IL NE LEUR MANQUE QUE LA PAROLE… CROIT-ON ! – Véronique Monsigny

CHAPITRE 1– Chacun son maître

 

Câline se réveille d’un coup et bondit à la recherche de Charly. Comme celles de tout jeune chaton, ses journées sont alternances de courts sommeils et de veilles agitées, la sieste du matin succédant à la grasse matinée. Puis vient la longue sieste jusqu’à 16 heures.

Et justement, il est 16 heures. Elle le sait, d’instinct et aussi par le soleil qui quitte lentement son zénith et rend l’air de juillet plus respirable.

  • Mais où est donc ce chien ? tout à l’heure, il m’a envoyée « au panier ». Je suis partie, fissa. De toute façon, il ne m’a pas laissé le choix, il a la patte leste, le bougre. Mais c’est un bon bougre. Il était là bien avant moi, il ne cesse de me le rappeler. Droit d’aînesse oblige, je lui dois le respect. Mais, faut pas exagérer tout de même, je ne suis pas un chien. Je suis allée dormir sur le lit de Madouce, comme tous les après- midi. Le matin je préfère le bureau de Chéri, il est plus frais. A chaque heure mon domaine.

Câline entre dans le salon, s’approche du panier sous la table et où ronfle le boxer. Tout doucement, sournoisement, une patte après l’autre, ventre à terre, elle s’arrête, observe les flancs du ronfleur qui font des vagues d’écume rousse. Elle ne sait pas compter, mais au jugé, estime qu’il est temps de bondir sur l’ancêtre pour déclencher une partie de « chat-chien ».

  • Ouaf ! éructe le pauvre Charly surpris en plein rêve. Ah non, ça suffit espèce de sac à puces ! tu m’as encore fait manquer le meilleur de mon rêve ! Attends un peu que je t’attrape et je vais te faire passer le goût de tes insolences.

Alors commence une course poursuite à travers le salon, la chambre des maîtres, le couloir, le bureau, retour au salon.

  • Ouaf ! Ce n’est pas du jeu, tu te perches toujours hors de ma portée. Comment veux-tu que je grimpe sur l’armoire ! Sur le canapé passe encore, mais je te rappelle qu’à cause de toi, je me suis fait punir par Chéri le jour où il m’a surpris sur les coussins tandis que tu avais déjà filé sous le fauteuil. J’avais l’air malin ! Comment leur expliquer que j’étais en train de t’éduquer un peu de savoir vivre. Il faut bien que je m’en occupe vu que Madouce est complètement fondue dès qu’elle te voit. Même le jour où tu as fait pipi sur le tapis (beurk !).

Il faut dire pour comprendre l’indulgence de Madouce, qu’elle espère depuis longtemps qu’un bébé fasse sa chambre dans le « bureau ». Mais, Chéri qui n’est visiblement pas pressé,  lui a offert, “en attendant”, un chaton pour son anniversaire. Charly qui avait déjà vécu l’arrivée de Madouce dans la vie de son maître adoré, en perdit l’appétit pendant au moins… deux jours.

Deux jours de bouderie, c’est long, même pour un chien de dix ans… Câline, ainsi que Madouce la nomma, porte bien son nom. Elle venait d’être arrachée à sa portée et recherchait la fourrure du chien et les cheveux de ses nouveaux maîtres pour étouffer ses ronrons. Charly la regarda d’abord comme un machin bruyant et potentiellement dangereux. Mais il comprit vite que le petit moteur s’arrêtait tout seul au bout d’un certain temps et sombrait immanquablement dans un profond, sommeil. Alors, Charly s’habitua, tant et si bien qu’aujourd’hui, six mois plus tard, il n’imagine pas la vie sans Câline. Enfin, si, pendant la sieste où il rêve d’un monde tranquille, un monde où il ne serait pas réveillé en sursaut, et où personne ne mangerait sa gamelle

Un bruit derrière la porte du couloir, celle qui est cachée derrière un gros rideau gris. Signal de bonheur pour les deux comparses. Mais chacun espère son préféré… Câline attend Madouce qui la prendra dans ses bras, la hissera jusqu’au creux de son cou et lui susurrera des mots tendres que le petit félin ne comprend pas, mais qu’importe… le langage des sentiments est universel.

Charly quant à lui attend Chéri, mais pas pour les mêmes raisons. Vous n’imaginez tout de même pas que Chéri va le prendre dans ses bras. Entre mâles ça ne se fait pas. Non, ce sera une tape virile sur le flanc droit puis il passera sa main sur son museau humide. Gagné, c’est Chéri qui rentre en premier ce soir. Après avoir sacrifié aux  caresses et coups de langue d’usage, c’est pour Charly, le signal tant attendu pour courir chercher sa laisse accrochée dans l’entrée. On redescend pour la promenade. Sans Câline et sans Madouce. Rien que Maître et chien. Charly, fier comme le chien d’Artaban, marche aux pieds de son idole. Jamais devant, jamais derrière : c’est ainsi qu’il a été dressé lorsqu’il avait l’âge de Câline. Autant dire à l’aube de l’ère carolingienne.

Arrivés au parc, maître-Chéri lâche la laisse et un « hop ! » solennel, et Charly bondit dans les allées. Nez au vent, oreilles en étendards, le boxer lance ses pattes avant bientôt suivies des pattes arrière, les unes poursuivant les autres. Peine perdue, les postérieures ne toucheront jamais  les antérieures. Mais qu’est-ce qu’on s’amuse. Charly s’arrête au bout d’un quart d’heure, essoufflé par la course mais frémissant de bonheur. Maître-Chéri, quant à lui, court comme un lièvre (enfin c’est ce que dit Madouce, Charly quant à lui n’a jamais vu de lièvre…). Et il n’est pas prêt d’être fatigué notre joggeur.

  • Et alors mon Charly, tu t’arrêtes déjà ? Mais on n’en a fait que la moitié tu sais ! Allez en route.
  • Oui, bon il va m’envoyer la baballe et il faudra que je la rattrape. Il en va de mon honneur de cabot. Voilà, je la rattrape, je lui ramène… et vous croyez qu’il va me féliciter, qu’il sera content de moi… ? Et bien non, il la prend et la relance le plus loin possible. Tous les soirs le même jeu. Épuisant !
  • Bien, bravo Charly, on a fini le tour : un peu lent aujourd’hui mais il fait encore chaud, alors j’ai pitié de ton grand âge. On rentre ! Aux pieds !
  • Ouf ! finalement j’aime bien quand il me remet la laisse. C’est plus calme…

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Véronique Monsigny

Véronique Monsigny (204)

J'ai commencé à écrire des poèmes à l'âge de 60 ans. Ce n'est pas moi qui les ai cherchés, ils se sont imposés à moi comme une bouffée d'air pur au moment de la retraite. Enfin laisser parler les mots qui dorment en moi !
J'ai lu Victor Hugo et Lamartine à l'adolescence, puis Aragon et Baudelaire un peu plus tard. Brassens a bercé mon enfance. Ils m'ont appris à rimer en alexandrins.
Le virus était en moi. Il y a sommeillé le temps de travailler, d'élever mes enfants, de taire mes maux pour mieux m'occuper de ceux des autres.
Et voilà le flot de mes rimes sur lesquels je navigue aujourd'hui, au gré des jours bons ou moins bons. Ils me bercent, ils m'apaisent... je vous en offre l'écume du jour.

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2 Commentaires
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Invité
22 juin 2017 1 h 44 min

Charmante histoire chien-chat !
Vivante et gaie, nous entraînant dans la sarabande
Merci pour la fraîcheur de ce récit
Chantal

O Delloly
Membre
21 juin 2017 23 h 19 min

Vous de retour, quel plaisir, et le mot est court
superbe morceau
mais puisque chap1, ne serait-ce pas une nouvelle plutôt
(pense aux virgules dans les phrases, évitant question)

Bise