Le grand pardon (Extrait III) – Abdellatif BHIRI

Des mois passèrent et d’autres encore… Embrigadé, endoctriné et surtout démuni du moindre sens critique, je m’engloutissais dans un monde sinon absurde, du moins ubuesque !
C’était bien à cette époque que j’allais avoir la plus belle surprise de toute ma vie.
Ma mère ne nous parlait jamais de notre père. Mes frères, en grandissant commençaient à tisser des liens avec mes oncles, mes cousins et cousines paternels. Je n’en avais que de vagues idées. Mes préoccupations étaient ailleurs : mes études, le football, mes copains et surtout la prière. Vous allez, peut-être, vous demandez où sont les filles ? Eh bien ! On n’y pensait même pas à ce stade-là !
Je me souviens qu’un matin, vers la fin du mois de juin 1982(alors âgé de 20 ans), ma sœur aînée vint me proposer de passer les vacances d’été chez mon père sur la demande de celui-ci.
J’ai acquiescé en restant impassible, attendant la tombée du soir. Une fois couché, je me rappelle que j’avais tellement pleuré. Plusieurs idées se bousculaient dans ma tête. Dois-je être heureux ou indifférent ? Suis-je aujourd’hui plus important qu’il y a vingt ans aux yeux de mon père ? Ne suis-je pas uniquement qu’un prétexte pour qu’il amadoue mes frères et sœurs pour mieux les soudoyer ?
Mille et un questionnements me martelaient, j’égrenais mes vingt années vécues dans une guerre sans merci contre l’indigence et contre la souffrance. Le besoin matériel n’était rien vis-vis de la séquestration morale.
Le lendemain, d’un air joyeux, je réaffirmais à ma sœur mon désir de faire ce voyage. C’était pour moi comme un défi à relever. Aller voir cet homme tant décrié, tant spolié par ma grand-mère maternelle. Porter le nom d’un individu qui n’existait que sur un papier de l’état civil ne me convenait plus. D’autant plus qu’il était bien vivant, en chair et en os !
Je me rappelle aussi, et ce n’est pas la moindre des choses, que ma tendre mère ne s’opposa aucunement à mon voyage. Sachant que c’était la première fois où je le faisais seul pour une très longue distance.
Mes préparatifs étaient des plus simples : il n’y avait pas de grandes choses à préparer ! Un petit tour au coiffeur du quartier et une furtive séance au bain maure et la boucle fut bouclée.
Ma grande sœur coordonna tout avec mon père, de façon à ce que tout mon déplacement puisse se passer dans de bonnes conditions. Ce fut chose faite sans grand encombre. Mon départ était nocturne et le trajet fut très long, ce qui me permit de sombrer davantage dans mes élucubrations ! Je m’imaginais tous les scénarios possibles de ma très prochaine rencontre avec mon père. Je comptais les heures, les minutes, les secondes…oubliant les vingt années d’abandon… L’arrivée à destination était prévue à l’aube… !

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Abdellatif Bhiri

Abdellatif Bhiri (32)

Natif de Safi, au Maroc en 1962, Abdellatif BHIRI est un enseignant de la langue française et de sa littérature au secondaire. Son engouement pour la lecture et l’écriture date de son jeune âge. Féru de poésie, il découvre très tôt les Grands Classiques de la littérature française. Son parcours universitaire et professionnel le dote d’une formation solide lui permettant de sonder les arcanes et les subtilités de la langue française. Cruciverbiste et scrabbleur émérite, il jubile avec les mots avec aisance et délectation. Son parcours poétique est concrétisé par la parution d’un premier recueil, « Bribes et étincelles » aux éditions Edilivre en mai 2013. Puis d’un second recueil « Souvenirs vivaces », paru aux Editions SLAIKI Frères à Tanger en 2013. Une troisième création « L’olivier en pleurs » est paru en 2014 chez SAFIGRAPH. Mr BHIRI poète a marqué par sa présence les dernières éditions du SIEL de Casablanca où il a présenté et signé ces deux derniers recueils au pavillon du Ministère de la Culture. Son dernier recueil, Florilège des Fleurs en Folie, qui a eu beaucoup de succès a été présenté au SIEL de Casablanca en 2017. Il a par ailleurs ayant contribué à plusieurs projets de recueils collectifs à l’échelle nationale et internationale. Poésie engagée, «Poètes Francophones Engagés» Pour la liberté et la paix, Dialoguer en poésie, Analectes de la poésie mondiale, (Anthologie) et dernièrement RENCONTRE, une anthologie marocaine regroupant des poètes de l’Europe et du Maroc. Le haïku est une autre vocation qui se concrétisera par un recueil à part !
Son écriture est caractérisée par une profonde sensibilité liée à une grande maîtrise de la langue française. Membre et lauréat du troisième prix de poésie de l’AMALEF et de plusieurs autres prix dans différents forums virtuels.
Ce nouveau recueil recèle une nouveauté toute particulière, celle d’introduire au Maroc une nouvelle écriture créative, initiée par un grand Maître Haïtien Me Serge. H. Moïse. Le « moïku » que je vous laisse découvrir… !

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