La fin de la guerre !
On s’en va prendre l’air,
Sur le vol Bron-Oran,
Adieu mes parents.
Une dame gantée,
Belle et chapeautée,
Nous fait sensation
En prenant l’avion.
Nous sommes fières,
Nos sacs en bandoulière,
Ce n’est pas commode
D’être à la mode …
Nous voici installées,
On va se régaler,
Carlingue bruyante,
Assises mouvantes …
Trop de turbulences,
Et l’avion danse,
Maman, ma soeur et moi,
Sentons je ne sais quoi.
L’élégante dame
A vécu un drame,
Pâle, son visage,
Taché, son corsage.
Mais c’est le mal de l’air !
On regarde à travers
Les hublots. Magique !
Bientôt l’Afrique !
Toujours avec entrain,
A Oran dans un train,
Bondé, bruyant, branlant,
Vers le Maroc filant.
Ma soeurette s’écrie –
Devant les gens qui prient,
Les voiles sur le coeur –
“Où vont toutes ces soeurs ?”.
Il est vrai en ce temps,
Les femmes étaient en blanc.
Les yeux grands ouverts,
Changement d’univers !
A Casa, à la gare,
On grimpe dans un car,
On s’entasse vraiment,
Tout est fait gentiment.
On rit, on discute,
D’autres se disputent
Et puis, sans scrupules,
Se congratulent.
Complètement happée
Absolument frappée
Par cette ambiance,
J’en oublie la France !
Mémé que j’ai laissée,
Avec le coeur blessé,
Ses larmes dans les yeux,
Ses tendres bras soyeux …
Mais quelle aventure,
Il faut que ça dure !
Des cactus en bosquets,
Des ânes des paquets,
Et des enfants qui jouent,
Leurs cerceaux sont des roues
De vélos démontés
Qui sont à leur portée.
Pions en capsules
Ne sont ridicules,
Ils jouent, même parient,
Et j’en suis ahurie !
On s’arrête à Settat,
Le cocher se hâte,
Calèche d’autrefois
On en reste pantois.
L’homme qui nous attend
Semble prendre son temps.
En fourgon, nous montons
Les bancs donnent le ton.
La piste défoncée
Ne nous fait renoncer,
Sur des kilomètres
Il faut s’y soumettre.
Pays monotone,
On ne voit personne,
A part quelques troupeaux
De moutons et agneaux.
Paysage désert …
Très bientôt, en concert :
“Mais c’est le paradis !”,
Et le chauffeur nous dit :
“Les villas sont rosées !”.
Les plantes arrosées
Sont majestueuses,
Nous sommes heureuses !
Cet oued est en crue,
Pourtant qui l’aurait cru,
J’apprendrai à nager
Et même à plonger.
Ma tête explose,
Beaucoup trop de choses
A emmagasiner.
C’était ma destinée.
Soixante ans ont passé,
Le bled est “effacé”,
Sentiment de douleur
Retombant dans mon coeur.