Les pavés de pigalle. Anne Cailloux

Dans cette avenue surveillée par le diable, l’offrande d’une nuit d’ivresse flottait dans l’air du temps.
Devant la cigale, des notes charnelles vous montaient droit au cœur, sous les yeux de Mistinguett que plus rien ne choquait.

Les bananes swinguaient aux sons d’un bas de rein endiablé. Belle, noir, nue et sulfureuse, que demander de plus !
Dans ce coin aux milles plaisirs, l’accent de l’île de beauté traînait dans toutes les rues.
À quelques pas de là, le chasseur des trois magôts ne payait pas de mine mais il fut croqué par Toulouse Lautrec.

Il fallait se méfier de sa maigreur, comme un clou il était ;

fallait être marteau pour travailler dans ce lieu où alors c’était du vice.
Parfois la nuit porte jarretelle, alors la belle Lulu venait lui parler d’amour, certains soirs, il y a de la tendresse dans l’air, bordel !
Le vice et la vertue réunis, mais dans un sens improbable.

 

Entre les gaz et les klaxons des voitures, les belles de nuits se déhanchaient aux tintements des escarpins.
Au milieu de la Place Pigalle, un tripot trônait en face du Moulin Rouge. A sa gauche, une palissade de chantier permettait à certains, de se faire la tangente, quand la grande maison faisait son apparition. Ils voyaient 36 chandelles.
Traction avant et flics derrière.. d’où l’expression.

 

Quand la nuit tombait des volutes de fumée sculptaient des formes psychédéliques alors, les esprits s’envolaient dans d’autres cieux. Ici c’était comme au confessionnal, en mieux et trônait au mur, les trois singes .
Ici, truand, julot, fleur de nave, fille de joie, bougnats, tout le monde se mêlait sur un fond de musique Corse.
L’ancien proxo Dédé l’anguille, jouait tout les soirs son plus beau rôle, ou d’où moins le plus vrai, le nécessiteux.

Il pleurait sur l’épaule de Natacha lui disant qu’ont voyait quand il buvait, mais pas quand il avait soif.
il était souvent plein, devant un verre vide, mais jamais le contraire.
Éternel serment du dernier verre, comme un exil inévitable, il savait que bientôt, ce serait le dernier.
Sous les yeux d’Arthur Rimbaud, un voyou narrait sa soirée au poète. Un aveugle l’avait critiqué, bon prince,

il n’avait pas voulu se salir les mains, lui disant simplement « va te faire voir ». L’enfant d’apollon écoutait tous les potins en attendant son mentor : Paul Verlaine.
Marginal, anti-bourgeois, libertaires, ce lieu, leurs allaient comme un gant.

 

Assise à ses côtés, Nini les gambettes venait réchauffer le porte monnaie comme elle disait. Son barbot n’était pas loin, la casquette sur la tête, il paradait devant un vieux capitaine, qui s’était endormi sur un coup de barre.

 

Le patron savait que ce temps ne durerait pas, ce soir la nostalgie c’était installé dans son cœur, il fermerait son bar et irait voir la belle Marie.
Il sourit devant la phrase qui trônait au mur de chez lui. Non de Dieu que c’était vrai !

 

Si les hommes viennent de Mars et les femmes de Pigalle, t’as trouvé la plus dingue des espèces infernales.

Hubert-Felix Tièfaine

Pigalle était une fois encore la Reine de la nuit…

 

Anne Cailloux

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Anne Cailloux

Anne Cailloux (334)

Depuis ma naissance, je fus autodidacte et trop rêveuse.Spécialiste dans l'art thérapie et les maladies neurodégénératives, j’essaie de retenir le temps des autres et du mien.. Quelques diplômes, une passion pour l'art et les poètes. J'ose dormir avec Baudelaire.Je suis une obsédée textuelle . Je peins, je crée et maintenant j’écris. Je remets cent fois mon ouvrage pour me corriger. De quinze fautes par lignes je suis passée à quinze lignes pour une faute... Deux livres en préparation et peut-être un recueil de poèmes, si Dieu veut.Anne
Je suis une junky des mots..

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9 Commentaires
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Invité
4 mai 2019 7 h 22 min

J’ai beaucoup de respect pour ces femmes qui ont aussi un coeur et qui souffrent. C’est un très beau texte.

Christian Satgé
Membre
4 mai 2019 7 h 14 min

Une évocation sans fard de ce lieu devenu mythique du Parais Canaille où la gouaille des marlous et l’audace de leurs poupées enchantent encore des chansons éternelles et des pellicules las oubliées souvent. Merci et bravo, Anne, pour ce petit retour nostalgique

O Delloly
Membre
3 mai 2019 22 h 44 min

merci Anne pour ce moment de l’histoire sous vos mots reconnaissables
OL