Hommage à un soldat – Alan Méryl

Hommage à René Legrand

Je voulais rendre hommage à cet homme, soldat en 1914-1918. Plus de Cent vingt ans ont passé depuis sa naissance. A l’époque, là où il a vu le jour, c’est un petit village de maraîchers et de cultivateurs, pas très loin de la capitale, qui comptait à l’époque 900 habitants environ. Les maraîchers vont même vendre leurs produits jusqu’aux halles de Paris.

Beaucoup portent des surnoms dans le village et lui c’est «le fils au démon», bien sûr cela va de soit, son père se prénomme Edmond !

Il est né au mauvais moment peut-être, certainement, probablement, toujours est-il qu’il vient d’avoir 20 ans en février 1914. Il est fiancé depuis un moment déjà, nous sommes tout début mars 1918.

Il a été incorporé depuis septembre 1914, cela fait maintenant quatre ans qu’il est au combat, avec sa pièce d’artillerie de campagne.

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Alors, j’ai imaginé, pour lui rendre hommage, la lettre qu’il aurait pu écrire à sa fiancée, un soir en particulier dans un moment de mélancolie et d’accalmie au cœur de la guerre.

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Ma chère et tendre le, 03 mars 1918

C’est un peu avec les doigts gelés que j’essaie de t’écrire ce petit mot, ici en rase campagne le froid n’a pas d’égal tu sais, il est en permanence sur notre dos, comme un poux qui s’accroche.

Je crois bien que par moment je vais défaillir si ce n’est ton visage qui m’apparaît parfois, je l’imagine, je te vois, tu n’es pas un rêve, la beauté de ton si joli visage contraste avec toute cette crasse qui nous envahit dans laquelle nous vivons en permanence, et cette boue implacable qui monte parfois jusqu’à la moitié des roues des canons.

c’est difficile, mais je pense souvent à notre avenir, si tant est que nous ayons un avenir mes camarades et moi dans ces combats quotidiens ou la mitraille traverse les hommes et tout ce feu d’enfer qui fait éclater la terre et les projette comme des pantins, et font d’eux des morts à l’aube de leur prime jeunesse.

Alors, comme j’aimerais te regarder, et aussi sentir ton souffle sur mon visage, nous deux allongés l’un près de l’autre comme la dernière fois, tu te souviens. Cette espérance de te revoir je n’en doute pas.

Je porte toujours sur moi cette belle carte de Bonne et Heureuse année que m’a envoyée ma chère sœur Marcelline, que tu connais au village, et son petit Pierre.

Tu peux être rassurée, il y a deux Edelweiss de collés sur la carte, qui s’entrecroisent, et ne dit-on pas que cette fleur porte bonheur. Tu vois je ne crains rien.

Il y a aussi une belle citation de La Rochefoucault sur la carte «l’absence est le creuset où l’amitié s’éprouve».

On pourrait changer amitié en amour, et cela nous ressemble bien car ça fait longtemps que l’on s’attend, et ainsi notre amour, à n’en pas douter je le sens plus fort. J’ai hâte de te marier.

Et puis ma chère sœur Marcelline, est si pieuse qu’elle aura sans doute dit quelques prières qui me protègent et également pour que nous soyons bientôt réunis. Elle a aussi écrit sur la carte : «Rapporte là cette petite carte». C’est que j’y compte bien.

Je ne peux pas t’en dire trop, mais depuis la mi-janvier nous ne sommes pas loin de Verdun sur la rive droite de la Meuse. Nous sommes près de la Côte au Poivre, en face il y a le bois en T. Les allemands ne sont pas très loin devant nous.

Mais je ne veux pas t’ennuyer ma Chère et Tendre avec toute cette guerre, ces morts, cette désolation. Il y en a même, tu sais, qui arrivent à trouver du réconfort dans un sentiment de fraternité à la nation, lorsqu’ils entendent le coup de sifflet du Capitaine ou du Lieutenant pour monter à l’assaut des lignes ennemies. Ils se sentent rassérénés et confiants dans leur patriotisme, et vont tragiquement être les pourvoyeurs, à leur corps défendant, des charrettes qui les ramèneront vers l’arrière quand cela sera possible.

Le mois dernier, en février, le 5, c’était comme tu le sais, mon anniversaire. Avec les camarades de la 9ème batterie ont a bu quelques coups.

Comme j’aurais aimé être dans tes bras, te dire mille et une choses. Je regarde les fleurs qui arrivent parfois à pousser entre deux pierres, et je m’imagine que c’est toi qui m’apparaît, tu vois ce à quoi cela tient cette vision réductrice de l’être aimé ici, cela nous rassure, c’est éphémère, mais il me semble que nous perdons la raison dans tout ce fracas de bruits et d’obus à gaz qui nous pilonnent en permanence. Au début c’était plutôt calme mais maintenant c’est sans arrêt que nous subissons des tirs de l’ennemi.

Ah oui j’allais oublié de te dire, le grand chef, le commandant en chef pas moins, est venu nous voir début février pour remettre au régiment la fourragère aux couleurs de la croix de guerre, le Général Pétain en personne. Elle est attribuée au 39 ème RAC pour sa bravoure. Après cela, beaucoup ont dit qu’on était invincible. Quelle bêtise !

J’ai plus confiance en la petite carte de ma chère sœur Marcelline et dans ses prières, surtout qu’en ce moment depuis fin février l’ennemi au loin semble faire des tirs de réglages, nous n’arrêtons pas de recevoir des obus.

Tu sais, j’attends avec impatience la date du 20 mars, ici tout le monde le sait. Encore dix sept jours et nous serons unis pour la vie. J’ai un bon de permission de vingt jours à partir du 12 mars et je pourrais aussi aider le père à travailler au champs.

Mais rassure toi, c’est à toi que je veux consacrer mon bref séjour, ma résurrection d’entre les morts comme je l’appelle. Il faudra bien à un moment donné penser à revenir, mais tout le monde dit ici que la fin de la guerre est proche.

Pour l’heure, revoir nos champs, les fleurs, m’ennivrer des senteurs des vergers plantés de poiriers, pouvoir enfin méler nos lèvres en un baiser qui scellera notre amour pour toujours.

J’imagine enlacés l’un et l’autre nous profiterons de ce moment unique, nous parlerons de l’avenir, tu me diras tout ce qui a changé dans notre village, nous nous aimerons, nous vivrons, nous ferons la fête, nous nous marierons et tout le village sera convié.

Garde bien dans ton cœur tout l’amour et la tendresse que je te porte, rien ne pourra désormais nous séparer car ce matin j’ai vu un oiseau se poser sur une branche, son chant avait la volupté et le son de ta voix, sa petite tête avec ses yeux si pétillants me faisait penser à ton regard quand tu cherches tendrement a percer notre avenir en moi.

J’ai pu t’écrire cette longue lettre, je vais la donner a un camarade qui part demain en permission et qui habite proche de notre village, car je crains fort que si je la fais passer par la voie du courrier normale, qu’elle ne soit censurée à cause des détails sur notre position.

Je t’aime ma chère et tendre, ton René.

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Le temps presse et est compté maintenant. Cette lettre doit arriver rapidement entre les mains de sa fiancée, car elle est en concurrence avec un autre courrier, bien réel celui-là , mais combien plus sombre.

Le 06 mars 1918, une autre lettre partit du 20ème corps d’armée, 39ème RI, 39ème RAC, 9ème batterie, tellement pleine de bonté et d’empathie, mais plus administrative cette fois-ci.

Le réel a éclipsé l’imaginaire et cette lettre d’amour s’est sans doute envolée, avec l’oiseau qui s’est posé sur la branche comme décrit dans cette lettre imaginaire, dans les limbes d’horizons lointains insaisissables et indéfinissables. L’Amour qu’ils se portaient ressuscitât sans doute leurs âmes et peut être un jour les ramènera t-ils sur le chemin de la résurrection.

Cette lettre bien réelle je la reproduit telle qu’elle parvint à son destinataire.

6 mars 1918

Monsieur le Maire

Je vous demande de bien vouloir vous charger d’une pénible mission auprès d’une administrée Mme Vve Legrand dont le fils était canonnier à ma batterie.

Legrand est tombé glorieusement à son poste de combat le 4 mars à 13h10. Je crois devoir contrevenir aux ordres en vous priant d’avertir sa famille avec tous les ménagements possibles car je crois que Legrand devait se marier à sa prochaine permission vers le 20 mars. Il me semble qu’il ne faut pas laisser plus longtemps sa fiancée dans l’attente d’un bonheur qui malheureusement ne viendra pas.

J’ai fait transporter le corps de Legrand vers l’arrière. En ce matin 6 mars nous avons conduit notre malheureux camarade en sa dernière demeure. Soyez notre interprète auprès de Mme Legrand pour lui dire la part que nous prenons à sa douleur et croyez Monsieur le Maire à mes sentiments distingués.

Sous Lieutenant Kaag 39 RAC 9B -SP 211

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Il mourut en effet, «le lendemain d’avoir écrit cette lettre imaginaire», le 4 mars 1918, à 13h10 , à Bras-sur-Meuse.

Ce soldat qui venait d’avoir 24 ans le 5 février 1918 un mois avant sa mort, sa chère sœur Marcelline, elle était ma grand-mère que j’adorais, Pierre était le frère de ma mère (Elle est née 2 ans plus tard) et lui RENÉ LEGRAND était mon arrière-grand-oncle le frère de ma grand-mère. Quant à la personne à qui est adressé la lettre du Lt Kaag, c’était la mère de ma grand-mère, mon arrière grand-mère (Sur la photo l’on voit également assise mon arrière-arrière grand mère)

Pour écrire cet hommage je me suis basé sur des faits historiques des armées, sur la carte de bonne année que je possède, sur la lettre du Sous-Lieutenant kaag que je possède également, sur des souvenirs que m’a racontés ma grand-mère maternelle.

Quand à sa fiancée, en faisant des recherches, je retrouve une Marie Jilain née en 1888, au recensement de 1911 des archives départementales, où elle est qualifiée d’amie dans la colonne ou l’on mentionnait s’il s’agissait du «chef» de famille, de sa femme ou de ses enfants, et qui vivait dans la maison des Legrand. Elle avait donc 6 ans de plus que lui.

© Alan Méryl – 12/02/2018

AM – 

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Laurent Vasicek
Membre
24 avril 2018 3 h 42 min

Très beau témoignage, merci beaucoup. Ce mélange d’imaginaire et de réel est très profond.
J’ai moi même un arrière grand père qui a combattu et que j’ai un peu connu quand j’étais petit
Merci encore pour ce moment

Invité
13 février 2018 12 h 10 min

Bravo et merci Alan pour ce très beau et très touchant hommage à la mémoire du soldat: René Legrand c’est une grande leçon pour l’amour patriotique et pour la sincérité du coeur pour l’être aimé

Je reprends un passage très touchant de cette lettre envoyée par le soldat à sa bien-aimée il dit:
‘Mais je ne veux pas t’ennuyer ma Chère et Tendre avec toute cette guerre, ces morts, cette désolation. Il y en a même, tu sais, qui arrivent à trouver du réconfort dans un sentiment de fraternité à la nation, lorsqu’ils entendent le coup de sifflet du Capitaine ou du Lieutenant pour monter à l’assaut des lignes ennemies. Ils se sentent rassérénés et confiants dans leur patriotisme, et vont tragiquement être les pourvoyeurs, à leur corps défendant, des charrettes qui les ramèneront vers l’arrière quand cela sera possible’

Un autre passage’.
‘Garde bien dans ton cœur tout l’amour et la tendresse que je te porte, rien ne pourra désormais nous séparer car ce matin j’ai vu un oiseau se poser sur une branche, son chant avait la volupté et le son de ta voix, sa petite tête avec ses yeux si pétillants me faisait penser à ton regard quand tu cherches tendrement a percer notre avenir en moi.’

Les soldats sont notre première défense, ils se sacrifient pou la patrie.
Que l’âme de René repose en paix. Et que tous les soldats du monde victimes de guerres et autres reposent en paix.

J’appelle nos lecteurs et lectrices à lire cette lettre émouvante et enrichissante.

Mes sincères amitiés
Belle journée
Fattoum.

Anne Cailloux
Membre
13 février 2018 10 h 43 min

Belle écrit très émouvant.
Nous entrons dans la vie privée de ce soldat de cet amour pour les siens et l’amour de sa patrie
Hommage à tous ses soldats. qui ne se battent pas pour faire la guerre
maus pour défendre nos vies et nos libertés.
Sans eux se serait l’anarchie et le chaos…
Merci de ce texte émouvant.
Anne

Anne Cailloux
Membre
12 février 2018 23 h 24 min

Très émouvant de rentrer dans la vie de ses gens entrer dans l’intime et au combien triste cette histoire et surtout de voir ses photos.
Combien y ont laissé la vie ? encore aujourd’hui.
Merci de cette belle histoire..
Anne