Mémoires, pages 52 à 54 / 311, – Dominique Capo

D’autant que mes arrières grands-parents ou mes grands-parents ont eu une nette tendance à s’isoler. Quand ils demeuraient au sein de notre propriété familiale, si ce n’est pour aller faire leurs courses, ils ne se mêlaient pas aux affaires du pays. Que ce soient les fêtes du 14 Juillet, les commémorations du 11 Novembre, les agapes rassemblant tout le monde à la salle de réception de la mairie, ils n’y participaient pas. Chacun savait qui ils étaient, quelle était leur profession, de quelle famille était issu mon grand-père, où il était né, etc. Quand on les croisait, on les saluait. Mais personne, sauf en cas d’urgence, ne se serait aventuré à venir les importuner. Et rares sont ceux, à part nos arrières petits-cousin ayant eu le privilège de partager nos réunions dynastiques ; j’y reviendrai un peu plus tard.

Il n’y a qu’en 2007, que les choses ont été différentes. Lors de l’enterrement de mon grand-père ? pratiquement l’ensemble des résidents ont défilé devant le cadavre de celui-ci . Tous se sont incliné devant lui sur son lit de mort, comme c’est la coutume. D’innombrables personnes que je n’avais jamais vu se sont déplacé. Elles ont souhaité leurs condoléances à ma grand-mère et ma mère. Elles les ont épaulé moralement au cours de la messe et de la mise en terre. Beaucoup sont revenues à la maison pour y boire un verre et se remémorer les instants les plus marquants de l’existence de mon grand-père. Et elles leur ont renouvelé leur sympathie pour les heures tragiques qu’elles traversaient.

Mais je n’en suis pas encore à relater les événements survenus au cours des années 2000. Certes, ils sont remplis de surprises, de tragédies, de moments heureux ou d’expériences riches en émotion. Un long chemin reste pourtant à parcourir avant de pouvoir les aborder en toute sérénité. Revenons donc brièvement à ces périodes de bonheur et d’ignorance qui m’ont animé entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt.

De fait, le coin à champignons de mon arrière grand-père n’était pas très éloigné du village. Il nous a suffit d’emprunter l’un des nombreux chemins de la forêt le surplombant pour y arriver. Après avoir arpenté un sentier boueux, contourné des dizaines d’arbres ou d’arbustes, évité des broussailles aux ronces piquantes, des frondaisons particulièrement basses, nous l’avons deviné. Quelques pas supplémentaires au cours desquels nous avons contourné des blocs rocheux constellés de moisissures multicolores, où nous avons manqué de glisser sur des flaques boueuses apparues avec les dernières pluies, où nous nous sommes hasardé dans des herbes hautes nous montant jusqu’à la taille – ce qui n’était pas difficile vu mon age et celui de ma sœur. Puis, nous avons découvert une clairière éventrant l’obscurité ambiante.

Mon arrière grand-père, lors de l’une de ces promenades, m’a avoué que les rainures que nous discernions de temps en temps au sol avaient une particularité.

Au-dessus de la voie pavée bousculant la montagne boisée, des centaines de pavés volumineux s’encastraient dans le sol. D’ordinaire, ils étaient dissimulés par l’humus ou les épineux mélangés aux plants de fraises et de framboises sauvages. Pourtant, en divers lieux, ils en surgissaient, tels les sommets visibles d’icebergs perforant profondément la glaise. Ils en jaillissaient entre les aspérités du bitume. Ils s’y étalaient par grappes entières. Or, m’avait appris mon arrière grand-père, une quantité d’entre eux étaient des résidus d’une allée datant de l’époque romaine. C’était pour cela que des sillons plus ou moins visibles les éventraient. Ils étaient les ultimes témoignages laissés par les roues des chariots de cette époque. Car, en ce temps là, a-t-il insisté, il s’agissait d’un itinéraire très fréquenté entre l’Italie et la Gaule.

De la même façon que, des années plus tard, j’ai été amené à apprendre qu’un château médiéval en ruines existait non loin de là. La rumeur prétendait qu’il était absorbé par des amas pierreux recouverts de futaies.

Ainsi, la route désertant la localité où nous allions chercher le pain frôlait ses vestiges. D’un coté, se trouvait un calvaire religieux. Composé de douze stations relatant les épisodes de la montée du Christ jusqu’au Golgotha, il aboutissait aux premières hautes ramures rocheuses des bois. De l’autre coté, le décor était le même, sauf que la muraille était à nue. Ce n’était que lorsqu’on s’engageait à l’intérieur des bois perchés sur leurs promontoires, que l’on suivait des rocades brouillonnes et infestées de fourrés, qu’on était censé y accéder. Malgré tout, je peux assurer, pour m’être rendu sur le lieu précis où les on-dit situent les fondations de cette fortification, qu’on n’en distingue aucune trace. Peut-être, y saisit-on les vagues contours d’une clairière délimitant son espace. Mais c’est tout !

A suivre…  ©2017 Dominique Capo

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