Mémoires, pages 42 à 44 / 311, par Dominique Capo

C’est d’ailleurs pour cette raison que le jour où je lui ai menti pour qu’elle me donne un billet de cent francs – une somme non négligeable en 1986 ou 1987 -, je n’étais pas fier.

C’était quelques semaines après la rentrée scolaire. Il pleuvait averse. Et comme d’habitude, le jour précédent, je m’étais rendu dans la petite librairie se trouvant sur le trajet du lycée. De nouveaux livres dont vous êtes le héros venaient d’être publiés. Je ne possédais pourtant pas assez d’argent de poche pour les acquérir. Et j’ai dit au vendeur de me le garder en attendant que je puisse venir les récupérer.

Ne pas avoir la possibilité de les posséder m’a torturé toute la journée, toute la soirée, et certainement toute la nuit suivante. Comment allais-je me débrouiller pour amasser la somme nécessaire à cette transaction. J’étais torturé : que plusieurs ouvrages auxquels je vouais une passion sans bornes puisse m’échapper relevait du supplice.

C’est alors que j’ai eu une idée : au mois de Septembre, la plupart des professeurs exigent de leurs élèves qu’ils achètent des livres scolaires. En fait, ils leur donnaient une liste. Les étudiants la montrent à leurs parents, qui les leur fournissent. Je ne sais pas si ce système est toujours en vigueur, mais au cours des années quatre-vingts, c’était de cette manière que cela fonctionnait.

Moi, j’en avais fini avec les revendications de mes enseignants depuis près d’une ou deux semaines. Malgré tout, ce matin là, juste avant de quitter mon domicile, j’ai expliqué à ma mère que l’un d’eux en réclamait des supplémentaires. Ma mère s’est écrié, m’a interrogé si cela allait durer encore longtemps. Je lui ai affirmé que c’étaient les derniers, et qu’après ceux-là, il n’y en aurait plus. J’ai tout de même souligné qu’il me les fallait le plus tôt possible. Or, nous étions en plein milieu de la semaine, et j’étais conscient que nous ne pourrions pas aller ensemble à la librairie la plus proche avant le Samedi suivant. Dès lors, bien qu’elle était réticente à me confier une valeur monétaire aussi élevée, elle m’a tendu un billet de cent francs ; que j’ai aussitôt précieusement rangé dans la poche intérieure de mon blouson.

J’étais mal à l’aise, je l’avoue. Ma mère ne s’en est pas rendu compte, mais j’étais très tendu. Et avant de me lancer dans ce que l’on peux décrire comme une honteuse manipulation, j’ai longtemps hésité. Non seulement, j’avais peur que mon subterfuge soit mis à mal, mais j’étais aussi terrifié à l’idée de me faire réprimander. Ou pire encore, que cette tentative ne parvienne jusqu’aux oreilles de mon père. Là, je n’aurais pas manqué de recevoir une gifle monumentale de sa part, comme c’était l’habitude à chaque fois qu’il intervenait.

Pourtant non ! Ma ruse a été efficace. J’ai laissé ma mère sur le pas de la porte du pavillon. J’ai rejoint l’arrêt de car. Lorsque le bus s’y l’a accosté pour permettre aux élèves d’y grimper, je m’y suis engouffré. Je me suis assis , attendant impatiemment qu’il nous mène à destination. Une fois à l’arrêt de car proche du lycée, j’en suis descendu précipitamment. Le cœur battant la chamade, je me suis mis à marcher avec vigueur. J’ai atteint la librairie où m’attendaient les précieux livres dont vous êtes les héros. Et avec les cent francs en ma possession, ils sont devenus miens.

Je n’ai jamais renouveler ce genre de machination. Trop éprouvante pour les nerfs, je n’étais quelqu’un qui en retirait une quelconque satisfaction. Je n’ai jamais été – je ne suis pas – une personne malhonnête. C’est une façon d’agir que je réprouve au plus haut point. Et pour en avoir été victime, je sais quels dégâts ce comportement peux engendrer. J’y reviendrais dans un chapitre ultérieur. Peut-être que certains individus ne voient pas où est le mal, que leur conscience ne les déchire pas ? Peut-être leurs intrigues sont t’elles pour eux source d’exaltation et de fierté ? Ce n’est pas mon cas. J’étais embarrassé et penaud d’y avoir été contraint. Mais bon, comme je l’ai déjà expliqué, il y a des événements dans notre vie dont nous pouvons nous honorer, d’autres pas. Celui-ci appartient à cette seconde catégorie…

A suivre…

Nombre de Vues:

12 vues
S'abonner
Me notifier pour :
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires