Kate – Sara Diluna

Kate sortit de l’ascenseur de l’immeuble. Lorsque les portes s’ouvrirent, elle découvrit une masse de personnes déambulant dans le rez-de-chaussée qui ressemblait à présent à une grosse artère commerçante qui voit défiler les passants en courant. Dans la foule, une petite jeune femme légèrement ronde, vêtue d’un tailleur tenait dans ses mains un porte-documents. Son visage rond, égayé par de grosses lunettes à la monture épaisse noire comme la couleur de ses cheveux mi courts légèrement bouclés, lui lança un regard qui lui était familier et qui la rassurait un peu. Cette petite jeune femme avait beaucoup souffert durant sa jeunesse. Longtemps sous l’emprise de la drogue, elle travaillait à présent au sein d’une institution de grande renommée en tant qu’assistante sociale. Dans le mouvement de précipitation de la foule matinale, elle avait frôlé Kate en la bousculant involontairement. C’était son petit air masculin qui lui donnait du charme. Puis, elle reprit son chemin avec une expression de pardon. Kate sentit un trop-plein d’émotions l’envahir soudain. Une sorte de nostalgie tendre et malsaine commença à la submerger. Elle eut presque envie de pleurer, mais ses larmes coulèrent à l’intérieur. Après quelques secondes de prostration, elle reprit ses esprits et se dirigea dans la masse qui la conduirait en plein centre-ville.

La jeune femme qui, de rien était devenue quelqu’un, s’appelait Malika. C’est Kate qui, pendant de longues années et avec tant d’ardeur, l’avait aidée à se libérer de son sevrage à la drogue et à la vie infernale qu’elle menait. Elle l’avait formée aussi afin qu’elle puisse décrocher un super emploi. A présent, voilà qu’elle est devenue une femme, assistante sociale de haute renommée, dans la ville désormais la plus peuplée et célèbre du monde : la Cité Réformée.

Malika était très douée et elle dirigeait aussi les autres employés de l’institution au sein de laquelle elle avait été engagée grâce à Kate. Elle cumulait ses fonctions … et plus elle cumulait, plus elle planait. Le travail, vous l’aurez compris, était devenu sa drogue.

Le lien qui unissait Malika à Kate était très malsain au regard des gens. Kate n’osa jamais avouer son penchant pour les belles femmes. Aussi, toutes ces années vécues avec Malika, son ex petite amie et ancienne compagne de kot lorsqu’elle fréquentait l’université, avaient été très pénibles à vivre car tout le monde la jugeait et la pointait du doigt.

Mais Kate ne pensait qu’au bonheur de Malika et même si, au fond, elle était un peu jalouse, l’idée que Malika se mette en ménage avec un jeune homme ne lui était pas défavorable du tout. Au contraire, cet évènement représenterait pour elle une seconde victoire car Malika était la plus jeune des deux et Kate l’avait toujours considérée un peu comme sa petite sœur ou la petite fille qu’elle n’a jamais eu. Kate accéléra le pas et longea la route. Arrivée sous le grand pont, le bruit des voitures et des camions s’amplifiaient davantage et devenaient même insupportables. Le trottoir, quant à lui, se rétrécissait de plus en plus … Kate était nouvelle dans cette ville qui ressemblait un peu à New York et elle n’avait aucune idée de ce qui pouvait se trouver au-delà du grand pont. Soudain, elle sursauta de frayeur. Une espèce de petit homme nain aux jambes très courtes et au visage très grand était là sur le trottoir. « Attention ! » lui lança-t-il de loin, comme pour l’avertir d’un danger imminent. La vue de cet homme handicapé assis là sous un pont aussi mal éclairé lui donnait vraiment la chair de poule. Mais il était déjà trop tard lorsque Kate sentit son pied s’enfoncer dans la jambe molle du clochard. La sensation était horrible.

Ayant l’habitude de marcher vite, elle ne l’avait pas vu là par terre, sous ce pont qui empêche la lumière de pénétrer. Cet incident l’obligea à dévier sa trajectoire et, au lieu de continuer tout droit, elle prit le chemin de traverse qui tournait vers la gauche afin d’en finir au plus vite avec ce nain pourtant pas bien méchant.

Le chemin oblique était en fait un raccourci qui devait l’amener directement au-delà. Le chemin oblique était en fait un raccourci qui devait l’amener directement au-delà du pont. Hélas, il s’avéra être sans issue.

Prise de panique, Kate se retrouva dès lors coincée dans une espèce de grotte obscure. Au loin, en dirigeant son regard vers la gauche, elle pouvait entrevoir les rails du chemin de fer grâce à une petite ouverture. Cet endroit lugubre était probablement le quai de la gare, pensa-t-elle.

C’est alors qu’elle vit une ombre blanche surgir au loin. Elle pensa que ce navetteur, qui se trouvait un peu en hauteur dans le noir, allait pouvoir l’éclairer et lui indiquer la sortie de cette impasse sombre et humide. Mais aucun son ne sortit de cette ombre lumineuse. C’est alors qu’elle réalisa qu’il ne s’agissait pas d’un passant. Cette silhouette transparente et éblouissante, qui ressemblait à un revenant était en fait un vivant-mort habitant sous le pont depuis janvier 2032 et l’endroit qu’elle tentait en vain de traverser afin d’atteindre l’autre côté du pont constituait, quant à lui, un refuge pour tous les condamnés, rejetés de la Cité Réformée.

L’odeur de l’urine venait à présent chatouiller ses narines. Elle pâlit et des gouttelettes froides s’écoulèrent le long de son front. Figée, à nouveau prostrée devant cette horreur sociale, l’Inquiétude lui conseilla de faire demi-tour. Sur le chemin du retour, l’émotion étant trop forte, elle finit par s’évanouir en s’écroulant sur le sol.

Mélodieusement, le chant des oiseaux la réveilla. Tout ceci n’était qu’un triste cauchemar. Il était 6h30 du matin, lorsque Kate se leva du bon pied, heureuse d’être enfin libérée de ce rêve affreux. Elle avala son petit déjeuner. Un jus de framboise et trois petits pains au chocolat l’attendaient sur un plateau dans sa cuisine. Elle ne devait pas traîner afin d’être à l’heure au boulot. Aussitôt prête, elle enfila sa veste et prit l’ascenseur de son immeuble. Lorsque les portes s’ouvrirent automatiquement, elle pâlit de stupeur. Une espèce de petit homme nain aux jambes très courtes et au visage très grand se tenait debout là dans la cage électrique. « Vous n’entrez pas ? » lui demanda-t-il. Elle fit un pas en avant un peu hésitante et salua maladroitement son nouveau locataire en ne le quittant pas des yeux. Lorsque les deux portes coulissantes s’ouvrirent, une voix lui cria : « Attention Madame ! regardez un peu où vous mettez les pieds enfin ! ». Kate, dans sa précipitation, n’avait pas vu le chien de la voisine qui aboya de douleur.

A l’extérieur, un soleil éblouissant éclairait le centre-ville. Kate jeta une pièce à un mendiant tout en saluant certains passants. Lorsque le métal tomba dans la coupelle, elle se réveilla en sursautant.

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Sara Di Diluna

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Auteure belgo italienne, j'écris et je chante à la guitare depuis l'âge de mes quinze ans.

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