Les filles des pélerinages – Marie-Agnès – Autobio Tome XXVIII – Jean-Marie Audrain

XXVIII Les filles des pélerinages – Marie-Agnès

Je vous ai dit que le CEP était mon nouveau chez moi, juste de l’autre côté de la rue de la Sorbonne. Non seulement j’y animais mon groupe Création le lundi soir, mais je participais à la préparation du pèlerinage annuel des étudiants de la gare Montparnasse à Paris jusqu’à la cathédrale de Chartres Ma partie était celle du choix des chants avec Jacques notre aumônier, avec Dominique l’animateur de la chorale et également apprendre les chants de la messe qui allait rassembler à la cathédrale des milliers d’étudiants ayant cheminé par des routes différentes. Les étudiants des différents CEP se retrouvaient à la gare Montparnasse, chaque CEP descendant à la gare prévue par les étudiants organisateurs qui avaient déjà effectué un repérage des routes, des chemins, des lieux d’aisance et des lieux d’hébergement. En fait chaque année il y avait trois types de pèlerinage estudiantin : celui des CEPS, encore appelé pèlerinage des étudiants, celui de Montmartre et celui du centre Charlier, encore appelé pèlerinage de chrétienté. Ce dernier était le plus long et durant un jour de plus car tout le trajet se faisait à pied de Paris à Chartres et se terminait toujours sur les genoux. C’était voulu, ces chrétiens s’appelant les chrétiens de l’Église de toujours, ils pensaient que le sang au genoux ajoutait au mérite du pèlerinage. J’ai toujours fui cette façon de penser et de « pratiquer ».

Enfin, la version Montmartre était elle aussi très « tradi » avec davantage de marche que celle du CEP et séparation des garçons et des filles le soir venu. Donc notre pèlerinage du CEP démarrait dans la joie et les chants dans le grand hall de la gare Montparnasse. Je passais ces pèlerinages la guitare autour du cou. Nos organisateurs nous distribuaient un badge de reconnaissance, un carnet de chants et nous nous mettions à chanter dans toutes les langues…vivantes. De fait, nous aimions, dans l’esprit de Taizé, entonner le même chant en plusieurs langues, ne serait-ce que parce qu’il y avait des étudiants venant de plusieurs pays d’Europe. Sur les affiches on pouvait lire année après année le thème du pèlerinage, toujours aussi positif que stimulant. Nous essayions de rentrer dans l’esprit de ce thème pas après pas, chant après chant. Sitôt sortis du train, nous nous dirigions avec un impatience vers le champs du rassemblement où un podium équipé d’une sono nous attendait. Etant l’animateur des chants du CEP Sorbonne, je devais marcher plus vite que les autres afin d’accorder rapidement ma guitare sur le podium et de tester les micros pour elle et pour ma voix. L’un des organisateur nous expliquait le déroulement de cette première journée. Il nous serait proposer de rejoindre un atelier de ce qu’on appellerait aujourd’hui méditation. J’en avais préparé et proposé un qui annonçait la couleur dans son intitulé : Devenir Dieu. Après deux heures de marche, nous nous sommes retrouvé à un autre « carrefour » et nous nous sommes répartis en groupes dans les bois alentour. Dans le groupe que j’animais, il y avait une étudiante qui me regardais avec le plus jolis sourire du monde et les plus beaux yeux estudiantins avec un petit air malicieux. Dès la fin de mon speech, l’aimantation fit son travail. La belle étudiante et moi-même nous présentèrent l’un à l’autre. Elle s’appelait Marie-Agnès et venait de Villemomble en banlieue nord-est, et, sans ajouter un seul mot, nous avons continué à cheminer l’un à coté de l’autre. Le soir, j’ai eu du mal à la quitter du regard pour monter sur scène chanter « Fais-moi un signe » et quelques chansons de Jean Humenry.

De retour à ma place sur l’herbe devant le podium, elle a posé sa tête sur mon épaule et nos mains se sont rencontrées. C’était à la fois une première et une surprise pour moi. Je crois que j’ai admiré ses prunelles le restant de la soirée.

A la fin de la veillée, nous nous sommes blottis l’un contre l’autre dans une grange dans laquelle une trentaine d’étudiants avaient installé leur sac de couchage sur un matelas mousse. Ce fut la nuit qui m’a semblé la plus courte de ma courte vie. Je crois que j’ai découvert que j’avais fait un grand pas en avant. Et en même temps que j’avais un tel respect pour les femmes que je n’envisageais toujours pas une relation avec une bien aimée autrement que platonique avant de me marier. C’était à la fois l’enseignement de nos prêtres, sœurs et autres catéchètes et de mes parents. La lecture du livre de la Genèse m’avait marqué très tôt : Adam et Eve devenant une seule chair. Donc on ne pouvait devenir qu’une fois une seule chair, un seul être à la fois nouveau et double, comme par fusion, donc avec son épouse. Par contre la découverte du baiser était une expérience étonnante et renouvelable. Je ne vais pas vous raconter la suite du pèlerinage mais juste ajouter que, quand je ne grattais pas ma poêle à frire (on disait comme cela pour « jouer de la guitare), j’étais incapable de lâcher la main de Marie-Agnès. Lors de la messe, le baiser de paix fut le plus beau de toutes les messes du monde.

Dans le train du retour, ce n’était pas la mains mais les lèvres de ma dulcinée que j’avais du mal à quitter pour accompagner les chants à la guitare. Je crois même m’être limité à un seul chant tant nos lèvres étaient littéralement scotchées. Marie-Agnès, elle, n’en était apparemment pas à son premier baiser. A vingt ans me direz-vous, ce n’était sûrement pas la seule…

Une fois arrivés à la gare Montparnasse, c’était le temps des chants et des farandoles avec l’incontournable Evenou Shalom Alerem et autres chants enthousiastes. J’ai encore du me priver de la mains et des lèvres de Marie-Agnès, mais pour les retrouver ensuite pour l’accompagner jusqu’à son quai de retour car, bien évidemment, elle avait besoin de rentrer chez elle pour se remettre de ses kilomètres de se ses émotions. Nous avions échangé nos adresses postales avec l’intention de nous écrire sans tarder.

Deux jours plus tard je recevais sa lettre : une véritable déclaration d’amour sur plusieurs pages. Elle nous voyait déjà mariés et parents de 4 enfants. Tout cela me rappela la première lettre d’Alice au point de me faire poser la question d’une éventuelle malédiction car je ne voyais pas les choses ainsi. Je lui ai aussitôt répondu de ne pas s’emballer lui proposant de se revoir avec un peu moins d’emballement sentimental. Je l’ai invitée à un concert du Claude Bolling Trio sur la place du théâtre d’Antony, y ayant aussi invité mon ami Michel. A la fin du concert, je les ai raccompagnés tous les deux à la gare du RER d’Antony.

Deux jours plus tard, j’apprenais que Michel, toujours très « sportif », avait déjà invité Marie-Agnès dans son lit, jouant vraisemblablement le rôle de mon remplaçant. Il l’avait surnommée « La petite fille espiègle ».

Je crois que je serai plus méfiant au prochain pèlerinage à Chartres.

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (515)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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10 Commentaires
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Hélène Marie
Hélène Marie
Invité
3 décembre 2020 8 h 18 min

Toute une partie de ma jeunesse qui redéfile et pérégrine avec cette intime tranche de vie partagée.

Anne-Marie
Anne-Marie
Invité
3 décembre 2020 8 h 13 min

Sympa ces camps d’étudiants. Nous ont n’avait pas ça. Seulement les scouts hellènes : 3 semaines en Grèce avec des enfants et des ados venant de partout. Langue obligatoire le grec….. si on voulait comprendre le voisin syrien. Le matin, 6h, levée des couleurs avec hymne national le plus nul au monde et qui n’en finit pas. Impossible de dormir. Mais le soir, veillée avec amourettes. Le seul bon moment car les curés à la prière ou au dodo. Ah ces souvenirs. Quand on prend de l’âge…..
Continue à me faire découvrir, avec tendresse, une vie que je ne pouvais pas connaître cultuellement et culturellement.

Marielle Grant
Invité
3 décembre 2020 6 h 38 min

Une histoire pleine de joie et de lumière qui de jour en jour, laisse entrevoir un amour naissant mais malheureusement de courte durée , avec une fin bien amère pour l’auteur

Akou Souad
Akou Souad
Invité
2 décembre 2020 19 h 00 min

C’est bien conté

O Delloly
Membre
2 décembre 2020 18 h 33 min

c’est très bien conté
ceci dit, il vous faut baisser la casse
Ol

jocelyne
jocelyne
Invité
2 décembre 2020 17 h 03 min

merci de jocelyne de Lyon