Le héraut du roi croco’ – Christian Satgé

Petite fable affable
 
Un échassier, se haussait du bec
Qu’il avait déjà plus gros que la tête,
Héron balourd d’esprit, ce pauvre pec’,
Et de corps : le roi crocodile, bête
Taciturne qu’il valait mieux ne pas 
Contrarier le convia, sans geste
Ni cri, non à son repas – indigeste
Est le e clapet de l’oiseau sans appât –
Mais à son service. On n’refuse pas.  
 
Disgracieux, discourtois, disponible
Ce  bec-en-sabot était donc héraut
D’un monarque au caractère pénible,
Circonspect, toujours sis entre deux eaux
Où trainaient prou ses bajoues de famille.
L’oiseau,  fort pesant, d’esprit et de corps,
Transmettait messages nés du décor
Et de ces êtres qui tant y fourmillent,
Jouait l’huissier sous ces ramilles.
 
Mais, comme s’il était tout seul sur son Nil,
Quoique serviteur d’un maître terrible,
Il rendait tous plus pleutres que connils :
Ce majordome n’était accessible
Que contre dîme, dont le roi tirait 
Substantiel tribut, et sans vergogne
Car il n’était point couarde cigogne,
De quasi-pleins pourvoir en retirait.
Bref c’était pour tous une vraie carogne !
 
Grief et pis, revendication
Passait par lui moyennant obole ;
Doléance ou récrimination
Coûtait à moins de quelque diabole
Vue comme insulte au monarque écaillé 
Qui alors, sans piper mot, sa Justice
Exerçait sans cour mais non sans délice.
Sanctions, punitions,… baillées ?
Mort – pour tout, pour tous – était seule en lice !
 
Ça grondait dans tous les estaminets.
Car sujets et serfs du Seigneur du fleuve
Lassés de cracher à ce bassinet
Contre un : « J’en suis fort aise ! » ou la neuve
Belle expression : « Je vais y rêver ! »
Comme de se mettre un bœuf sur la langue
Et un buffle sous le claquoir, font gangue
À part, commencent à tête relever…
La révolte n’est pas loin. Le trône tangue.
 
« Pourquoi donc tous ces bruits, mon ami ! »
Demanda à ce boueux personnage
Qui le rebutait, et pas à demi,
Crocodile de retour d’une nage.
L’autre expliqua en se dédouanant.
Le Sire était certes protocolaire
Mais surtout, en tout, prompt à la colère,
Comprenant les demi-mots, les manants
Dont il craignait surtout les rémanents
Coups de gueule, joua des maxillaires.
 
Une paix sans concorde il y gagna.
Mais la trêve dura prou car son règne,
Tout en roideur et froideur, prouva là
Une équité étonnant jusqu’aux teignes.
Aucun héros ne voulut être héraut
À ce prix-là : un héron prit le poste
Gris de plume non à cause d’excès,
Il y connut un relatif succès :
Même un tyran, par peur d’une riposte,
Se doit de crever grièves abcès…
 
© Christian Satgé – avril 2019

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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Brahim Boumedien
Membre
29 septembre 2019 22 h 46 min

De nos jours, les hérauts des tyrans se bousculent au portillon ! En son for intérieur, leur maître, connaissant leur valeur, à l’image d’une hyène, leur réserve un chien de sa chienne ! Merci pour ce partage venant d’un humble sage !