Le lapin et le moucheron – Christian Satgé

Petite fable affable
On rencontre des animaux si bien élevés qu’il est honteux pour les hommes d’être aussi mal dressés.” Adolphe d’Houdetot

Au gué de quelque rivière, Jean Lapin
Procrastinait prou à l’ombre de noirs sapins.
La face des eaux faisait miroir, à cette heure,
À l’astre du jour dont les rais, en chantepleure,
À clairevoie, lui vienne sus. Ce Jean-là
Était le plus rapide courrier des bois.
Même si ce coursier allait, par malchance,
Parfois à l’étourdie se perdant au pays
Des chaumines de ces vilains faisant bombance
D’un rongeur ou, pis, tombant dans les pattes haïes
Des croquants qui ne sont que rets et reginglettes,
Lacets ou réseaux pour qui va à l’aveuglette.
En cet havre, un diptère vint à passer,
C’était las un avorton de mouche d’assez
Mauvaise vie, aimant fort embrenner ses proches
Et ses prochains en multipliant les approches.

Vous opinerez que cette engeance, et plus tôt
Que plus tard, agace même le moins courtaud
En sagesse des si nobles moines bouddhistes,
Car s’il des mouches qui sont fines, leur liste
N’inclut pas ce vil excrément de moucheron.
La Providence voulut que ce tourne-rond
Crut les chimères des devins et astrologues
De tous poils, tous de bonnes plumes par ailleurs,
Qui lui avaient prédit, moins voyants que psychologues
Que lui et les siens domineraient, railleurs
À souhait, le monde. Aussi était-il le Maître,
En sa tête, de tous lieux, prompt à y mettre
Son empreinte : toute bête, sans coup férir,
Ne pouvait que l’approuver voire l’applaudir,
Tout Homme, partout, que se soumettre à son règne
Sans lui chercher, au grand jamais, crosse ni beigne.

Un moineau qui n’était, quoique né de néant,
De la farine dont on fait les fainéants,
Ignorant le destin promis par quelque oracle
Au désespoir à cet excrément, tabernacle !,
Lui gela le bec en le gobant, soulageant
D’autant Jean le Lapin et bien d’autres gens
Ici-bas. Si ce qui se passa sans parole
N’appelle pas plus de commentaire, dit-on,
Je m’en permettrai un pourtant, car c’est mon rôle
De fabuliste, au risque du qu’en dira-t-on.
Ne boudons pas, amis, nos plaisirs même infimes ;
Être débarrassé d’un néfaste, minime
Soit-il, surtout s’il est taquin picanieur,
Inlassable picoteur ou zizanieur
Procure autant de joie, en ait-on l’âme blême,
Que si, là, on l’avait éliminé soi-même !

© Christian Satgé – septembre 2019

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Christian Satgé

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Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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