Pierre Bidot, qui s’était fait renvoyer pour indiscipline, me donna rendez-vous dans un troquet pour me dire qu’il avait été transformé par cette heure complètement atypique et qu’il pensait demander le baptême croyant avoir rencontré Dieu à la relecture de sa vie. Les semaines suivantes, j’appris que les deux copines du fond de la classe, étaient s’étaient engagée l’une dans un groupe de prière, Claire Gournay, et l’autre à la communauté du Chemin Neuf, Dorothée Grandjean, bientôt rejointe par Béatrice Martinot.

A l’inverse, parents et collègues firent remonter à moi des confidences confirmant le décalage entre la façade et les travers cachés : des réunions anticléricales et politiques en sous-sol, des cas étouffés de pédophilie et d’avortement d’élèves dès la 5ème, la prof de biologie sensée enseigner les méthodes naturelles de régulation des naissance avait eu un enfant avec un élève et l’avait épousé etc.  L’écaille commençait à se fendiller.

La fissure entre l’abbé Bouvier et le père Le Proust devenait un ravin. Je faisais celui qui ignorait tout cela.

Je fus évidemment, malgré tout, sommé de garder le silence à ce sujet.

A la réunion plénière de fin d’année avec les parents, Brigitte Pontoiseau, la chef des études qui répétait haut et fort que le meilleur outil éducatif était le coup de pied au cul, vint m’offrir un livre sur les pierres des cathédrales et annonça à tous que je quittais l’établissement pour rentrer dans les ordres. Une invention mensongère éhontée.

Je suis donc allé la trouver dans le bureau du directeur et les deux m’ont répondu n’être ni curé ni bonne sœur et n’avoir aucune compétence pour trancher en le père Le Proust et moi, et que comme aucun ecclésiastique ne se proposait pour remplacer ce prêtre, c’était à moi de partir. Je revins avec un délégué syndical qui menaça d’attaquer la direction au prud’homme, car suite au mensonge proféré en public, celle-ci n’avait pas déclaré mon départ contraint, ce qui me coupait le droit au chômage. Pour obtenir justice, j’ai quasiment dû jurer sur la bible que je ne porterais pas plainte contre la direction.

L’année suivant, j’appris que le père Rémy Le Proust avait été touché par la grâce et était rentré chez les carmes. Cela faisait l’affaire de tous car St Michel était devenue la boîte à bac de plus qu’attendaient tous les parents d’élèves.

 

 

 

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (509)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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Bruno Van Overtveld
Bruno Van Overtveld
Invité
27 octobre 2023 17 h 45 min

Bonjour, je suis un ancien de St Michel (74/78) j’ai enclenché à 54 ans un processus de dénonciation des actes de pédophilie du père Proust. Même s’il y avait prescription, la congrégation a obtenu les aveux de ce porc. À toutes et tous qui ont été confrontés à l’innommable et à l’abject, une commission de Reparation et d’écoute a été créée. À votre disposition si vous souhaitez en savoir plus. Fraternellement. Bruno

Jean-Do
Jean-Do
Invité
5 août 2021 16 h 38 min

Cher Monsieur,
j’ai été élève de St-Michel dans la première partie des années 60. J’ai été renversé par les nouvelles apprises dans votre témoignage. Elles me détournent de chercher plus d’informations sur ce qu’est aujourd’hui notre cher et vieux collège.
J’espère que vous ne vous êtes pas trop exposé en rapportant tout ceci – mais je vous en remercie, c’est éclairant.
D. C