Il n’y aura plus de Noël avec elle – Sara Diluna

Chapitre 1 : drôles de circonstances

  Raymonde, la petite blonde, était dans le couloir de l’Hôpital des Belles Rencontres. Elle regardait le personnel soignant qui entrait et sortait d’une chambre à l’autre. Soudain, elle vit au loin un chariot avancer vers elle. Raymonde était épuisée et le bruit des roulettes en métal s’amplifiait dans sa tête.
 

  Deux infirmières poussaient le matériel ambulant tout en échangeant entre elles des paroles qui semblaient les mettre de bonne humeur. Raymonde aperçu alors le visage de la seconde femme en blanc. Derrière sa courte chevelure bouclée, elle reconnut le personnage. Il s’agissait bien d’elle : Estelle.

  « Bonjour Raymonde. Comment vas-tu ? Que fais-tu ici ? »
  « Je viens voir ma maman », répondit Raymonde qui crut voir à nouveau le monde s’effondrer autour d’elle.
  « Ah oui je vois. C’est la dame qui se trouve à la chambre numéro treize. C’est nous deux qui sommes chargées de prendre soin d’elle », dit-elle en souriant.

  Le visage de la petite blonde vira subitement au vert.

  « Et comment va-t-elle ? », enchaîna-t-elle.
  « Son état est toujours stationnaire », répondit Raymonde sans l’expression de la moindre émotion.

  « Mais toi, raconte-moi, comment en es-tu arrivée là ? ».

  « J’ai suivi une formation à l’Ecole des Infirmières Déglinguées et je suis ensuite devenue aide-soignante », répondit-elle d’un air victorieux et toujours avec ce sourire qui laissait entrevoir ses dents blanches éclatantes.

  Raymonde pâlit subitement. Elle pensa qu’elle allait s’enfoncer dans le sol mais Estelle la ressaisit en lui demandant :

  « Et toi, tu travailles où ? ».

  Raymonde hésita avant de lui répondre.

  « Je … », puis elle réfléchit à nouveau afin d’enjoliver la réalité.
  « Je travaille pour une association qui s’occupe des enfants du Tiers Monde ».

  C’est ainsi que s’acheva la conversation.

  Chapitre 2 : dernière promenade

  De retour dans la chambre, Raymonde découvrit sa maman debout qui avançait lentement en s’appuyant sur son baxter ambulant. Elle souhaitait marcher un peu dans le couloir des Mauvaises rencontres. Main dans la main, elles avançaient toutes deux. Le silence était maritime.

  « Tu n’as pas de chance », dit la souffrante.

  Tels furent ses derniers maux.

  Le lendemain matin, Raymonde apprenait que l’on transférait d’urgence sa maman vers un autre centre hospitalier. Une overdose médicamenteuse en était la cause. Aux soins palliatifs intensifs, il fallut augmenter le volume de la potion, cette fois volontairement et ce, afin d’éliminer définitivement la maman.

  L’enterrement fut l’évènement suivant.

  Chapitre 3 : la rencontre

  Un an plus tard …

  Le soleil brille mais l’air est fortement glacial. Nous sommes le deux novembre, jour des morts.
De retour de sa visite chez les Tombes où elle était allée se recueillir, Raymonde fit signe, en courant à perdre haleine, au chauffeur de l’autobus macabre numéro treize. Elle prit place confortablement sur un siège rouge encore tout brûlant de la chaleur humaine précédente.

  A ses côtés, était assise une jeune dame un peu ronde à la chevelure courte légèrement bouclée. C’est l’étrangère la première qui reconnut Raymonde qui semblait plongée dans son monde, repliée sur elle-même, avec le visage presque complètement masqué par son bonnet de laine.

  « Raymonde ! »

  La mascotte tressaillit sous sa doudoune rembourrée de duvet. Son regard vide délaissa alors ses petites bottes pour se diriger à pas comptés vers la droite.

  « Que c’est triste pour ta maman. Mais au fond, on savait bien qu’elle allait mourir », proféra l’immonde.

  Raymonde la regarda avec un air nébuleux comme si elle venait à peine de se réveiller d’une anesthésie généralisée. L’aide-soignante comprit alors que le deuil était encore frais. Elle changea donc de but en blanc le sujet de dissertation. Et de nouveau joyeuse, elle lui annonça une bonne nouvelle avec un large sourire qui laissait entrevoir ses canines étincelantes.

  « Et tu sais quoi Raymonde ? »

  La petite blonde la fixait attentivement comme pour éviter qu’un geste maladroit ne vint percuter derechef sa délicate peau blanche.

  « Je suis Mariée, ça y est ! J’ai enfin trouvé l’Homme de ma
Vie !».

  Insensible à son bonheur, Raymonde rétorqua d’un ton aussi monotone que la couleur grise de sa veste d’automne.

  « Et comment vont vos enfants ? », dit la décolorée nonchalamment.

  Touchée en plein placenta, Estelle commença à lui débiter sa vie de couple en décrivant l’homme de ses rêves et son Septième Ciel.

  Raymonde qui absorbait goutte à goutte chacun de ses mots décida de laisser son interlocutrice dans son Paradis.

  Aussi, afin de ne pas sombrer sous les paroles de la folle, elle actionna de son doigt ganté et avec une forte pression le bouton rouge se trouvant sur la barre en fer argenté du moyen de transport en commun.

  L’ambulance s’arrêta soudain et elle pu sortir de toute urgence de cette chambre post-opératoire afin d’inhaler un grand bol d’air et reprendre ses esprits.

  L’aide-soignante fit signe en saluant sa victime à travers la vitre du corbillard déjà en partance pour le prochain arrêt.

  Chapitre 4 : le retour

  Arrivée chez elle, Raymonde voyait encore le visage d’Estelle tout souriant la saluant. Cette scène ne quitta pas un instant sa mémoire.

  Dans le tiroir de sa table de nuit dans lequel elle rangeait sa montre et son étui, se trouvait une photo qui renvoyait de façon rassurante et inquiétante à la fois une image maternelle.

  « Qu’elle était belle », pensa-t-elle tout en caressant le cliché.

  Puis, elle ouvrit la petite armoire dans laquelle se trouvaient tous ses albums. Elle prit celui dont la couverture est verte.

  Elle tourna lentement les pages en carton reliées par des anneaux en métal doré et arriva finalement sur une ancienne photographie de groupe d’adolescents tout souriant.

  Son regard se posa sur elle : Estelle.

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© Sara Diluna – 30/10/2018

 

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Sara Di Diluna

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Auteure belgo italienne, j'écris et je chante à la guitare depuis l'âge de mes quinze ans.

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