“IL NE LEUR MANQUE QUE LA PAROLE.” – 2ème partie – Chapitre 9 (FIN) – Véronique Monsigny

 L’important n’est pas le but… mais le chemin

 

Madouce a quitté Chéri n°2. Depuis quelques années maintenant, elle a emménagé dans un appartement parisien, avec sa petite Justine qui commence demain le collège. Elle est tout excitée et attend le moment de découvrir l’école des « ados ».

Câline vieillit doucement et vit de ses souvenirs…

        Maouh ! mon Bon Vieux Charly, heureusement que j’ai ton panier. C’est ma roulotte, mon point fixe à l’horizon. Au moins, dedans je me sens toujours chez moi. Souvent je repense à mes amis de passage : toi, Mao, Papillon, Mouche-à-Miel, Pinson… Ah ! Pinson, il m’a fait un cadeau inestimable. Il m’a appris à apprécier ce que j’ai et à regarder autour de moi. Depuis, j’ai fait la connaissance de Pigeon mais je n’ai pas pu le suivre. Et il est moins généreux que Pinson. Lui, il roucoule pour séduire sa Belle, tandis que Pinson offrait sa chanson à tous les vents, pour ceux qui prenaient le temps d’écouter. C’était un véritable artiste mon Pinson ! Et puis j’ai revu les mouches, mais différemment. Aujourd’hui je ne les pourchasse plus. Je passe des heures à les regarder voler de fruit en fleur, je les regarde nettoyer leurs petites pattes, et leurs ailes transparentes. Quel spectacle !

 Et dans le « petit coin », près de ma litière, il y a les poissons-d ‘argent. Alors eux ils me sidèrent : pas de pattes, ventre à terre, ils s’agitent dans tous les sens. Quand Madouce fait le ménage ils disparaissent (j’en aurais pleuré la première fois). Mais dès qu’elle a le dos tourné, ils réapparaissent plus vifs que jamais. Finalement on ne s’ennuie pas en ville. La vie est plus calme, et convient à ma nature méditative.

Dans le fond, ma vie a eu ses tours et ses détours. Et finalement, je me retrouve comme le bon vieux Charly. J’observe et je philosophe. Plus de partie de chat-perché, ce n’est plus de mon âge.

         Justine, tu as préparé ton cartable pour demain ? c’est la rentrée il faut reprendre le rythme et les bonnes habitudes.

        Oui maman. Je peux regarder un dessin animé ?

        Oui, mais quand je dirai « au bain », tu files !

        Promis ! Oh, tu es là ma Câline. Mais tu n’as pas l’air bien… on dirait que tu as couru un cent mètres… Maman ! viens voir. Câline est toute bizarre ce soir !

Maman, c’est comme cela qu’on appelle Madouce-Babette-Mapuce maintenant. Câline ne songe même plus à s’en étonner. C’est comme cela ! Maman donc arrive en s’essuyant les mains sur son jean.

        Oh, tu sais ma Juju, Câline est une vieille dame maintenant. Elle passe sa vie à dormir… Mais oui, tu as raison, elle respire difficilement. Je vais prendre rendez-vous chez le vétérinaire.

        Mahouille ! je n’aime pas ça ! le vétérinaire annonce rarement des bons moments.

        Oh Maman ! La pauvre Câline ! elle ne va pas mourir j’espère…

        Pas tout de suite, enfin je ne crois pas. Elle peut vivre encore un peu avec ses médicaments. Mais il faut que tu t’y prépares. Cela arrivera un jour où l’autre.

        Mais je ne veux pas qu’elle meure. Elle n’est pas si vieille !

        Quinze ans c’est vieux pour un chat. Plus vieux que Papy et Mamie, et tu vois bien qu’eux aussi sont fatigués…

Justine n’entend pas, ne veux pas entendre ce que sa mère cherche à lui expliquer. Elle caresse Câline, l’œil humide.

        Elle me fait de la peine ! Et puis ce n’est pas juste. Les animaux domestiques sont des prisonniers ! Alors que dans la nature, ils sont libres d’aller et venir, de vivre toutes sortes d’aventures. Ils se marient, ont des bébés…

        Oui ma Juju, tu as raison. On décide pour eux de leur vie. On les empêche de grandir d’une certaine manière… Parce qu’on aime les cajoler, leur parler comme à un bébé qui ne grandirait pas.

        Oui, je vois. C’est un peu ce que tu fais quand tu m’empêches de faire ce que je veux. Tu me prends toujours pour un bébé.

        Mais toi ma chérie, ce n’est pas pareil. Tu es jeune encore. Tu vas grandir et petit à petit tu voleras de tes propres ailes. Tu découvriras de grands bonheurs au prix de petits chagrins.

        Et Câline, pourquoi vous ne l’avez pas laissé partir quand elle a grandi ?

        Parce que, pour devenir une chatte adulte et capable de se débrouiller, il aurait fallu qu’elle soit dressée par sa mère chatte. Et je t’assure qu’elle ne l’aurait pas dorlotée comme nous l’avons fait. Elle lui aurait appris à survivre, à se battre, à trouver sa nourriture. Et puis elle l’aurait chassée impitoyablement pour oublier jusqu’à son existence.   C’est à ce prix que le chaton acquiert sa liberté. Il vit toutes sortes d’aventures mais il prend des coups, reçoit peu d’affection et souvent, meurt prématurément…

        Miaouh ! elle va me faire pleurer là. Moi, je ne regrette rien. J’ai eu l’amour de mes maitres, la sécurité du gite et de la gamelle. Et pour l’aventure j’ai eu mon compte je crois…

        Mais Maman, pourquoi les animaux ne vivent pas aussi longtemps que Papy et Mamie ?

        Mais pour eux c’est pareil. Le temps leur parait aussi long. Et puis je vais te dire le secret que Papy m’a confié un jour : Quand on est jeune, on est curieux, on voudrait tout faire, tout avoir. On voudrait vivre éternellement, on voudrait… tout ! Mais au soir de la vie, si elle a été bonne, remplie d’amour et de découvertes, petit à petit, c’est comme la fin des grandes vacances. Tu es contente qu’elles se terminent. Parce que tu es rassasiée de vacances.

        Miaouh ! oui, là je crois que je comprends ce qu’elle veut dire. J’ai eu mon compte de câlins, de changements de vie, de nouveaux amis. Aujourd’hui, les souvenirs suffisent à me rendre heureuse. J’ai ma petite télé intérieure et cela suffit à occuper mes journées. Allez ma Justine, va remplir ton cœur d’amour, ta tête de souvenirs. Tu as un long chemin devant toi. Peu importe les tours et les détours. Peu importe la vitesse de tes pas. Peu importe les étapes. Ce qui compte c’est l’histoire que tu te raconteras quand tu seras une vieille dame. Je souhaite qu’elle soit plus douce que cruelle. Que tu puisses la raconter à tes petits enfants en les faisant rire. Ils envieront, non pas ton grand âge, mais « l’époque géniale de ta jeunesse ». Ainsi tu leur donneras envie de se lancer, eux aussi, dans l’aventure… Maintenant, allez philosopher plus loin, je voudrais bien dormir un peu…

 

FIN

Nombre de Vues:

34 vues
Véronique Monsigny

Véronique Monsigny (204)

J'ai commencé à écrire des poèmes à l'âge de 60 ans. Ce n'est pas moi qui les ai cherchés, ils se sont imposés à moi comme une bouffée d'air pur au moment de la retraite. Enfin laisser parler les mots qui dorment en moi !
J'ai lu Victor Hugo et Lamartine à l'adolescence, puis Aragon et Baudelaire un peu plus tard. Brassens a bercé mon enfance. Ils m'ont appris à rimer en alexandrins.
Le virus était en moi. Il y a sommeillé le temps de travailler, d'élever mes enfants, de taire mes maux pour mieux m'occuper de ceux des autres.
Et voilà le flot de mes rimes sur lesquels je navigue aujourd'hui, au gré des jours bons ou moins bons. Ils me bercent, ils m'apaisent... je vous en offre l'écume du jour.

S'abonner
Me notifier pour :
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires