Le Lieu de Réminiscence – Armelle Barguillet

Souvent, aux premières heures de la nuit,
On entendait gronder la colère du monde.
Alors, la vie se retirait, se mettait en attente,
Oiseau prolongeant en rêve sa volée.

Lorsque la souffrance se défroissait,
Les bambins, un à un, venaient se coucher dans ses plis.
Ils avaient oublié leurs visages dans les feuilles
Et ne savaient quel voyage poursuivre ;
Dans quel château hanté s’ébattent les licornes,
Vers quel contre-jour on navigue.

C’était un temps délicieusement lent.
On se tenait serré comme une meute d’enfants.
Nous avions des refuges, des territoires
Pour braconner les songes,
Des goélettes ancrées en des ports défunts.

Sans hâte, nous approchions de la terre qui nous ressemble.
On y vendange le vin de l’ivresse mystique.
Est-ce si loin en nos mémoires
Que nous n’osions en franchir le seuil ?
L’homme de toutes les soifs marche en quête d’eau vive,
Alors que le temps saigne encore de quelque mal.

Nous douterons. Ce sera notre dernière sueur.
Viendra le remords taillé dans le vieux tissu du jour.
On ne poursuit sa route
Que la tête tournée vers le couchant.
Nous avons pris ce siècle à bras-le-corps
Et c’est tant pis si nos désirs
Ne forment plus qu’une croix sur la terre dure.
Demain, l’un de nous dessinera une lampe
Et nous serons oublieux de la lumière.

Ce chemin, à l’orée, est celui où, sans fin, nous revenons.
Il y aurait mille possibilités de nous perdre.
Passez votre route, dit le sage.
Ne vous inquiétez pas de savoir où elle conduit.
Ailleurs n’est jamais autre part qu’en soi.

D’autres eaux plus vivantes nous emporteront,
Nous baisserons les yeux et la rive laissera gémir ses ronces.
Nous y poserons le pied,
Sachant que nous n’arrêterons plus de marcher.
Avec le temps, nous composerons un tissage,
Dont la trame guerroiera avec les éclairs dans le vent.

Ne restons pas à pleurer ce qui n’est plus.
Sur nos épaules, prenons ce restant de lumière.
Rafraîchissons-nous de cette eau de cendre que le désert exsude encore.
L’horizon s’oblitère. Il n’est plus qu’un vestige au fond de l’esprit.
De l’avoir trop contemplé nous rendit aveugles.

Les pluies ne nous apaiseront pas.
Nous nous laisserons mener par elles
Vers des pays de lacs et de brumes.
On y vendange un vin noir que nous boirons,
On y moissonne des chagrins d’hiver
Et nous y vieillirons parmi des arbres aux anxieuses ramures.

©Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE ( Extraits de « Profil de la Nuit » )

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Armelle Barguillet

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Écrivain et poète, j’ai à mon actif une quinzaine d’ouvrages, dont « Le chant de Malabata » couronné par l’Académie française et une étude sur Marcel Proust « Proust et le miroir des eaux ». J’anime depuis plusieurs années deux blogs : « Interligne », consacré à la littérature et aux voyages et « La plume et l’image », exclusivement au 7e Art. Je suis membre du Conseil d’administration du « Cercle littéraire proustien de Cabourg-Balbec ».

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