Là, dans la poussière,
En loques affalé,
Dort un pauvre hère
Une jambe blessée.
Le maçon m’affirme
“Un voisin le nourrit,
Il n’est pas infirme
Sa tête est partie”.
Sur notre chantier
Qui pousse en champignon,
Ils sont vingt ouvriers
Donnant leur opinion.
“Plus de commentaires,
Nous allons le soigner
C’est au dispensaire
Qu’on doit le transporter”.
Mais… c’est avec stupeur
Qu’on a dû constater
Des dégâts l’ampleur,
Dans la même journée !
L‘homme et son bandage,
Pour nous remercier,
Nous donner courage,
Avait tout saboté !
Sautant dans un taxi,
Nous avons circulé,
Partout, et là, ici,
Puis nous l’avons trouvé :
Là, dans la poussière,
L’air vague, hébété,
Il s’est laissé faire
Nous l’avons ramené.
Gagnant le chantier
Avec notre voleur,
C’était tout le quartier
Qui jouait “Les plaideurs ” !
L‘homme têtu est fort,
Ne dit pas un seul mot,
Frémit de tout son corps,
Il sait quel est son lot.
“Il faut le corriger,
Madame si tu veux,
On peut te le tuer,
Attends, attends un peu”.
L‘homme plie sous les coups,
“On le jette en mer,
Une pierre au cou ?”
L’homme est à terre,
Et je m’entends hurler,
“Assez, ce supplice
N’est pas justifié,
Il faut la police !”.
Mais j’avais présumé,
Les choses se gâtent,
On est interrogé
Et cela m’épate :
“Qui l’a corrigé ?”
Et nous nous accusons
“On peut bien le garder
Mais, dans cette prison
Vous devez apporter
Toute nourriture,
Puis payer pour soigner
Sa grande blessure ! ”
Prêt pour le supplice,
Le voleur se dévêt,
Un chef de police
Brandit un grand fouet,
On le frappe encor
“Mais laissez-le partir !”
Je dois aller dehors,
Soudain je vais vomir.
Quelques heures plus tard,
Les rancoeurs apaisées,
J’ai lu dans le regard
De chaque ouvrier
Un curieux mélange
De respect, de fierté,
Sentiment étrange
Qu’inspirait ma pitié.
Je l’avais défendu,
Envers et contre tous
Ce fou, cet inconnu
Sorti de la brousse …
L‘homme avait regagné,
Là, dans la poussière,
Sa vie déracinée,
Sa reine misère !
©Simone Gibert
Merci Christian
et, à vous qui avez aimé ce texte. Simone.