La libellule prévenante et le grillon prévenu – Christian Satgé

Petite fable affable inspirée par la sentence de Sénèque:
« Il n’y a plus guère de remède au mal quand les vices d’hier sont devenus les moeurs d’aujourd’hui » (Lettres à Lucilius)
 
À défaut de haute naissance, une libellule, 
Se voulait Demoiselle de bon lieu.
Elle encontre un gros grillon, matin, coinçant la bulle
L’œil vague, perdu au plus bleu des cieux.
Ce dernier, sachant le métier de la flemme,
Fringant mais, las, ô combien mal fringué 
– Livrée rapetassée, guêtres plus vraiment blêmes –
Paresse quand chacun est là aux aguets.
 
Notre belle l’alpague sans plus de manière,
En mots dentus et en phrases griffues.
« Sois donc sur tes gardes sinon, dans cette mouillère,
On ne dira plus que “tu es” mais que “tu fus”
Et finies pour toi repues à s’en péter la panse,
Franches lippées et autres bonne goulées ! »
Parmi ses défauts, plaisamment nombreux, l’autre pense,
Devoir laisser causer et, pis, tout couler :
« Reste coite et quiète, La Mère : rejeton
De ta race ne suis !… Inutile que tu me parles
Avec de grosses dents et que tu me donnes le ton
De ma chanson car je ne crains point les marles
Ni les merles et autres faquins qui, ici, tant règnent ;
Demain est un autre jour, il m’importe moins
Qu’aujourd’hui et ce qu’il m’apporte, Musaraigne ! »
L’arrogance aime avoir foule de témoins,
Notre chanteur se grise de ceux qui alors se présentent
Et retourne aux délices et suavités
Du moment, la libellule si bien disante
Laissant ce mufle à ses destin et fatuité.
 
Un oiseau, qui n’avait pas perdu une miette
De cet âpre et bref dialogue de sourds,
Noulant, lui aussi, perdre en discours de mauviette
Un temps hors saison attrapa notre gourd
Grillon : « Je suis bien aise que toute prudence
Te soit chimère, l’Ami : mon appétit
T’en remercie !… La paix et, pis, l’abondance
Sont mauvaises conseillères, Mon Petit.
Tu aurais mieux fait d’écouter l’autre débile
Au lieu de jouer là au patarin
Car comme me disait un ami venu des îles :
“Mer calme n’a jamais fait de bons marins !” »
 
© Christian Satgé – janvier 2019

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Christian Satgé

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Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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4 Commentaires
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IRIS 1950
Membre
9 juillet 2019 19 h 00 min

Une très belle fable bien conçue. Bravo à vous pour cet écrit. Belle fin de journée. IRIS

Anne Cailloux
Membre
8 juillet 2019 15 h 37 min

Loll, pour une fois , je suis heureuse de cette fin. Voila ce que ça fait que de se la péter !!
Bravo Christian, je prends des leçons et les retiens..