Des mois passèrent et d’autres encore… Embrigadé, endoctriné et surtout démuni du moindre sens critique, je m’engloutissais dans un monde sinon absurde, du moins ubuesque !
C’était bien à cette époque que j’allais avoir la plus belle surprise de toute ma vie.
Ma mère ne nous parlait jamais de notre père. Mes frères, en grandissant commençaient à tisser des liens avec mes oncles, mes cousins et cousines paternels. Je n’en avais que de vagues idées. Mes préoccupations étaient ailleurs : mes études, le football, mes copains et surtout la prière. Vous allez, peut-être, vous demandez où sont les filles ? Eh bien ! On n’y pensait même pas à ce stade-là !
Je me souviens qu’un matin, vers la fin du mois de juin 1982(alors âgé de 20 ans), ma sœur aînée vint me proposer de passer les vacances d’été chez mon père sur la demande de celui-ci.
J’ai acquiescé en restant impassible, attendant la tombée du soir. Une fois couché, je me rappelle que j’avais tellement pleuré. Plusieurs idées se bousculaient dans ma tête. Dois-je être heureux ou indifférent ? Suis-je aujourd’hui plus important qu’il y a vingt ans aux yeux de mon père ? Ne suis-je pas uniquement qu’un prétexte pour qu’il amadoue mes frères et sœurs pour mieux les soudoyer ?
Mille et un questionnements me martelaient, j’égrenais mes vingt années vécues dans une guerre sans merci contre l’indigence et contre la souffrance. Le besoin matériel n’était rien vis-vis de la séquestration morale.
Le lendemain, d’un air joyeux, je réaffirmais à ma sœur mon désir de faire ce voyage. C’était pour moi comme un défi à relever. Aller voir cet homme tant décrié, tant spolié par ma grand-mère maternelle. Porter le nom d’un individu qui n’existait que sur un papier de l’état civil ne me convenait plus. D’autant plus qu’il était bien vivant, en chair et en os !
Je me rappelle aussi, et ce n’est pas la moindre des choses, que ma tendre mère ne s’opposa aucunement à mon voyage. Sachant que c’était la première fois où je le faisais seul pour une très longue distance.
Mes préparatifs étaient des plus simples : il n’y avait pas de grandes choses à préparer ! Un petit tour au coiffeur du quartier et une furtive séance au bain maure et la boucle fut bouclée.
Ma grande sœur coordonna tout avec mon père, de façon à ce que tout mon déplacement puisse se passer dans de bonnes conditions. Ce fut chose faite sans grand encombre. Mon départ était nocturne et le trajet fut très long, ce qui me permit de sombrer davantage dans mes élucubrations ! Je m’imaginais tous les scénarios possibles de ma très prochaine rencontre avec mon père. Je comptais les heures, les minutes, les secondes…oubliant les vingt années d’abandon… L’arrivée à destination était prévue à l’aube… !
Le grand pardon (Extrait III) – Abdellatif BHIRI
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