Les filles des pèlerinages – Nathalie – Autobio Tome XXXIII – Jean-Marie Audrain

XXXIII – Les filles des pèlerinages – Nathalie

Cette année là, le pape avait proposé aux étudiants de France de le retrouver à Castel Gandolfo, sa résidence estivale du Vatican. Pour répondre à cette invitation, les CEP avaient organisé un pèlerinage pédestre entre Assise et Rome. J’accueillis à cette époque deux jeunes soeurettes venues se renseigner sur cet évènement au CEP Sorbonne. J’ai profité de leur visite pour leur apprendre que j’envisageais d’organiser avec des amis un mini tour d’Italie avant et après ce pèlerinage car il me semblait dommage de faire un si long voyage pour seulement 8 jours de marche au coeur du pays sans en découvrir les belles régions latérales ouvrant sur les deux mers baltique et Méditerranée.

Mon idée sembla les réjouir, mais il leur fallait l’accord de leur maman, aussi m’invitèrent-elles chez elles au Raincy afin que je lui présente l’ensemble du projet. Elle m’avaient donné leur adresse et leur numéro de téléphone.

Il me fallut 20 minutes de marche pour aller de la station de métro à la grande et belle maison qu’occupait cette famille bourgeoise. Leur maman me reçut autour d’un thé et me présenta sa troisième fille qui pourrait-être intéressée par ce double périple. J’avais devant moi Stéphanie, la plus jeune brune avec encore des bonnes joues de bébé, Nathalie aux yeux de braise et aux cheveux châtains et Sylvie l’aînée, la seule blonde aux allures de top modèle. Cette dernière se présenta en déclinant sa qualité première et son défaut majeur : elle était musicienne, flûtiste, et avait un fiancé. A cause de lui elle ne pensait pas participer au pèlerinage.

Leur maman nous partagea une autre proposition entendue sur la jeune Radio Notre Dame : Irène, une journaliste du Pèlerin – clin d’oeil ou hasard – avait créé un courant d’amitié pour les lecteurs de sa rubrique et l’avait baptisé du même nom : Entre Jeunes. Elle proposait un rassemblement de tous les jeunes intéressés par ce courant la première semaine de Juillet à Sarlat. Il finirait quelques jours avant notre pèlerinage. Stéphanie et Nathalie s’enthousiasmaient par tous ces projets qui se présentaient comme autant d’opportunités pour s’émanciper du giron de leur mère qui se présentait comme une maîtresse femme. D’ailleurs, il n’était pas question pour elle de faire la vaisselle ni d’acheter un lave-vaisselle : cette tâche revenait à son mari, qui étant médecin et fonctionnaire à la SNCF, pouvait ainsi utilement se rendre utile durant son temps libre. Vaisselle à l’eau froide, évidemment, car l’eau chaude non seulement « coûtait », mais laverait moins bien…

Afin de préparer mon pèlerinage hors le pèlerinage officiel, je devais réunir plusieurs fois, ici et là, mes amis s’étant portés volontaires. En sus des deux sœurs, il y avait mon ami d’enfance Thierry, mon amie Anne et Jean-Michel qui se présenta à la place de mon ami Jean-Louis en tant que son copain de faculté. Le feu couvait dans le coeur de Nathalie et dans le mien, mais c’est lors de cette première réunion que nous fumes convaincus d’avoir la même vue sur toute chose et sa soeurette Stéphanie, flairant ce rapprochement, déclara devant tout le monde : « comme papa dit toujours, impossible que Nathalie n’embrase par le coeur d’un homme avec de tels yeux ».

Tant pour Sarlat que pour l’Italie, nous peaufinèrent nos agendas et nous dressâmes la carte de notre périple, je dirais surtout Nathalie et moi, car nos mains comme nos coeurs devenaient inséparables vu qu’entre ces réunions, elle m’invita encore dans sa splendide maison. Ces deux séjours ne rempliraient pas nos deux mois de vacances, aussi cherchions-nous des idées pour palier cette lacune. J’avais mes entrées auprès du responsable des centres de vacances de la préfecture de Paris via mon ami Jean-Marie. Il trouva pour moi une place de directeur adjoint et pour Nathalie une place d’animatrice dans une colonie de la Côte d’Or. Sans oublier, cerise sur le gâteau, que la famille de Nathalie m’invitait ensuite avec elle, dans leur maison de campagne à Malicorne dans la Sarthe.

Je vais résumer ces différentes semaines : A Sarlat, ce fut, pour Nathalie, la découvert d’amis issus de milieux populaires, comme Jean-Marie qui était fermier à Commercy. L’ambiance était en permanence très festive avec Régis déguisé en clown. Il y eut des conférences de personnalités passionnantes comme Jean Vanier, Jean Boissonnat et Noël Copin, journaliste au Pèlerin de et directeur de La Croix. Nathalie les découvrait avec bonheur, mais s’impatientait au bout de peu de temps. Comme durant les veillées d’ailleurs. Nous dormions dans des sacs de couchage alignés dans le gymnase du Lycée St Joseph, ce qui limitait les moments d’intimité ; or, Nathalie était très demandeuse. Donner corps à ses envies alors que nous étions en collectivité prit des formes inattendues lors de ce séjour comme durant notre double pèlerinage. Elle m’invitait à nous isoler quelques temps tantôt dans une salle de classe du lycée de Sarlat, tantôt dans les toilettes d’un monastère à Sienne ou encore dans les douches des presbytères de Venise, Ancône ou Assise lorsque nous campions dans leur jardin. Si le film était sorti, je l’aurais surnommée Basic Nath vu son instinct de survie aussi développé.

Notre pèlerinage officiel arriva à Rome par la via Appia (elle n’osa pas me solliciter dans les catacombes historiques) et nous arrivâmes à l’ambassade de France, puis dans une grande maison appartenant à l’évêché. De là, un car devait nous emmener le lendemain. Un quart d’heure avant le départ, Nathalie m’a proposé de prendre un moment à l’écart dans les ruelles entourant l’évêché, mais trouver un coin de rue isolé prenait plus de temps que prévu, alors nous nous sommes dépêchés de rentrer, arrivant au moment où le car venait de partir vers le jardin de Castel Gandolfo où nous attendait le pape. J’étais le plus embêté des deux, pas fier d’avoir abandonné mes amis et le projet de baiser la main du souverain pontife. Et en plus j’allais devoir expliquer à ma famille et à mes copains d’Antony pourquoi je n’étais pas sur la photo de mon groupe autour de l’homme en blanc.

Nathalie, elle, vit tout de suite le bon côté de la chose : le bâtiment était totalement désert. Elle n’hésita pas une seconde à aller tester la moquette nous attendant entre la porte d’entrée et les bancs de la chapelle et, vu qu’il n’y aurait personne avant longtemps, nous nous y ébattîmes sans relâche, ni pour nous ni pour la moquette. Nathalie me disait, comme à chaque câlin, de ne pas m’inquiéter pour les conséquences car elle maîtrisait bien la méthode naturelle Billings alliant l’interrogation quotidienne de sa température et de sa glaire cervicale.

De retour en région parisienne, nous n’eurent qu’une nuit pour vider nos sacs à dos et remplir nos valises. Avec d’autres tenues, cela va de soi. Nous retrouvâmes les enfants du personnel de la préfecture et Paris, le directeur et les animateurs à la gare de Lyon. Un car nous attendait dans une petite gare de Bourgogne pour nous conduire sur notre lieu de villégiature dont je tairai le nom. Nous avions une chambre chacun mais nous dormions continuellement dans le même lit. Dans cette colonie, il se mit à se passer de drôles de chose à différents niveaux. D’abord d’interminable bagarres de potache récurrentes entre le directeur et son personnel. Il commença par coincer sa maîtresse (la comptable) dans l’immense bac à vaisselle, puis jeta tous les animateurs dans la piscine etc. Plus grave, les animateurs fumaient dans les dortoirs des enfants le soir y laissant tomber leurs mégots plus ou moins bien éteints et, gravissime, le directeur leur demandait de dénuder les petits africains et de les punir durant tout le repas debout, dos au mur au bout du couloir du réfectoire pour que tout le monde les voit. Il s’agissait surtout de musulmans circoncis et le directeur se moquaient d’eux pour cette différence qu’il montraient du doigt devant les autres enfants.

Le soir, j’ai voulu en parler à la réunion dite “du cinquième repas”, mais le directeur me coupa la parole et me révéla le stratagème : ses animateurs étaient des amis à lui appartenant au même « réseau » et il leur avait demandé de s’inscrire à l’Agence Nationale Pour l’Emploi avant de solliciter la préfecture de recruter par cette voie. Un des animateurs sortit un Luger (pistolet de l’armée allemande) de sa poche et en menaça Nathalie et moi-même au cas  où nous ouvririons la bouche lors de l’inspection annoncée le lendemain et pour laquelle un de leurs complices de la préfecture les avait prévenus. A la suite de la réunion, le directeur alla chercher une caisse de bouteilles de bière et demanda à un animateur d’aller chercher ses collègues de garde dans le bâtiment des plus jeunes, les autres étant en camping en plein bois. Pendant tout ce temps, les enfants restèrent sans surveillances et certains sortirent du dortoir. L’un alla même retrouver ses copains campeurs. Or, celui-ci revint en courant : c’était la tempête, toutes les tentes s’étaient déplantées et tout le monde se retrouvait en pyjama par terre dans la boue. Seul le directeur continua à vider ses canettes de bière et ne nous suivit pas. Nous dûment, dans l’urgence, rapatrier les jeunes campeurs et rapporter tentes, sacs de couchages trempés et salis ainsi que tout le matériel dans la colonie. Quand tout fut remis en ordre, nous reprîmes la réunion et Nathalie et moi fument non seulement menacés, mais le directeur demanda au porteur du pistolet de ne pas nous perdre de vue durant la nuit.

Par mesure de prudence, nous nous somme réfugiés à l’infirmerie où nos avons rapporté toutes nos affaires avant de nous y boucler à double tour. Au petit matin, nous sommes partis sans un bruit en escaladant un mur car le portail était fermé à double tour. Arrivés à un café, nous avons appelé un taxi qui vint nous chercher pour nous conduire à la gare par laquelle nous étions arrivés. Nathalie tremblait encore de terreur après cette nuit des plus éprouvantes. Le prochain train pour Paris n’arriverait que dans deux heures. Au moment où nous nous dirigeâmes vers le quai, le directeur arriva en auto et enchaîna menaces et chantage pour que nous retournions à la colonie. Il n’avait pas complètement dessoûlé, aussi nous le laissâmes vociférer et sautâmes dans le train dès son arrivée en gare.

Nous avions bien besoin d’une semaine dans le Sarthe, dans le petit village de Malicorne, pour nous remettre de nos émotions. D’abord, Nathalie partit seule avec sa famille qui occupait toute une voiturée et je les rejoint le lendemain avec mon auto afin de leur laisser le temps de s’installer. Nathalie m’avait déjà montré des photos du lieu, aussi n’ai je eu aucun mal à repérer l’immense propriété longeant le fleuve de la Sarthe. Les nuits y furent des plus câlines et les promenades des plus romantiques. Je revois encore celle effectuée en barque qui nous emmena jusqu’à un pont sur lequel nous avions donné rendez-vous à mes parents qui voyaient déjà en Nathalie ma future en raison de mon vif attachement.

Ce que je ne vous ai pas dit, mais qui va prendre ensuite tout son sens, c’est qu’à plusieurs reprises, assis sereinement sur l’herbe, de Sarlat à Malicorne, Nathalie m’avait confié avoir vécu quelque chose de difficile à avouer, suite à quelque chose qu’elle regrettait amèrement. Ne pouvant m’en dire plus, à chaque fois elle voulait que je devine. J’avais faux à chaque hypothèse.

Comme toute bonne chose a une fin, nous avons pris l’autoroute en direction de Paris chacun dans son véhicule avec le projet de nous retrouver sous huitaine vers les jardins du Luxembourg. La Nathalie que j’y retrouvai n’avait plus l’éclat de celle que j’avais quittée dans la Sarthe. Elle me parlait de sa sœur Sylvie qui avait payé 44 francs pour photocopier mes partitions de flûte pour nous fassions des duos, mais qu’elle souhaitait que je lui rembourse car elle ne donnerait pas suite à ce projet, allant bientôt se marier. Je savais bien que cela n’était pas la source de son tracas actuel. Elle revint toujours sur son jeu de devinette sur ce qu’elle avait vécu et qu’elle n’avait pas la force de m’avouer. Elle me dit qu’elle préférait que nous nous éloignons l’un de l’autre tant que je n’aurais pas fait l’ultime effort de trouver la bonne réponse. J’avoue que je la sentais très, très mal et que j’allais fermement respecter son choix tout en cherchant ce qui aurait pu m’échapper.

Plusieurs semaines plus tard, j’ai risqué de l’appeler et c’est Stéphanie qui a décroché. Cette sœur me dit : « Nathalie me charge de te dire qu’elle ne veut plus te parler et de ne plus chercher ni la réponse ni à la revoir ».

Etant déjà plusieurs fois tombé de haut ces derniers mois, j’ai accusé le choc pour, comme on dit, passer à autre chose.

Nathalie finit par se laisser oublier jusqu’à ce que, dix ans plus tard, mes parents reçurent une lettre venant de Sarlat. Un enfant de dix ans prétendait être mon fils qui aurait été conçu à Sarlat dix ans plus tôt. Ma mère en est tombée raide car cela coïncidait avec mon histoire.

J’ai mené enquête pour retrouver trace de qui que ce soit de la famille de Nathalie. Avec bien des démarches, grâce à Dieu, j’y parvins et j’appris enfin les tenants et les aboutissants de cette cruelle affaire : Nathalie se vengeait ainsi de n’avoir pas su deviner qu’elle s’était fait avorter. Le tampon de Sarlat était une contrefaçon et ce jeune garçon de dix ans son invention.

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (515)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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Grant Marielle
Invité
9 décembre 2020 8 h 24 min

Quelle année incroyable ou l’on peut dire Jean-Marie, que tu en as vu des vertes et des pas mûres ! Rien ne te fut épargné en matière de surprises, agréables mais souvent, beaucoup moins agréables !