Les Gueux – Christian Dumotier

LES GUEUX

Le ciel faisait ses gammes chromatiques

dans des glissements de magma généreux

il se penchait avec tendresse

sur les clameurs de Paris

qui affichait sa révolte

Les voitures s’embrasaient

comme des boutons d’or

dans l’herbe noire des ruelles

Les clameurs flottaient en bouquets de désespoir

portées à bras le cœur

par les gueux

les méprisés

les invendus

par les réfractaires

les illettrés

les fainéants

les cyniques

portées par la foule en gilet de lumière

comme un bonheur à la boutonnière

Le roi se cachait dans ses dorures sucrées

le roi répétait sa divine comédie

devant ses vassaux fantômes

Le roi accrochait un rictus de compassion

dans l’épaisseur des maquillages

trop blêmes pour être heureux

Le roi cachait mal sa nudité

sous ses oripeaux de suffisance masquée

et ses menaces pleines de tumeurs assassines

Dehors on jouait à la chasse à courre

La meute des loups noirs

crachait ses venins de gaz

et ses balles qui embrasaient les corps

dans des douleurs de fin du monde

Le tableau était d’une beauté sinistre

dix morts

trois mille blessés

trois mille embastillés

cent cinquante enfants humiliés

Mais partout en France des crocus d’espoir

avaient poussé sous l’ivresse des cabanes

Les gueux portaient haut le jaune

ils fleurissaient les ronds-points

comme les premières jonquilles

ils parlaient à n’en plus dormir

ils avaient le respect perché dans les yeux

ils dessinaient l’avenir

sur le papier blanc des solidarités

effaçant les rides bien mal acquises

dans les gerçures de pauvreté.

Les gueux avaient la vie au bout des lèvres

la renaissance comme un bijou

dans le luxe des mots de cœur

©Christian DUMOTIER

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