La Stella… (-1-)- Philippe X

   En Auvergne, dans les méandres de la rivière Allier, se lovait une guinguette fréquentée en se­maine par les gens de passage, et le dimanche par les amateurs de friture et de valse à Nénette. 

   On aurait pu y rencontrer Renoir et ses pinceaux, tant l’endroit était charmant et baigné par la quiétude. 

   Cet endroit ignoré des gens pressés, faisait figure d’oasis aux locaux.

   Quand vous empruntiez cette route sinueuse, aucune publicité ne vous avertissait de sa présence, et lorsque à la sortie d’un virage périlleux, vous jetiez un coup d’œil dans le rétroviseur… trop tard, vous veniez de dépasser l’accès à « l’Abreuvoir » ainsi nommé par les pénitents du voisinage qui le baptisait aussi  « la Chapelle ».

L’établissement aux charmes surannés surplombait la rivière et voisinait des fours à chaux, vestiges d’une époque durant laquelle, les habitants des villages aux alentours n’avaient nul besoin d’aller à la ville pour chercher du travail. 

   J’avais découvert  l’existence d’un fabriquant d’huile de noix et de son compagnon, un âne répondant, quand il le voulait bien, au nom de « tchou-tchou » (c’est lui qui entraînait une meule en pierre pour écraser les cerneaux). Ainsi, après avoir écrasé les cerneaux, il faisait chauffer à l’aide d’un feu de sarments de vigne, un grosse cuve dans laquelle étaient cuits des morceaux de viande de bœuf… souvenirs gastronomiques et astronomiques ! 

   Un forgeron qui aurait pu être la doublure de  Cétautomatix dans la BD d’Asterix le Gaulois !  Mais devant la forge il faisait chaud, et pour étancher sa soif, le rosé clairet du voisin, le désaltérait et faisait en sorte que parfois, le marteau tombait à coté de l’enclume…

   Un couple de vignerons atypiques, producteur d’un breuvage qui aurait très bien pu servir à dégraisser les chaînes de vélos .

   Son épouse, confectionnait de petits fromages de brebis qu’elle vendait sur les marchés en disant selon la formule consacrée, : « vous m’en direz des nouvelles ». 

   Lui « réel bout en train » dont l’humour gaulois faisait dire : « moi…je fais dans le vin…ma femme fait la chèvre ». 

   Une femme qui résidait dans une ruine haut-perchée à flanc de coteaux, maintenait le mystère sur ses origines. 

   L’amas de pierres blanches se situait à l’écart du petit bourg, une source timide mais rafraîchissante gargouillait devant sa porte. 

   Outre le fait de lui fournir de l’eau potable pour ses besoins journaliers, cette eau servait à faire tremper l’osier qui lui servait à confectionner des paniers.

   Elle tressait des ouvrages à la demande, c’était une artiste chez qui « des dames » issues de la bourgeoisie, venaient passer des commandes. Il n’y a jamais eu de concurrence entre ses productions et celles des Manouches qui venaient lui rendre visite.

   Bien-sûr le dépeuplement chantait par Jean FERRAT dans « Que la montagne est belle » avait commencé, ce n’était plus le tocsin qui se faisait entendre mais le glas annonciateur de la mort de la France profonde.

   Que faire pour endiguer cette terrible maladie qui nous frappe toutes et tous ?  

   Je devais pour un instant seulement, faire revivre ces chroniques d’un autre âge, en souvenir de la vie que j’ai partagée avec mon beau-père… c’était hier… déjà…. hâtons nous de ne pas en perdre les souvenirs, je sens que vient l’oubli.       

   De faire battre les cœurs, elle avait cessé, elle remplissait dès lors les estomacs des gens pressés.      

   La tôlière était surnommée :  LA STELLA      

   J’ai comme une petite idée au sujet de ce sobriquet, le nom d’une bière d’Artois ne devait pas y être étranger, et j’ai souvenance d’un grand panneau publicitaire ornant l’entrée du caboulot.

    Mon beau-père avait connu l’endroit du temps où la télé était en noir et blanc et où les français utilisaient leur temps de repos pour communiquer de vive voix.    

   La tenancière était dotée d’une forte personnalité et il le fallait bien.               

   En compagnie de sa belle-fille, elle maîtrisait les fourneaux,  et la clientèle composée d’ouvriers et commerciaux œu­vrant dans les environs.        

   Comme on le dirait maintenant  «les « happy hours » rassemblaient quelques irréductibles gaulois qui faisaient de ce lieux un outil contre l’oubli et la morosité.      

   Mes tournées de chiffonnier me conduisaient en ces lieux. En y pénétrant, j’avais droit à un sonore ”salut le Manouche”.      

   Les clients présents me dévisageaient, et la patronne lançait à leur intention :  «Ce n’est pas un voleur de poules, il ne ramasse que les vieilles brocantes…  Jojo, tu ne voulais pas te débarrasser de ta femme… » Humour.      

   Cet endroit nous servait de chapelle, géographiquement, il se situait à portée de fusil du campement de mon ami Riton, chef d’une famille d’une quinzaine de membres. 

.

   

   Après chaque coup de commerce, nous allions prendre un bain de bière.  L’alcool aidant, les langues se déliaient, permettant ainsi de connaître les nouvelles d’un milieu très mouvant et pas avare de coups tordus.   En ce jour bien précis, la tradition fut respectée.    

   Après de nombreuses tournées, l’heure de l’apéro du soir se rapprochant à grandes enjambées, il fallut se rendre à l’évidence l’estomac criait famine.     

   «Tu veux crayav beau-père? »  « Oui, une petite omelette au jambon, pourquoi pas.»     

   Aussitôt dit aussitôt avalé ! Omelette, cochonnaille et fromage furent de la fête avec en prime du pinard bien rouge.      

   La Stella et sa belle-fille faisaient les allées et venues entre notre table et la cuisine, elles nous apportaient une aide précieuse en terminant les verres que les clients nous offraient.     

   Comme on dit y’avait du tangage.      

   Notre hôtesse avait la réputation de guérisseuse à ses heures perdues, et Dieu sait combien de temps elle avait passé à manipuler des articulations douloureuses … En vain !     

   J’ai eu ce jour-là une idée fumeuse.            

   « Beau-père, vous n’aviez pas mal au dos ?». Avant que le samu n’arrive sur place, notre guérisseuse – cuisi­nière – patronne était là, comme un chien d’arrêt, elle se tenait  droite comme un piquet d’acacias, les sens en alerte, les yeux comme des gyro­phares, prête à bondir :             « Ah, je savais bien que quelqu’un avait mal, toi viens par ici »     

   Le Beau-père fut traîné manu militari dans la cuisine, emporté qu’il était par le vouloir de bien faire de la sau­vagesse. Ne tirez pas sur l’ambulance, la guérisseuse s’en charge.     

    Quant à nous, nous étions écroulés de rire, en savourant à l’avance ce que le pauvre homme allait subir.     

   Et pendant que la sage-femme massacrait le dos de l’homme perdu, un des frères de la côte (c’est comme ça que j’appelais les Manouches ) comptait fleurette à la belle-fille, au milieu des cageots de légumes.     

   Une fois l’affaire terminée, redoutant la colère de sa belle-mère, la « pas tout à fait » victime, alla se plaindre des gestes déplacés ou trop bien placés du soupirant.    

   Ce qui restait du beau-père est revenu en boitillant, jurant, mais un peu tard qu’on ne l’y reprendrait plus.  Il avait ingurgité une rasade d’eau-de-vie de poire pour pouvoir tenir le choc, la bouteille à la main regagnant difficilement le monde des rescapés, il ne comprit pas pourquoi nous décidâmes de partir très rapidement.    

    Les libations se sont interrompues brusquement, et c’est sous les vociférations des deux hôtesses que nous sommes partis en oubliant, je crois, de régler une bonne partie de nos consommations.     

   Chacun est reparti chez soi. Le retour s’est effectué sans encombre, je connaissais les chemins des ma­nouches comme le disent les gens d’ici, c’est à dire des chemins de traverse que la maréchaussée ne fré­quentait pas trop.     

    Le retour fut accompagné de fous rires, et c’est avec une grande joie que nous avons gravi un à un les esca­liers menant à ma douce chaumière.     

    Tout aurait pu être bien dans le meilleur des mondes, mais c’était sans compter sur mon gouvernement,  mot employé en haut pays d’Auvergne pour gratifier l’épouse dans le couple.     Cet instant de grâce fut de courte durée, je n’avais pas remarqué, entre autre, que le soleil était sur le point de se coucher ce que nous aurions eu intérêt à en faire de même.     

   Un petit coup de patte à la porte et…               Oh ! Stupeur, le gouvernement est au grand complet derrière la porte telle une escouade de CRS lors des grands jours de mai 68.    Belle-mère et fille unies dans un front com­mun !!               « Dehors, les Romanos, passez votre chemin, voleurs d’enfants et de poules ! »      

   J’ai vécu un remake de « gare au gorille » lorsque les femelles du canton de Brive-la-Gaillarde assom­mèrent à coup de tétons ces pauvres gendarmes sur la place du marché.      

    Devant l’afflux de noms d’oiseaux et d’adjectifs s’y rapportant, nous bâtîmes en retraite chez mon beau-frère qui, pour nous remonter le moral, nous confia une bouteille de Ricard en mal de compagnie.      

Fous rires garantis en voyant l’affolement de la belle-sœur devant la situation, d’autant plus que tard dans la soirée, la bouteille d’apéritif anisée resta désespérément vide devant trois compères bien éméchés.

Ce n’est que très tard dans la nuit, en compagnie du Beau-père, que nous avons trouvé la force de regagner nos pénates, le piquet de grève surveillant l’entrée s’étant enfin endormi. 

Quant au lendemain……

.

©Philippe X – 23/01/2020

 

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OberLenon
OberLenon
Invité
24 janvier 2020 21 h 01 min

Un régal. Des personnages pour vous inoubliables, à nos yeux juste incroyables

Christian Satgé
Membre
24 janvier 2020 5 h 37 min

Je suis toujours aussi friand de tex chroniques d’un temps passé que tu sais faire vivre d’une plume alerte. Vite, vite, envoie nous l’épisode n°2. On en redemande…

O Delloly
Membre
23 janvier 2020 23 h 03 min

magnifiquement conté
merci

Invité
23 janvier 2020 13 h 29 min

Philippe, Vous êtes un conteur né !
votre chronique nous entraîne avec vous sur les chemins de votre vie…
Merci pour ce partage
Amitiés
Chantal