Lettre à une inconnue – Val Reval

   Mon dieu, la beauté existe : je vous ai vue pendant une heure devant moi.

   Je vous le dis, c’était comme si toute mon existence n’avait été vécue que dans l’attente de ce moment-là. Comme si cet instant, si tant est qu’il puisse être contenu dans une échelle de temps, était LA révélation si attendue, tant espérée, mille fois imaginée pendant toute une vie, toute une patiente vie à tenter de discerner la beauté, à parfois la deviner, l’effleurer, sans jamais tout-à-fait la saisir, à la rechercher fiévreusement dans la contemplation de tout ce qui existe et croît sur cette terre, à la nommer, à la prier…sans l’avoir jamais autant ressentie ainsi intérieurement qu’en ce moment, mentalement, physiquement, totalement, intensément.

   L’entendez-vous, mon âme ne s’en remet pas.

   Maintes fois pourtant j’ai eu la conviction d’étreindre la Plénitude véritable, celle qui marie l’esprit au sensible, l’indicible impalpable vers lequel convergent les poèmes, et que véhicule parfois la musique.

   Souvenez-vous, l’église était pleine à craquer en ce lourd dimanche pluvieux. La raison de ma présence en ces lieux ce jour-là, dans cette ville inconnue, sur cette terre inconnue, parmi ces inconnus, je vous le dirai un jour si le destin nous accorde la faveur d’une nouvelle rencontre.

   Et miraculeusement vous étiez là.

   A quelques mètres, une distance insupportable. Mon cœur s’est soudain arrêté de battre. Une désintégration surgie de nulle part. Puis subitement, un tsunami brutal, déchaîné, comme une vague démesurée balayant une cité entière, en une seule seconde s’est abattu sur mon cœur.

   Je vous revois, simple, élégante dans votre robe sombre, une nuque sublime de reine se courbant imperceptiblement au moment des prières. Des traits d’une rare finesse qu’illuminaient des lèvres dessinées sous un sourire naissant, retenu, que je devinais pourtant si prompt à vivre toute la fureur éclaboussante de la vie. Vos yeux, miracles d’intense luminosité, astres brillants témoins éloquents d’un langage jamais traduit.

   Je ressentais ardemment votre présence. Les minutes passaient, la cérémonie défilait, et nous étions seules au monde dans cet espace atemporel, absolument seules.

   Voyez-vous, il m’était impossible de vous regarder plus que de raison et inenvisageable de vous adresser la parole. Vous en saurez la cause un jour si le destin nous accorde la faveur d’une nouvelle rencontre.

   A un moment me décidant à lever la tête, je vous ai vue tournée vers moi délibérément, l’espace d’une seconde, et nos regards se sont croisés avant de fuir décontenancés dans une autre direction. Une seconde terrible troublante irréelle. Un trouble qui je le réalise aujourd’hui, sans doute ni pour vous ni pour moi n’avait de nom. Il était évident que ce moment éphémère demeurerait suspendu dans l’air.

   A la fin de l’office, alors que vous quittiez l’église parmi les derniers, je retrouvai ma respiration. Je m’apprêtais à laisser les lieux à mon tour quand soudain je sus immédiatement que vous étiez revenue.

   Assise à quelques bancs derrière moi, seule, vous attendiez en me regardant. Et quelle solitaire présence en cet espace déserté, fixant au-delà de ma chair mon cœur dévasté !

   Miraculeusement vous étiez là.

   Ce n’était pas un rêve, le fruit d’un irréel persuasif ou d’un imaginaire confondant. Pensive, calme, paisible, prête j’en suis certaine à convaincre le destin que vous ne craigniez pas l’avenir, que vous ne le redoutiez pas, aussi singulier fut-il dans votre vie rangée, ordonnée, peu préparée à l’exception.

   Vous attendiez, patiente, me regardant silencieusement, et je savais qu’il fallait saisir cet instant, l’arracher du présent, le retenir à tout prix. Oui tout balayer et seulement vous aimer, vous aimer autant que l’amour peut être vaste, infini, inépuisable.

   Mais je passai sans vous regarder, sans m’arrêter, chancelante, livide comme une morte, sans même oser soutenir votre regard. Je vous en expliquerai la raison un jour si le destin nous accorde la faveur d’une nouvelle rencontre.

   De longues heures plus tard, le cœur en miettes, je suis revenue autour de l’église, guettant une trace quelconque, cherchant dans le décor un témoin, un message dans les yeux des passants, une lettre peut-être un mot, un infime signe…mais peine perdue, il n’y avait rien. Le lendemain, j’ai quitté cette ville inconnue, ces inconnus, cette terre inconnue.

   Je ne vous ai jamais revue.

   L’entendez-vous, mon âme ne s’en remet pas.

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Ecrire est pour moi une urgence qui se manifeste à toute heure.

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Invité
20 avril 2018 19 h 32 min

Belle et captivante histoire qui touche le coeur bravo pour ce bel écrit Val.

Philippe Correc
Membre
20 avril 2018 12 h 22 min

Très prenante cette histoire. Parfois la raison l’emporte sur la passion. Et les regrets prennent place… mais qui sait ce que vous seriez devenue si…
A bientôt pour d’autres histoires.
Phil

Anne Cailloux
Membre
15 avril 2018 21 h 27 min

Quel regret, c’est frustrant, mais de bien beaux mots..
@nne

Invité
29 mars 2018 21 h 32 min

Très belle lettre !
Beaucoup d’émotions et de sentiments à sa lecture
Bravo Val, c’est « magique »
Merci
Bises

Chantal

O Delloly
Membre
29 mars 2018 21 h 13 min

Val, c’est très beau de sa mélancolie, de son étrangeté, de cette lumière diffuse dans une église qui se complait à apercevoir de la beauté que seul nous “apercevons” du fait de sa place. C’est très beau de sa pudeur, de l’osé du cœur et de ce “pas” arrière nous changeant de route, de son mystère à franchir la porte…..
Merci pour avoir osé nous partager cet instant ou la beauté s’exprime, nous invite de tendre la main..
j’adore
Bise
Oli

Laurent Vasicek
Membre
29 mars 2018 2 h 02 min

ça fait penser à une nouvelle de Stefan Zweig “lettre à une inconnue” ou “à une passante” de Baudelaire
Merci beaucoup :)