Le blaireau au ras des mots – Christian Satgé

Petite fable affable à Olivier, amicalement

 

Au beau bois de bon aloi où il vaquait fort
Et divaguait, un blaireau tant épais, je pense,
Par le corps que par l’esprit, non sans maints efforts,
Poétisait comme tant d’autres mangent : à panse
Rebondie ! On aurait pu laisser mourir ce fat
Dans son obscurité mais, hélas, et sans doute
Faute d’humilité, il souhaitait à l’alpha
Et l’omega des gens de plume, pauvre croûte,
Se frotter. Tant pis pour ridicule ou déroute !

 

Lui, qui n’était que mauvais poil fort rebroussé,
Il voulait leur faire prou partager de ses lignes
Inégales. Pour rimer des mots émoussés,
Il peinait pourtant à faire des vers qui soient dignes,
Les trouvant trop pauvres d’encre et d’illusions.
Mais il fallait assumer sa décision :
Vouloir sortir de son sous-bois et de ses ombres,
N’étant alors lu de personne et, pis, connu
D’encore moins de gens, vivant sous des décombres
D’espoirs qui mettent et le coeur et l’âme à nu,
Arrivés à rien, en rien parvenus.

 

À peine posa-t-il sa patte hors des taillis
Que s’offrirent à lui trouées et clairières
Car ce bon pataud-là fut des mieux accueillis
Par habitués et chalands : en ces tourbières
On est bienveillant et hospitalier,
C’est la fraternité des fous halliers.
Notre blaireau se sentit comme coq en pâte
Au milieu de ces grands en disant sa pensée
Et en rendant hommage parfois, avec hâte,
À qui, fort de l’haleine des muses, berçait
Ces ramées, enchantait ces feuillées délacées,…

 

Un beau matin qu’il voulait honorer le cerf,
Roi en ces fourrés et bosquets, le volubile,
Serf moins qu’habile, se vautre hélas. Contre-perf’ !
Oncques ne fit jamais pareille chose. Débile,
Le sot avait heurté et retourné un mot,
Achoppant au pied d’une haute colonne
De son dictionnaire et créant quelques maux
À celui qu’il voulait encenser. Ah, félonne
Assurance qui fait de la corbelle aiglonne !

 

Pour un mot en « T » mal approprié,
Enté là, ce furent fort justes remontrances,
Explication de texte, excuses priées,…
Le blaireau s’en souviendra et c’est souffrance
Que ce mot en « T » qui, dès lors, l’a fort hanté
Car si épais soit-il, de bon cœur il ne manque.
Ni père siffleur ni persifleur, ce tortu
S’en tient à la maxime du saltimbanque :

 

« Aussi savant te crois-tu, ne sois pas tant obtus,
Ouvre sans fin ton dico’ à toi et à tu ! »

 

© Christian Satgé – novembre 2018

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Christian Satgé

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Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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6 Commentaires
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Invité
2 décembre 2018 19 h 19 min

Eh bien ! on va quand même le blairer, ce blaireau de la fable, il l’a mérité. Merci Christian !

Anne Cailloux
Membre
2 décembre 2018 15 h 05 min

Même ici, nous avons vu des blaireaux…
On aurait même pas pu se raser avec….
Merci de cela
Anne

Invité
1 décembre 2018 17 h 58 min

Et on en croise souvent des blaireaux ! Ils en deviennent même rasoirs ! Bravo pour les fous halliers hospitaliers, j’adore ! Merci pour cette nouvelle fable. Amicalement.