Loin des yeux, près du coeur – L’adresse en trop – Autobio Tome XXV – Jean-Marie Audrain

XXVLoin des yeux, près du coeur – L’adresse en trop

Pré-ado et ado, j’étais un fervent lecteur de l’hebdomadaire Record, publié par Bayard Presse. Quand celui-ci adopté le format d’un quotidien, j’en ai profité pour lui envoyer une suggestion de nouvelle rubrique dans laquelle les lecteurs pourraient se présenter. L’article fut aussitôt publié, mais, à mon grand étonnement, y apparaissaient mon nom et mon adresse postale. En une semaine, j’ai reçu 400 lettres de lecteurs totalement inconnus, de la France entière. En sus de cela, y figurait une photo d’un inconnu qui a vraisemblablement attisé l’envie de me répondre.

J’intitulais mon encart « Je suis gai, vif, et vous ? ». Je vous en partage ici quelques lignes :

« Je pense également qu’il serait primordial que les lecteurs de « Record » se connaissent un peu mieux. Il serait peut-être bon que, de temps en temps, un lecteur se décrive tel qu’il se voit.

J’inaugurerais volontiers cette rubrique : je suis gai, vif et ne comprends pas ceux qui se lamentent (car la vie est belle même pour les plus pauvres d’entre nous, du moment que l’on poursuit un idéal). J’aime la musique classique, pop également. J’aime en jouer, ça me détend, une demi-heure de guitare électrique sur des rythmes déments délasse autant qu’une heure de sport. J’aime tous ceux qui m’entourent et désirerais tous bien les connaître. Je suis mal compris par mes amis. Je voudrais faire profiter tout le monde de mes connaissances et de mon bien. Je n’aime pas me montrer « tel » que je suis de peur d’être critiqué. J’aime me réfugier dans la solitude. Seules les filles me com­prennent un peu et je les comprend. Je déteste la violence. Je rêve d’un monde où la paix et l’amitié seraient souverains. »

J’ai répondu aux 400 lettres provenant majoritairement de filles, mais aussi de quelques garçons. D’ailleurs, deux ce ceux-ci se sont invités plusieurs fois d’eux-mêmes chez mes parents le week-end. Je les citerai en premier : Bertrand, de Puteaux, et Hervé, de Nantes.

Hervé ne vivait que dans l’espoir de percer comme chanteur d’opérette. D’ailleurs à peine arrivé, il se rua sur le balcon et entonna à pleine voix : “Comme la plume au vent… ». Un autre jour, il me suivit à une soirée très select chez deux sœurs de ma résidence. A peine entré, il s’improvisa chef de cabaret, plaçant sur des canapés et des cousins tous les invités et mes deux amies invitantes. Il fit d’un coin du séjour sa scène et enchaîna de nombreux extraits d’opérettes devant une petite assemblée médusée. Lorsque, vers minuit, les parents rentrèrent, Hervé alla leur ouvrir la porte et leur déclara le plus solennellement du monde : « messieurs-dames, vous arrivez en retard, mais par bonheur je vous ai réservé deux poufs » Le couple BCBG joua le jeu et s’assit pour écouter et applaudir leur artiste sans complexe.

Quant à Bertrand, il mériterait un tome à lui tout seul. Il arriva un samedi en mobylette, sonna, rentra et s’installa sur le canapé pour retirer ses chaussettes et se masser les pieds. A ce moment-là seulement il nous dit, nous voyant grimacer, surtout à cause des effluves de transpiration : Je suis Bertrand, le gars de Puteaux qui a répondu à Jean-Marie. Il revint se masser les pieds tous les samedis pendant des années, une fois chez moi, une fois chez ma voisine Corinne, car il disait aimer autant les hommes que les garçons manqués.

Coté filles, il y en avait pour tous les goûts, de toutes les couleurs, de toutes les senteurs et de toutes les longueurs, avec ou sans photo d’identité. Je parle des lettres bien entendu. Comme elles venaient de toute la France, j’étais doublement comblé, à la fois pour mettre un visage sur chaque région étudiée en cours de Géographie et pour ma collection de timbres oblitérés de la métropole. Je vais vous épargner la litanie de tous ces prénoms et juste retenir les deux plus marquants, ceux qui ont abouti à une rencontre amicale. Tout d’abord Pascale, la blonde de Saint-Nazaire. Nos échanges étaient aussi épistolaires qu’épisodiques. Elle me parlaient beaucoup de relations tendues avec ses parentes, jusqu’au plus court de ses courriers quatre ans ans : SOS viens au plus vite ! Avec une adresse inconnue. J’ai sauté dans le premier Boeing et un inconnu m’attendait en fin de journée à l’aéroport de Saint-Nazaire. En montant dans la vielle 4L de ce taiseux, j’avais flairé qu’il était en état de manque. Il a fait plusieurs détours par des maisons isolées pour y rencontrer des silhouettes peu rassurantes. Une bonne heure plus tard, il se garait devant l’immeuble dans le quel Pascale m’attendait. Elle était avec un demi douzaine d’homme à même le sol avec des hommes ayant tous un joint au bec et écoutant du rock psychédélique au maximum de volume. Dès qu’elle m’a aperçut, Pascale se leva et me prit à part d’ans l’entrée pour tout m’expliquer : après le bac, elle ne voulait plus retourner chez ses parents et elle fut hébergée par un groupe de babas cools qui squattaient cet appartement où ils fumaient de la marijuana du matin au soir et du soir au matin. Le problème actuel était double : expulsion prévue le lendemain et les dealers du port qui prétendaient ne plus avoir d’herbe en stock et leur proposaient des drogues dure. Le lendemain matin, inventaire des tentes et des gamelles, et nous voilà tous partis squatter le campus du lycée. Le manque grandissant ils en devenaient aigris, parfois agressifs, et envisageaient de céder au chantage des dealers. Sans hésiter, j’ai appelé mon ami Michel qui, lui aussi, a sauté dans le prochain Boeing en m’apportant ma guitare prise au passage chez mes parents. Nous avons fait comme nous le faisions entre nous : nous nous sommes mis à chanter des chansons bien toniques et bien gaies : tout l’album Almanach de Malicorne et aussi les grands succès de la bonne vieille chanson française (Aufray, Clerc, Dutronc etc). Ces jeunes nous ont demandé d’où nous venait cette joyeuse énergie qu’il nous enviaient. La réponse fut donnée le soir même lorsque nous les invitâmes à un fest-noz. Les jours suivants, ils ont découvert le plaisir de chanter, de rigoler de tout et de rien, de supporter le manque en le compensant par des cigarettes. Moins d’une semaine plus tard nous les avons remercié de leur accueil, Pascal pour notre présence, et nous avons tous deux prix le premier Boeing direction Orly.

Autre relation épistolaire durable : Christine de Neuves Maisons en Meurthe et Moselle. J’ignorais à quoi elle pouvait ressembler, mais je savais tout de son écriture avec des pleins et des déliés couvrant des lettre de 6 à 8 pages. C’était une passionnée de littérature, surtout de poésie française, et elle me faisait le compte rendu de ses émotions à la lecture des grandes plumes. Grâce à elle, j’ai cru avoir lu tout Lautréamont, surtout ses Chants de Maldoror qui la faisaient rêver toute éveillée. Durant plus de 4 ans nous avons échangé de longues missives sur nos ressentis. Cette écorchée vise semblait encore plus intarissable que moi. Elle me proposa de la retrouver dans un café à coté de la Samaritaine lors de son passage à Paris. Proposition qui ne se refuse pas. J’ai eu l’impression de m’asseoir face à une inconnue. Autant ses lettres sans fin étaient des plus féminines dans le fond et dans le forme, autant cette jeune femme aux cheveux bruns coupés au plus court ne me parlait pas. Dans mes souvenirs, je pense n’avoir entendu sa voix prononcer une seule chose : « Merci pour le thé ». L’au revoir qui s’ensuivit sonnait déjà comme un adieu. A quelque chose écrire est bon. A condition de ne pas s’attacher et surtout de rester cachés. Peut-être s’attendait-elle à voir le blondinet de la photo apposée abusivement en haut de mon article dans Record ?

Ce qui est sûr, c’est qu’aucun autre autoportrait n’a fait suite au mien dans ce magazine. Soit parce que tous les lecteurs on préféré m’écrire directement, soit parce que le service des lecteurs de Record a reçu cent fois plus de lettres que moi. A m’en faire demander si je ne suis pas passé à coté de ma vocation. Un siège m’attend peut-être toujours chez Bayard Presse pour la rubrique du Courrier du coeur.

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (509)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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3 Commentaires
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Hervé Outil
Membre
5 décembre 2020 15 h 16 min

En effet étonné mais cela ne me surprend pas. Vu déjà ton parcours scolaire et ta vie regieuse. Mais as-tu fait beaucoup de séminaires de paroles comme cela ? Mes parents en faisaient beaucoup aussi.

Grant Marielle
Invité
1 décembre 2020 7 h 03 min

Vraiment très amusant de lire ce chapitre de ta vie, Jean-Marie! Et dans ton encart dans l’hebdomadaire Record, on décèle déjà plusieurs traits de ta personnalité d’adulte!