Mémoires, pages 50 à 52 / 311 – Dominique Capo

Durant ces années là, mes grands-parents n’ont passé que quelques semaines par an au sein de notre demeure familiale. Le reste du temps, ils ont logé en proche banlieue parisienne, dans une maison qu’ils ont fait construire à leur retour d’Afrique. Le siège de leur entreprise – où ils étaient la plus grande partie de leurs journées – était basé en plein centre de la capitale. Ils quittaient leur foyer très tôt et revenaient très tard. Ils n’avaient que le week-end pour se ravitailler en nourriture au supermarché ou aux halles en plein air de leur agglomération.

C’est pour cette raison qu’ils effectuaient souvent leurs achats alimentaires avec ma mère. C’est aussi pour ça que nous allions dîner chez eux le Samedi soir épisodiquement. C’est pour ce motif que j’y couchais ensuite et qu’ils me reconduisaient chez mes parents le lendemain. Cela leur donnait dès lors l’opportunité d’y voir ma sœur et mon petit-frère de la fin de la matinée au début de soirée dominical.

Je n”ai jamais posé le pied dans l’immeuble où ils ont été employés. Au début des années quatre-vingt-dix, mon grand-père m’a permis d’être engagé un mois dans une des succursales de cette multinationale. Mais, si ce n’est dans ce cas précis, mes grands-parents ne se sont que rarement appesantis sur leur métier. Tout ce que je sais, c’est que mon grand-père y a été un expert-comptable intègre, sérieux et renommé, et que ma grand-mère y a été la secrétaire personnelle de son dirigeant. En fait, ils n’en discutaient uniquement que lorsque mon grand-père partait à l’aventure au Mali, au Sénégal, au Niger ou en Cote d’Ivoire pour y contrôler des extractions pétrolières ou gazières. Car il était très fier de cela ; ma grand-mère aussi.

Quand ils séjournaient dans le Doubs, mon grand-père était heureux d’évoquer ses aventures africaines. Ma grand-mère rappelait divers épisodes de leur longue expérience d’expatriés au Sénégal. Nous écoutions tous sagement. Mon père tentait de briller par son éloquence et par sa culture. Mais généralement, ses mots venaient combler les vides entre deux discussions. En Été, mon arrière grand-père et mon grand-père organisaient des barbecues dans la prairie entourant la maisonnée. Ils l’installaient à une dizaine de mètres de la porte ouvrant sur la cuisine. Ils sortaient la table de jardin ornée d’un parasol, les sièges en plastique et les chaises longues rangées durant la saison froide

C’est à l’issue de tels repas que mon arrière grand-père nous proposait, à moi et à ma sœur, de nous balader dans les bois. Souvent, nous allions chercher du pain au bourg voisin et nous arrêtions fugitivement au grenier. Ils faisaient cuire des grillades, des saucisses, assorties de salades composées ou de salades de tomates. Et tout le monde discutait là, dehors, au Soleil, tandis que mon arrière grand-père et mon grand-père s’activaient autour du feu devant la « Croix Caramel ».Parfois aussi, nous le suivions aussi sur des chemins éloignés. Il prenait alors sa voiture, roulait plusieurs kilomètres jusqu’à l’endroit qu’il avait choisi. Une fois descendu du véhicule, nous progressions au sein de sentiers caillouteux. Nous traversions des arpents boisés où des herbes hautes. Nous enjambions des racines gigantesques, des fourrés épineux, des écueils rocailleux constellés de moisissures verdâtres. Quand nous étions épuisés, nous nous asseyions à l’ombre d’un sapin, au sommet d’un amoncellement de troncs cisaillés plus ou moins récemment par des bûcherons. Mon arrière grand-père nous suggérait de bâtir une cabane. Nous amassions dès lors branchages et feuillages disparates. Nous les installions aux abords d’un arbre un peu plus volumineux que les autres. Nous les attachions ensemble. Nous les recouvrions de lamelles ou de frondaisons couleur de feu. Puis, nous repartions, satisfaits.

Les randonnées dont je garde le souvenir le plus vivace sont, malgré tout celles ayant trait à notre recherche de champignons. Dans ces cas là, mon arrière grand-père nous transportait dans la forêt surplombant le hameau. Ce n’était pas très éloigné. Car nous pouvions y discerner le clocher de l’église. En écartant les ramures des résineux alentours, nous distinguions aisément les toits de tuile, les rues en pente menant jusqu’au bas du bourg, les prés s’étendant de part et d’autre de celui-ci. Nous identifiions notre demeure, entourée de sa prairie, du champs séparé par une barrière de bois qui la prolongeait. Nous y voyions les trois fontaines de installées à intervalles réguliers le long de la large chaussée asphaltée.

L’une d’elles se trouvait en face de chez nous et s’accrochait à une espèce de bicoque destinée aux loisirs des anciens combattants de la commune. Je n’ai pourtant pas souvenance pas qu’il s’y soit déroulé une quelconque activité en rapport avec ceux-ci. Nous y apercevions aussi l’immense bâtisse de nos voisins d’en face, qui étaient – sont – autant des amis que nos arrière-petits-cousins. Puisque dans ce type de région très rurale, qui n’est pas le cousin de son voisin à un degré plus ou moins proche ? Nous y cernions l’enclos sur les hauteurs extérieures du bourg. En son centre se languissait une batterie d’artillerie datant de la guerre de 1870 ressemblant à celles accompagnant aujourd’hui mes collections de figurines historiques. L’ensemble de la paroisse et des lieux-dits voisins, à une dizaine de kilomètres à la ronde s’offrait donc à notre regard.

J’en ai connu chaque mètre carré sur le bout des doigts. A l’heure actuelle encore, je serai capable d’en décrire la configuration les yeux fermés.

Bien évidemment, je n’étais pas un proche de chacune des familles qui y vivaient. La grande majorité d’entre elles y étaient établies depuis plusieurs générations ; voire davantage. Dans des petite communautés comme celle-ci, il était rare que les enfants s’expatrient plus loin que la grande ville d’à coté. Au maximum, ils allaient jusqu’à Besançon ou Sochaux. Je suppose que mon arrière grand-père, mon grand-père, ma mère ou moi étions parmi les rares individus du canton ayant franchi les frontières de la Franche-Comté. Mon arrière grand-père était un « étranger », bien qu’il y ait été bien accueilli et que la population l’appréciât. Mon grand-père était un enfant du pays, un notable. Quant à ma mère ou moi, nous y passions nos vacances de temps en temps, rien de plus. Nous étions différents. Confrontés à des expériences ailleurs en France ou en d’autres territoires que nul dans le village n’avait approché, nous étions inaccessibles. Nous étions respectés, mais rares étaient ceux ou celles qui nous fréquentaient.

A suivre….                                                                                                                                          © Dominique Capo

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