Mémoires, pages 48 à 50 / 311, par Dominique Capo

Souvent, à la saison froide, mon arrière grand-père nous préparait des gaufres pour quatre heures. Je le revois encore, penché au-dessus de sa cuisinière à gaz le couvercle refermé. S’activant autour de son gaufrier antique, moi et ma sœur – mon cadet ne les a pratiquement pas connu – assis à la table de la cuisine. A travers la fenêtre, le ciel était bas. De gros nuages noirs s’accumulaient derrière l’horizon. La plaine disparaissait sous un tapis de neige. En y songeant, j’ai l’impression que c’était il y a mille ans, tellement les choses ont changé depuis.

Mon arrière grand-mère, elle, était spécialisée dans la soupe aux choux. Je me revois, assis dans la cuisine. Mon arrière grand-mère posait sa soupière sur la table. Elle enlevait le couvercle. Et aussitôt, une douce fumée odorante s’en échappait. Elle s’emparait alors d’une grosse louche, tandis que mon arrière grand-père ou ma grand-mère découpait des morceaux de pain. Nous les déchirions pour en faire de petits morceaux que nous dispersions au fond de notre assiette creuse. Puis, plongeant sa louche dans la soupière, elle l’en ressortait dégoulinant de soupe chaude, de lard, de choux. Et elle remplissait nos écuelles jusqu’à ras-bord. Nous remuions ce qu’elle nous avait servi afin que le pain s’en imprègne. Et finalement, nous nous en abreuvions. Nous la dégustions comme le plus fin, le plus délicieux des mets. Mon Dieu, que ne donnerai-je pas pour en remanger aujourd’hui. Des soupes comme celle-ci n’existent plus hélas !

Ce sont des images empreintes de nostalgie perdues dans le brouillard ; des instants fugitifs au cours desquels rien de mal ne peux advenir . Le sont les ombres d’un cocon protecteur que nous aimerions voir nous envelopper à nouveau tout en sachant que c’est impossible.

Régulièrement aussi, mon arrière grand-père nous emmenait en promenade. Souvent, il nous convoyait au village voisin à pied. Car c’était celui-ci qui possédait la boulangerie la plus proche de chez nous. Généralement, il nous fallait une bonne heure pour l’atteindre, puis, pour en revenir. Nous partions aux environs de dix heures du matin. A mi-chemin, nous nous arrêtions devant ce que nous nommions alors « la Croix Caramel ». C’était – c’est, car ce lieu existe toujours – un ornement chrétien de pierre d’environ un mètre de haut. Il était posé sur un socle rocheux. La France en est parsemé. La Croix Caramel émergeait du talus bordant la route. Des broussailles touffues et des fourrés l’environnaient Et, arrimés à une roche assez lourde pour qu’il ne s’envole pas, nous y déposions les papiers du bonbon que mon arrière grand-père nous avait offert en chemin.

Combien de fois avons nous usé de ce rituel ? Je ne sais pas ! Des dizaines de fois, probablement. Il est d’ailleurs possible que, malgré toutes les années qui se sont écoulées depuis, que malgré les intempéries, il y en ait qui soient toujours en place. Je ne me suis plus arrêté devant ce statuaire depuis la disparition de mon arrière grand-père au début des années quatre-vingts. Pourtant, c’est souvent que nous sommes passés à proximité en voiture. Mais l’occasion ne s’est jamais présentée de l’inventorier depuis. Malgré tout, si elle m’était donnée, je ne manquerais pas de vérifier ma supposition.

A l’Automne, mon arrière grand-père nous a occasionnellement emmené dans la forêt implantée sur les hauteurs du hameau. Nous quittions notre propriété après le déjeuner et la fin des informations télévisées. A l’époque, il faut se souvenir qu’il n’y avait que trois chaînes. Nous regardions la télévision dans la salle à manger-salon coté prairie. Le récepteur s’y trouve toujours. Mais avec l’évolution de la technologie dans ce domaine, il ne doit plus rien diffuser. Nous y visionnions des feuilletons comme « Dallas », des émissions comme « Intervilles » ou « les Jeux de vingt heures ». Le choix n’était pas très étendu, mais nous nous en contentions.

Je revois leurs fauteuils de cuir usé ; ils sont encore à leur place. Je réentends le tintement si particulier de l’horloge comtoise de la cuisine qui y retentissait toutes les demi-heures. Je revois les tableaux des murs couverts de boiseries, l’habitacle à l’intérieur duquel ils rangeaient leur vaisselle la plus précieuse. Je revois aussi le tapis sous la table de la salle-à-manger autour de laquelle nous déjeunions le Dimanche midi ou quand ils recevaient des invités. Ces repas interminables qui duraient des après-midi entiers, à évoquer le temps où ils travaillaient ; que ce soit en région parisienne ou en région lyonnaise. Ces discussions sans fin où mes grands-parents, encore en activité, parlaient des forages pétroliers de la société qui les employaient. A cette date, mon grand-père y était en effet expert-comptable, et il a souvent été dans l’obligation de voyager aux quatre coins de l’Afrique de l’Ouest. Il y supervisait les investissements financiers ou les dépenses des sites qui y gîtaient. Une fois, il s’était rendu en Algérie, je me souviens. Il en avait ramené de plans de dattiers entiers ; ils étaient à l’intérieur de couvertures et protégés par des rameaux de bambous.

A suivre…

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