Le cheval de Monsieur – Mathian Daniel Marcellin-Gros

C’était un beau cheval de couleur alezan,

Dormant toujours debout, son œil noir en éveil,

On eut dit qu’il avait un regard méprisant,

Se prenant pour un Dieu, ou le fils du soleil!

On l’attelait le jour à une charrette bleue,

Que d’un jarret puissant il tirait vaillamment,

Et, son maître, parfois, lui criait palsambleu,

Mais sur un ton gentil car il l’aimait vraiment!

Hue “gamin” ! Brave bête, toujours gaie et docile,

Avançait fièrement en claquant des sabots,

Son poitrail frissonnait; ses narines subtiles

Humaient l’air parfumé sous les cieux en lambeaux!

On arrivait au champ, c’était la fenaison,

Les femmes maniaient une fourche de bois,

Rassemblant les andins aux douces exhalaisons,

Le cheval s’ébrouait au soleil qui flamboie!

Le maître quant à lui emplissait la charrette,

 

Sous le chapeau de paille son front dégoulinait,

Les femmes rajustaient tabliers et barrettes,

Et la sueur perlait des visages burinés!

“Gamin” se prélassait sous les feuilles d’un grand chêne

Mangeant, tapant du pied pour écarter les mouches,

Parfois il hennissait comme un vent se déchaîne,

Et quelques brins de foin dépassaient de sa bouche!

Après que la charrette eut été bien garnie,

Le chargement était maintenu par des cordes,

On s’asseyait dessus comme l’oiseau dans un nid,

Les nuages menaçants étaient ” pommes de discorde! “

Sous l’injonction du maître “Gamin” bandait ses reins,

Puis il hochait la tête pour dire oui j’ai compris,

Dans les grandes descentes le bougre mettait un frein,

Priant la Sainte-Vierge ou bien le Saint-Esprit!

Dans le chemin pentu, les noirs sabots glissaient

Sur les pierres saillantes, faisant mille étincelles,

On côtoyait de près les barrières et les haies,

Réveillant les nids où dormaient les hirondelles!

Parfois l’on rencontrait quelques troupeaux de vaches,

Qui marchaient en fientant, les cornes en cadence,

Puis beuglaient, le pécore, lui frisait sa moustache,

Et stoppait le cheval suant en abondance!

 

Les vaches, en passant, chipaient un peu de foin,

Ce bon foin débordant des ridelles de planche,

Puis elles s’en allaient brouter un peu plus loin,

En balançant du mufle, en tortillant des hanches!

Le soleil se cachait, les nuages très noirs

Se fendaient sous l’éclair aux lumières foudroyantes,

Le gars éternuait crachant dans ce mouchoir

Cadeau de communion qu’avait offert sa tante!

En homme très prévoyant, il avait mis la bâche

Verte, recouvrant son chargement précieux,

(L’orage pouvait gronder comme un ivrogne se fâche,)

Serein il attendait que se calment les cieux!

 

“Gamin” très courageux, malgré sa peur latente,

Avançait sans broncher, la queue battant ses flancs,

Ses sabots reluisaient comme un œil de voyante,

Les herbes se couchaient sous ses pieds ruisselants.

Sa belle crinière noire flottait à tous les vents,

Le mors sollicité lui tordait la mâchoire,

Il devait ralentir sous ce mal éprouvant

Glissant sur le pavé où il aurait pu choir!

Or ce cheval docile n’était pas rancunier

Dévoué à son maître en haut du char perché,

Il lui donnait sa force sans jamais rechigner,

Régulier dans ses pas comme l’heure au clocher!

Ses flancs tout en sueur frissonnaient constamment,

Pour écarter les mouches venant le harceler

Mais elles revenaient en hordes à tout moment,

Tout comme un cauchemar vient vous ensorceler!

Pourtant le paysan usait de répulsif,

Dont il badigeonnait les flancs de l’animal,

Mais le produit hélas s’avérait peu actif,

Son effet n’apaisait qu’un petit peu son mal!

Arrivé à la ferme, le gars ouvrait la grange,

Puis faisait reculer “Gamin” obéissant,

Qui nous lançait parfois, ce regard qui dérange,

Car ses yeux sous l’effort devenaient rouge sang!

Puis on le dételait des brancards punitifs,

Le cheval enfin nu, se laissait bouchonner,

C’était le seul moment un peu récréatif,

La manière au pécore de se faire pardonner!

°°°°°

Devenant plus âgé, il se mit à boiter,

Au travail il allait pourtant avec courage,

Des tâches les plus lourdes il était délesté,

Oh qu’il en avait vu défiler des orages!

A l’écurie, chez nous, j’allais le caresser,

Opinant de la tête, il semblait dire: d’accord,

Puis il léchait ma main pour me remercier,

C’est vrai ce souvenir me tire des larmes encor!

Il est des jours affreux où rien ne vous sourit,

J’allais comme d’habitude voir mon joli “Gamin”

Il gisait, pattes en croix au fond de l’écurie,

L’œil déjà dans le vague vers les tristes demain!

Il a surement rejoint le paradis équin,

A ses congénères morts il doit dire bonjour,

Proclamant regretter le règne des humains!

Il avait vingt huit ans, et je l’aime toujours!

°°°°°

©Mathian Daniel Marcellin-Gros

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Invité
14 juin 2018 1 h 26 min

Très bel écrit merci.

Laurence de Koninck
Membre
13 juin 2018 16 h 12 min

Alors bravo pour vos deux talents qui font si bien la paire !

Laurence de Koninck
Membre
13 juin 2018 10 h 49 min

Quel bel hommage à ce noble animal. En vous lisant, j’étais au milieu d’une toile de maître. Bravo…

Christian Satgé
Membre
13 juin 2018 6 h 15 min

Un superbe texte où je retrouve les ambiances et la vie que me narrait mon grand-père, qui aimait tant « les meilleurs amis des hommes » (maréchal-ferrant, dresseur et conducteur de chevaux de labour), avec ce petit côté nostalgique qui m’a toujours fait apprécier “le petit cheval blanc” mis en musique par G. Brassens. Merci pour ce partage…

Invité
12 juin 2018 22 h 32 min

Très joli poème .