Mémoires, pages 60 à 62 / 311 – Dominique Capo

Les deux fils de nos arrière-petits-cousins nous ont souvent emboîté le pas. Ils nous rejoignaient dans la cour de leur maisonnée. Nous dévalions ensuite la rue principale dans un sens ou dans l’autre. Car ma mère aimait nous concocter des itinéraires détournés.

Nous avons à des dizaines d’occasions emprunté le sentier goudronné bordant les parcelles herbeuses implantées entre notre agglomération et la suivante ; celle où se trouvaient la seule pharmacie et la seule supérette à des kilomètres à la ronde. En nous aventurant sur le chemin gravillonné passant à proximité de la pâture cernant notre propriété, nous dépassions le cimetière. Nous finissions par arriver à un croisement.

D’un coté, il remontait vers l’artère vitale du bourg ; là où l’église domine. Puis, nous nous en éloignions. D’un autre coté, il se métamorphosait en layon boueux et à peu près praticable tant que les pluies n’avaient pas fait de lui une tranchée boueuse.

Nous nous glissions dès lors sous les fils de fer barbelé empêchant les bovins de s’échapper des prés alentours. Nous choisissions des pâturages vides, bien qu’il nous soit arrivé une ou deux fois d’en traverser deux ou trois peuplés d’animaux. Or, il faut savoir que les vaches sont des bêtes dociles, douces, certes curieuses mais aussi peureuses. Et quand nous croisions leur route, elles ne nous importunaient pas. Tout au plus, cernées de centaines de mouches virevoltantes, elles nous dévisageaient. Quelques unes faisaient un ou deux pas vers nous. Mais nous n’étions les victimes d’aucun incident. Nous avancions sereinement jusqu’à l’autre coté du champs. Nous ouvrions sa barrière afin de le quitter. Ou, quand ce n’était pas possible, nous nous faufilions de nouveau sous les clôtures, avant de continuer à marcher.

Lorsque ma mère en avait assez de nous lancer à l’assaut de ces pistes, d’autres passages existaient. Qu’ils soient forestiers ou herbeux, ils étaient innombrables. Ainsi, plusieurs fois, dépassant les terres où nos arrière-petits-cousins laissaient leur troupeau tout l’Été, nous poussions jusqu’à un lieu dénommé « le Creux de Rénale ». Je ne connais pas l’origine de son nom. En tout cas, c’est un site à la configuration assez particulière. Aujourd’hui entièrement grillagé – il ne l’était pas durant mon enfance -, c’est une gigantesque cavité mesurant une quinzaine de mètres de diamètre. Il transperce le sol démesurément sur une bonne trentaine de mètres. Quand on atteint ses rebords, il est difficile de scruter ses profondeurs. Non seulement celles-ci sont invisibles du fait de sa hauteur. Également parce que les ombres qui le peuplent sont innombrables. Mais surtout, parce que saturent des immondices déversées là depuis des décennies.

Le Creux de Rénale a servi de décharge publique à ciel ouvert. Les habitants des environs y jetaient détritus et ustensiles usagers de toutes sortes. Généralement ils y arrivaient avec leurs utilitaires débordant de paniers ou de cagettes. Ils les y déversaient. Je ne les critique pas, puisque mes arrière grands-parents et mes grands-parents en ont fait de même. Je suppose malgré tout que ce n’est plus le cas puisqu’une haie infranchissable a été façonnée tout autour. Mais lorsque j’y suis passé il y a quinze ans, ses alentours étaient jonchés d’ordures. Y étaient présents des sacs plastique, des déchets alimentaires, de la ferraille rouillée, des panneaux étançonnés de menuisier ou de bricoleur du Dimanche. De plus, des centaines de volatiles ou de rongeurs, s’y étaient établi. Rats et corbeaux en avaient fait leur garde-manger privilégié.

Cet abîme aux parois mal dessinées ressemble à l’une de ces bouches dont on disait autrefois qu’elles accédaient aux portes de l’Enfer. Il y en a plusieurs autres – heureusement non pollués, eux ! – dans la région : le Puits de la Brême, le Gouffre de Poudrey, le Gouffre de Jardel entre autres. Et nombre de rumeurs courent à son sujet : on s’y serait débarrassé de conteneurs de pesticides encombrants. On y aurait balancé des cadavres d’animaux morts de maladies contagieuses. On y aurait déchargé des matériaux de constructions inutilisés ou détériorés, des pneus usés ou des emballages morcelés. Plus incroyable encore, durant la Première Guerre Mondiale, les corps de quelques allemands y auraient été propulsés. Des obus de cette époque les y auraient accompagné. D’autres datant du Second Conflit Mondial y dormiraient aussi.

Je ne les y ai jamais aperçu. Je dois toutefois avouer que je ne me suis jamais approché assez près de ses pourtours pour y discerner distinctement tout ce qui le remplit. La seule fois où je m’en suis soucié, j’y ai uniquement surpris des carcasses de tacots au milieu de la multitude de rebuts divers.

A suivre…

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