Le pas des vies – Béatrice Tocque

Le pas des vies 

 

Passage

Voyez

Mais le pas s’aveugle sur le fer

Ceux qui viennent de l’épaisseur des yeux

Avec un courage d’enfant

Regardez-les fouler nos lieux sans affection

 

Vers le jardin de rose de personne ils marchent

Ils suivent les oiseaux apatrides

Approchant leur séjour des ténèbres les vêtent

Ils ont l’habit éloigné des tombeaux

Ils traversent nos voix de mille cantiques sombres.

 

Ailleurs

Ailleurs aveuglément

A un visage réel

A des chemins creusés de pas

Au temps figé dans l’air

 

Ni rire ni mouvement

Seulement très loin

Au-delà des frontières

Un cercle de lumière

 

Et j’entends longtemps

Le pas des vies longtemps se perdre sur les terres

Et les région lentement rouges

Lentement se lever

 

Ni cri ni mouvement

Seulement très loin

L’horizon noir d’étoiles feintes

Barré de barbelés

 

Et les voix claires sont des chants éloignés

Dans la boue brune

Où un à un j’entends les hymnes sombres

Les rêves indépensés descendre

 

L’âpre chemin du sol sous les pas inutiles.

 

L’aimée

 

L’aimée est souveraine

Ses terres rétives au toucher

Sa loi est incertaine à ceux qui ont osé

Les intimes nuances de ses voix desséchées

 

Elle expire avec l’immense certitude

D’un vaisseau chaviré

Dans la boue de l’instant

 

Sa parole est d’abord une fanfare inutile

Son silence une harpe aux accords brisés

Son visage un instant est l’impossible harmonie

D’un pays sans grillages aux confins invisibles

 

Regardez les étoiles de ses troupeaux divisés

Regardez avec souci son image défunte

Car elle n’est pas le grand pays

 

Où le temps vit.

 

Voyage

 

Vous êtes légers comme un passage

Tremblants du bruit de nos soupirs

De nos sommeils vigilants

 

Vous pardonnez au jour vos souffrances muettes

Et vos patiences noires auprès de chaque grille

 

Or est née la douleur d’un de vous disparu

Ondes du ciel et martyr de l’absurde

Parmi les corps éparpillés, parmi les pas perdus

 

Je plonge dans l’oubli de ces pas de personne

Et reste muette comme une peine absente

 

Mais il avait fait beau

Joyaux dans la nuit d’autres pas sonnent encore

Par-delà les derniers rivages de la mort.

 

 

Procession 1

 

Pour patrie un carnage

Où les peurs cherchent l’air

Le souvenir de l’air

Dans la sueur des gravats

 

Alors doucement ils montent

Un chemin promesse d’arômes, ils voient

La libération bénie de nos hauteurs

Les foyers paisibles auprès des mains fécondes

 

Ici sur nos versants, tout proches ils errent

Leur pas hésite loin des seuils

Ils repoussent les murs de fer

Un à un sur nos terres fertiles

 

Mais la torche des lampes a grandi notre faute

L’enfant nageur de l’enjambée

A fait un pas mortel

Dans le sable trompeur comme l’offrande.

 

 

Procession 2

 

Des cimes se levaient et guidaient votre exil

Dévoilées par le ciel infini sous lequel vos corps

A vide

S’élançaient à l’assaut des monts de perfection

 

Pour votre liberté claire elle est la seule amante

Loin des gravats de rouille et de terreur

Mais noire d’être conviée aux frontières des morts

Porteuse éternelle de torches refroidies

 

Elle est l’eau douloureuse de votre soif ardente

Plus proche du sombre mystère pénitent

Vous chassez de ses formes l’arroi qui fait vieillir

Délaissant les hauteurs parfaites de vos noms

 

Mais je voyais la rumeur qui diminuait le ciel

Un vent régnait presque noir, hostile

Un sol menaçait vos visages d’enfants

Et je n’ai rien dit du tourbillon mortel

 

Profanés vous êtes seuls, naufragés, creux du cœur

Dans la douleur des corps qui vont droit au néant

Je vous appelle mais n’ai pas la vertu de mon âge

Demeure hors d’atteinte près des grilles qui achèvent.

 

Procession 3

 

Le soir exhalant d’odeurs, les tables mises

Le front ouvert à la vision

Quand ils descendent

Avec un bruit de sang nos plaines saintes

 

De grands parfums trempés les environnent

Émaux debout et noirs dans l’immobilité

Leurs pas résonnent

Timides sur nos sols d’églises

 

Et maintenant

Les portes de cèdres qui leur sont closes

Les terres avenantes qui reculent

Des peurs

 

Et cette douleur que l’on refuse

Aveugle aux mains tendues

Des sueurs

Sous nos draps lavés agités de faux songes.

 

 

Prière

 

Une vigueur d’oiseaux exultant sur les mers

T’invitait

Et tu ouvrais le livre des prières

Et tu cherchais

Avec d’immenses mains le monde

 

Ô terres, en avançant

Jusqu’aux destins obscurs, aux dévotions

Jusqu’aux reflets des leurres

Qui pointent au jour naissant

Par la trame limpide, les pleurs noirs

 

Autre mémoire, autres bouches bruissantes

Sur une mer universelle

Un cri

Et les patries changées de ton visage

Lorsqu’un ange chercha

 

La liberté des terres au-delà des grillages

 

 

Les mains tendues

 

Les mains demandaient d’être prises

Dans la magie d’une autre

Dans le temps, l’herbe d’en bas

L’obole qui les brûle

 

Il fallait les toucher pour qu’elles vivent

 

Les mains demandaient au monde d’être prises

A la voix inconnue

Au souffle qui maintient

Elles éclairaient notre ombre digitale

 

A deux soleils d’eau quelques fois comme on pleure

 

L’une l’adieu et l’autre plus profonde.

 

 

Mirage

 

Ô robes de l’enfance

Déchirées comme un ciel par la foudre et les éclairs

Vous avanciez vers des horizons lointains

Avec vos yeux sombres pour réinventer la Terre

Avec vos pieds nus pour élargir son aire

Les lambeaux de vos vies à quelques pas derrière

 

Vous rêviez les eaux calmes et la verdure mêlées

Un vent de paix sur des villes éclairées

Vous avanciez

Avec un cœur d’enfant pour aimer le monde

Avec l’espoir de promesses immondes

Vers l’infidélité qui s’annonçait

 

Et mon souci fervent

 

Je vous attends.

le pas des vies

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Anonyme
Anonyme
Invité
20 septembre 2015 16 h 28 min

Merci Alain, pour votre accueil, pour ce commentaire chaleureux et pour la belle mise en page sur votre site :-)

Plume de Poète
Administrateur
20 septembre 2015 10 h 40 min

Superbe ! pour une première bravo Béatrice. . .un sujet tellement d’actualité traité avec tant de talent et de ressenti à la lecture, merci pour ce partage !