Lamrani Mohamed-Brahim Boumedien

 « Mens sana in corpore sano » (un esprit sain dans un corps sain ). Cet adage je l’ai appris non pas par mon professeur de latin, (je n’en faisais pas encore), mais par Cheikh Lamrani qui nous enseignait la morale, le rituel, le droit musulman et la traduction.

 

           Pourquoi cette expression et tant d’autres sont-elles restées gravées dans la mémoire de ses élèves ? Simplement parce que chez cet homme l’action précédait déjà la parole, au moment où, faire suivre la parole par l’action était considéré par beaucoup comme un « haut fait d’armes ». De plus, bien campé sur ses jambes, Cheikh Lamrani en imposait : plus sain que cet esprit et ce corps, ses auditeurs n’en voyaient pas. Non pas que les autres professeurs n’avaient pas autant de mérite, de talent ou de compétence, mais une aura particulière émanait de cette encyclopédie vivante.

 

           L’adage latin cité plus haut n’était pas le seul à sortir à bon escient de la bouche de ce vénérable Maître. En véritable pédagogue, il sortait au bon moment un « Panem et circenses » (Du pain et les jeux du cirque) pour expliquer une forme de gouvernance calquée sur les Romains.

 

           Pour dissuader les fraudeurs en composition, Cheikh avait l’habitude de s’adresser en ces termes à un camarade assis au fond de la salle : « Un tel, n’oublie pas que je vois à travers les poches ! » En fait, il n’avait jamais sanctionné personne.

 

            Une anecdote inoubliable : Cheikh Lamrani qui était d’une ponctualité exemplaire arriva un jour en classe exaspéré, parce qu’en retard de cinq minutes. S’adressant à l’auditoire, sa première phrase fut : « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf ! » C’est ainsi que nous apprîmes que son courroux avait pour origine le dépassement de sa vielle 403 par un tricycle dont le conducteur était tellement pressé qu’il avait égratigné son véhicule, l’obligeant à s’arrêter pour les formalités d’usage..

 

             Mais le plus remarquable dans l’action de ce pédagogue était de prendre n’importe quelle classe, dans n’importe quel cours, au pied levé ! Qu’il s’agisse de latin, de mathématiques, de physique, de français, d’histoire ou de géographie, plus omniscient que lui, sur terre, nous n’en connaissions pas. Il le faisait de plus, avec la conviction du devoir.

 

            La dernière fois que j’ai eu le plaisir et l’honneur de rencontrer Cheikh Lamrani, c’était au Ministère de l’Education, il y a quelques années : nous attendions tous deux d’être reçus par le Secrétaire général. Son bonheur était aussi grand que le mien. Il me fit part de son dépit, mais en même temps de sa ferme détermination à servir son pays comme l’ont fait ses disciples. Sa dernière phrase, dite avec une fierté légitime a été : « Nous avons formé des hommes utiles à la nation dans un moment difficile. Les plus bas dans la hiérarchie, sont chefs de daïras, d’autres sont ministres, alors ? »

 

          Maître, je vous prie de m’excuser si je n’ai pas été à la hauteur dans la page que je vous consacre aujourd’hui : votre bienveillance naturelle ne peut se résumer en une page. Je sais que je peux compter sur votre indulgence.

“Rahmatou Allah alaïka ya Cheikh “

 

 

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Brahim Boumedien

Brahim Boumedien (544)

- Diplômé de l'Ecole Normale Nationale d'El-Harrach - Formateur (Education Nationale et Formation professionnelle) - Ancien professeur de Techniques de gestion et de Techniques d'Expression - Ancien professeur à l'ENNET - Ancien directeur de collège. S'occupe actuellement de recherche pédagogique (lutte contre l'analphabétisme, en particulier)
Site Web : http://pedagotec.e-monsite.com

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4 Commentaires
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Invité
5 mars 2020 16 h 20 min

Brahim, j’adore ces histoires ou anecdotes ! Celle que vous avez écrite en hommage à ce talentueux professeur me plait énormément. Merci Brahim !

OberLenon
OberLenon
Invité
5 mars 2020 15 h 42 min

Merci pour ce partage Brahim