G.R.O.S – Stéphanie Le Henaff

G.R.O.S.

GROUPEMENT RÉVOLUTIONNAIRE DES OBÈSES ET EN SURPOIDS

Il fut un temps où être gros n’était qu’une simple particularité physique. Le culte de la minceur, voire de la maigreur multipliait les complexes de certains enrobés, laissant la vie belle aux régimes de tout poil et autres produits miracles.

Et puis, le miracle, le vrai, est arrivé. Des chercheurs trouvèrent une bactérie qui permettait de maigrir sans aucun régime. La pilule pour maigrir venait de naitre.

Certains furent tout d’ abord méfiants, redoutant des effets secondaires, mais au bout de cinq ans, il s ‘avéra que non seulement le Mincivit avait permis à de nombreuses personnes de retrouver la ligne parfaite sans aucun effort, mais aussi que leur santé en général s’était améliorée au delà de ce que l’on aurait pu espérer au regard de leur perte de poids.

Le Mincivit devint le seul médicament remboursé intégralement par tous les systèmes de protection sociale existant de par le monde.

Le Mincivit entra donc dans les mœurs et chacun prit l’habitude de prendre sa pilule tous les matins quelque soit son IMC. En effet, on savait que la minceur n’était pas éternelle et que chacun pouvait, à un moment ou un autre de sa vie basculer vers l’obésité. Les raisons pouvaient être multiples. Alors, pour éviter tout risque de grossir, on prenait le Mincivit à titre préventif. Puisque par ailleurs on avait constaté une nette amélioration de la santé, cela ne pouvait pas faire de mal.

 

J’ai profité moi aussi des bienfaits de la pilule miracle, et pendant dix ans, j’ai vécu une vie de mince après avoir perdu trente kilos en quelques mois et sans rien changer à mes habitudes. Je me sentais parfaitement bien et heureuse. Finis les régimes à n’en plus finir pour pouvoir m’habiller comme j’en avais envie, finies les douloureuses séances de sport. Mon corps était à l’image de ce que j’avais toujours rêvé qu’il soit.

 

Cependant, il finit par y avoir des effets secondaires à la prise de ce médicament. Pas des effets secondaires individuels, pas de dégradation de la santé, non, à ce niveau le Mincivit est toujours resté parfaitement bénéfique à toute personne suivant ce traitement. Les effets secondaires furent plus pervers et plutôt d’ordre collectif.

 

Cela commença simplement. Les sociétés dites civilisées furent un jour choquées par un reportage télé sur un pays émergent où aucune protection sociale n’existait encore, mais où les gens découvraient l’abondance de nourriture. En quelques années cette population qui avait connu les affres de la faim avait grossi de façon exagérée tant ils mangeaient. Cela constituait, disaient-ils, une sorte de vengeance sur la vie difficile qu’ils avaient menée, eux et leurs ancêtres, et, comble du mauvais goût pour tous les spectateurs qui se disaient civilisés, ces gens n’éprouvaient aucune honte à afficher leur surpoids, pire, ils en étaient fiers et le disaient haut et fort.

Ce reportage, au grand étonnement d’un certain nombre de journalistes et de dirigeants déclencha un tollé général.

« Il était inadmissible de diffuser de telles obscénités, de plus à une heure de grande écoute, alors que les enfants étaient susceptibles de regarder. » se plaignirent la plupart des téléspectateurs.

Les patrons des chaînes qui avaient diffusé le reportage s’excusèrent, mais précisèrent à qui voulait les entendre qu’ils ne comprenaient pas la réaction de la population.

A la suite de cela, partout dans le monde, certains responsables politiques, voulant s’attirer les bonnes grâces de leurs électeurs firent voter des lois prohibant certaines images notamment celles de personnes ne répondant pas aux critères de minceur physique définis dans leur pays. La mise en place de cette loi imposa la nécessité de définir lesdits critères de minceur très strictement. Une loi fut votée à cet effet ; il devenait donc illégal d’être trop gros, et l’on pourrait désormais se faire arrêter pour cela.

Mais personne ne s’inquiéta pour autant : chacun se savait protégé du hors norme par le Mincivit.

 

Cela fit bondir cependant un certains nombres d’intellectuels et de philosophes. Ces textes étaient, disaient-ils,  « la base d’une nouvelle ségrégation, la porte ouverte à une nouvelle forme de racisme ».

Afin de marquer leur opposition, et, disaient-ils, « d’alerter la population sur les dérives qui pourraient être liées à l’application de ces lois », certaines de ces personnalités annoncèrent officiellement qu’elles arrêtaient de prendre leur Mincivit, ce qui causa la stupeur et l’incompréhension d’une grande partie de la population.

 

En parallèle à cette action, on commença à déplorer un certain nombre de lynchages dans les cités où vivaient des  travailleurs étrangers. Ne pouvant bénéficier de la protection sociale du pays où ils travaillaient, aucun ne prenait le Mincivit. Certain d’entre eux étant minces voire maigres, cela ne leur posait pas de problème, mais d’autres, pour d’obscures raisons affichaient un certain nombre de kilos superflus et cela choquait non pas leurs compatriotes ou leurs collègues, mais la population du pays qui les employait.

Jusque là, les gens qui avaient pu croiser ces travailleurs au physique hors norme s’étaient contentés de les ignorer, comme honteux que ces gens ne puissent avoir accès à leur pilule miracle. Ils avaient la même réaction que certains individus du vingtième ou vingt et unième siècle face à des handicapés.

Mais on ignorait pourquoi, la violence se déclenchait désormais contre ces étrangers. Nous étions au vingt troisième siècle et de tels comportements dataient d’un autre âge.

 

Les journalistes, comme les politiques, dans un premier temps ne comprirent pas vraiment les raisons de cette nouvelle agressivité. On avait réglé depuis longtemps les problèmes de chômage et d’immigration. Il y avait eu de graves crises économiques dans tous les pays au cours de l’Histoire, et les populations avaient toujours eu besoin d’un bouc émissaire pour supporter leurs malheurs. Mais ces époques étaient désormais lointaines et les diverses vagues racistes, nationalistes, ségrégationnistes, qu’elles eussent été d’ordre religieux ou idéologique avaient fini par disparaître suite aux diverses mesures appliquées par les différents gouvernements concernés de par le monde.

Certains journalistes virent donc dans ces nouvelles attaques contre des étrangers la crainte ou l’émergence d’une nouvelle crise économique.

Mais certains philosophes, sociologues, et autres intellectuels avaient compris.

L’un d’eux, Marc Ellenberg, célèbre philosophe français,  décida, après quelques mois sans Mincivit pendant lesquels il avait repris vingt kilos, d’apparaître à la télévision où il s’exprima en faveur de la liberté et de la différence individuelle.

 

Il ne put jamais rentrer chez lui car un certain nombre de téléspectateurs étant venus l’attendre en bas du studio de télévision, lui tombèrent dessus aux cris de : « A mort le Gros ! » Il succomba sous les coups.

Cet événement eut dû faire réagir les dirigeants, mais aucun ne commenta cet assassinat innommable.

Pourtant, cette agression fatale eut, malgré, ou grâce à son horreur, le mérite de faire réagir une nouvelle partie de la population dont un grand nombre d’étudiants, qui se mit à réfléchir vraiment et décida elle aussi d’arrêter le Mincivit.

Ces gens fondèrent alors un  collectif de protestation pacifique : le Groupe Révolutionnaire des Obèses et en Surpoids, le G.R.O.S. A leur grande satisfaction,  les membres de ce tout nouveau groupe virent le nombre de leurs adhérents augmenter très vite. La seule chose à faire pour s’inscrire était de s’engager à arrêter la prise du Mincivit. Chacun d’eux sauf les plus chanceux qui, quoiqu’il arrive ne grossissaient pas, .risquait désormais sa vie en sortant dans la rue.

Le G.RO.S. à ses débuts, voulut manifester son mécontentement dans la rue, défilant avec des pancartes : mon corps est à moi, j’suis gros mais c’est mon choix, j’suis gros et j’me soigne pas, etc… Mais en réponse à ces manifestation pour leur liberté, les pro-mincivit les plus convaincus, décidèrent de manifester eux aussi contre les idées dangereuses que véhiculait ce groupe protestataire. Certaines émeutes éclatèrent lors de leurs face à face dans certaines ville, faisant parfois des morts tant les affrontements étaient violents..

Cependant, malgré tous ses détracteurs, le G.R.O.S. s’étendit de façon internationale, et partout dans les pays où le Mincivit avait fait des miracles, on assista aux mêmes scènes.

 

Les journaux relatèrent dans leurs faits divers de plus en plus d’agressions passant plus ou moins inaperçues. Ils ne le mentionnaient pas forcément mais les images de vidéo surveillance diffusées alors parlaient d’elles-mêmes : ces attaques d’un nouveau genre pour notre époque se dirigeaient toujours vers des personnes sortant des normes physiques nationales.

C’était du moins l’impression que nous avions.

Et, le temps passant, quelques mois plus tard, les services de police déplorèrent une augmentation significative du nombre d’agression dans la rue.

Le siège du collectif des  G.R.O.S. à Paris devint la cible régulière de bombes, on ne comptait plus les injures que les pro Mincivit lançaient aux G.R.O.S. dès qu’ils en avaient l’occasion :

« Va cuver ta graisse! Va bouffer tes frites, tas de gras ! Reste dans ton lit gros tas ! Grosse vache ! » etc…. Il suffisait qu’un pro Mincivit voie une personne un peu plus enrobée que les autres pour qu’elle soit la cible de ses insultes. Ce fut l’occasion d’en inventer de nouvelles, d’ailleurs. Le mot gros  lui-même devint rapidement tabou et entra dans le répertoire du langage familier voire grossier.

 

J’ai moi aussi fini par rejoindre le G.R.O.S.

La réaction des populations face à ceux qui avaient choisi de protester m’écoeurait. J’avais toujours été une fervente adepte de la liberté. Où étaient donc passées les valeurs de notre Révolution ? Où étaient la liberté, l’égalité et la Fraternité quand un certain nombre d’individus refusaient la simple différence de silhouette ? Je m’étais toujours réjouie que les groupes extrémistes aient disparu et que nous puissions désormais vivre dans un pays d’accueil sans racisme ou jalousie sous jacente envers les étrangers. J’avais toujours pensé que les différences interindividuelles, interculturelles étaient une véritable richesse. Je pensais que tous ces sentiments de haine appartenaient à une autre époque.

Lorsque j’avais pris le Mincivit je l’avais fait de mon propre gré, et j’avais éprouvé un grand plaisir à maigrir et vivre sans plus me préoccuper de mon poids. C’était une véritable libération en ce qui me concernait. C’est uniquement à cause de ces considérations égoïstes que j’avais hésité pendant plusieurs mois avant de m’inscrire au G.R.O.S. Je savais que si j’arrêtais la petite pilule je regrossirais immanquablement, et que cela m’exposerait à la violence de mes concitoyens.

Mais ma décision était prise. Je ne pouvais continuer d’assister à tout cela sans réagir. Il fallait que je montre mon soutien et que j’assume pleinement mes idées. Il me fallait agir, même si pour cela je devais regrossir, même si ce faisant je risquais ma vie en allant faire mes courses.

 

Le G.RO.S. avait tout d’abord été fondé avec des idées pacifiques. Le mot d’ordre était de protester de façon passive en arrêtant simplement de prendre le médicament et de poursuivre sa vie comme auparavant. Mais il était vite apparu que dès que l’un des membres du collectif se mettait à grossir, un certain nombre d’éléments banals de sa vie en étaient changés. Beaucoup étaient licenciés, certains perdaient leurs amis, et d’autres divorçaient à la demande de leur conjoint. Dans certains cas, les enfants eux mêmes refusaient tout contact avec leur parent membre du G.R.O.S . en invoquant la honte.

Alors nous nous organisâmes. Au cœur d’une vallée du Massif Central, nous trouvâmes un village abandonné depuis 1943. La légende locale racontait que ce village avait été le refuge d’un grand nombre de résistants et lorsqu’ils furent malheureusement découverts, tous les habitants furent exterminés par les allemands. Nous y vîmes un signe du destin. Nous faisions nous aussi de la résistance, mais nous n’imaginions pas que la vindicte populaire organiserait notre extermination pour une simple histoire de mensurations.

Dans le plus grand secret, nous nous y installâmes. Des familles entières vinrent nous rejoindre. Il n’y avait pas vraiment de chef, mais certains avaient des talents d’organisateur ou de médiateur en cas de conflit, et on allait les voir pour l’un ou l’autre des problèmes.

Pour préserver les plus rembourrés d’entre nous, les minces, ceux qui avaient la chance de ne pas grossir sans même prendre de Mincivit étaient délégués au ravitaillement. Nous évitions les connexions au réseau mondial pour ne pas être repérés et aucun de nos achats ne se faisait en argent virtuel. Ce fait même aurait pu nous faire repérer car il devenait extrêmement rare de payer en monnaie sonnante et trébuchante, mais en prenant soin de nous rendre dans les hypermarchés les plus grands de la région, nous limitions les risques.

Certains d’entre nous, plus doués en couture que d’autres étaient assignés à la fabrication de vêtements. En effet, depuis l’avènement du Mincivit, il était devenu impossible de trouver des vêtements adaptés aux silhouettes hors normes.

D’autres se remirent au jardinage, coutume oubliée mais que nous remîmes au gout du jour pour le plus grand plaisir de nos papilles, et qui permettait d’espacer nos ravitaillements.

Notre petite organisation semblait fonctionner et nous pûmes vivre sereinement pendant plusieurs mois.

Afin de limiter les risques, notre action se limitait à pirater certaines émissions télé et des encarts sur le web, afin de continuer d’alerter les consciences. Nous nous montrions toujours très prudents afin que personne ne puisse nous repérer. Quelques uns d’entre nous étaient très doués pour brouiller les pistes.

Certains dans le village, cependant éprouvaient le besoin de se rendre en ville de temps à autres. Ils savaient alors les risques qu’ils prenaient, mais argumentaient en disant que c’était leur façon de protester aussi. Bien que nous craignions alors pour leur vie, nous approuvions leur façon de voir.

Quelques uns rencontrèrent des groupes anti-GROS, et ne revinrent jamais de leur escapade. A leur façon, ils étaient morts pour notre cause

Lorsque cela se produisait, tout le village se réunissait, et, comme une ancestrale coutume tombée en désuétude le voulait, nous honorions notre disparu en mangeant, et de préférence ses mets favoris.

Le G.R.O.S avait été créé pour que les populations prennent conscience de ce qu’elles devenaient mais il apparut clairement au bout de quelques mois que  notre action ne faisait nullement avancer les consciences.

Les assassinats réguliers de personnes sortant des critères officiels de mensurations ne choquaient plus personne semblait-il. La police elle-même ne s’en inquiétait plus, et certains politiques  laissaient entendre que ces crimes, finalement servaient la loi puisque les critères officiels de l’apparence physique avaient été définis par la celle-ci.

Ces propos nous révoltaient, et laisser la mort de nos amis impunie nous faisait bouillir.

Nous décidâmes donc de passer à une action plus violente et votâmes à l’unanimité la destruction des laboratoires fabriquant le Mincivit, ainsi que la totalité des stocks…

 

***

 

En quelques mois, je repris mes trente kilos que le Mincivit m’avait permis de perdre, et j’avais retrouvé ma silhouette rondelette d’antan. J’avais moi aussi, comme nombre de mes compagnons du G.R.O.S. perdu mon travail, mais cela ne m’avait pas beaucoup affectée. Je m’y attendais, et mon emploi de secrétaire médicale auprès d’un vieux médecin grincheux n’était plus très passionnant. Ma famille, en apprenant ma décision, s’était détournée de moi, refusant de comprendre ma démarche.

Je n’allais que très rarement en ville, mais cela ne me manquait pas. Je vivais essentiellement au cœur de ce petit village colonisé par notre groupe, où l’on voyait fleurir de nouveau les bourrelets.

Comprenez-moi bien : nous ne voulions pas faire un culte de l’obésité, loin de là ! Nombre d’entre nous souffrait d’avoir arrêté la pilule miracle. Nous étions d’ailleurs persuadé que nous aurions été beaucoup plus nombreux si cette décision n’avait été si difficile. Notre engagement nous atteignait physiquement à bien des égards !…Et ceux d’entre nous qui avaient su dès le départ ce qui les attendait étaient considérés comme parmi les plus courageux.

 

Puisque nous avions voté le durcissement de notre mouvement, j’appris à fabriquer des bombes artisanales. Ce n’était pas très dur, et un chimiste était à nos côtés. Il s’appelait Stéphane Bergouin. C’était un ex employé des laboratoires Mevyt, fabricant du Mincivit. Il avait démissionné pour nous rejoindre, écœuré comme nous tous de voir ce que devenait la population et refusant de participer à la fabrication de ce produit à l’origine de la dictature physique qui s’était mise en place.

 

***

 

Notre première bombe fut un succès. Toute une usine de Mincivit fut détruite, et pour la première fois depuis des mois, on reparla de notre mouvement dans les médias. C’était ce que nous voulions, en espérant que nous gagnerions encore des adeptes.

Ce fut le cas, mais si notre mouvement s’était durci, notre action eut pour conséquence de donner une légitimité aux extrémistes pro mincivit.

Certains de nos adeptes avaient décidé de ne pas nous rejoindre dans notre village, et les malheureux furent retrouvés assassinés chez eux, chacun ayant été victime d’un vol qui aurait mal tourné selon les sources officielles.

Cela ne nous découragea pas ; au contraire. Notre deuxième cible fut le laboratoire de recherche ayant élaboré le Mincivit, celui-là même où notre chimiste avait fait ses armes.

Comme la première fois, ce fut un succès : rien ne subsista d u bâtiment.

Nous continuâmes ainsi. Les usines étaient nombreuses dans le pays, et aux informations, les gens commençaient à s’inquiéter pour les stocks de Mincivit. Ils témoignaient de leur ras le bol des G.R.O.S ; le gouvernement devait faire quelque chose.

La traque officielle commença peu après. Nous ne nous inquiétâmes pas vraiment ; nous avions moins peur de la police que des extrémistes. Si nous étions pris, nous risquions seulement la prison et nous restions persuadés que notre mouvement et notre action pouvaient se défendre face à une cour de justice ; nous avions quelques avocats parmi nos adhérents.

Cela ne nous empêcha pas de redoubler de prudence afin que l’on ne nous repère pas. Les sorties se firent encore plus rares en dehors de nos actions d’éclat.

Chaque semaine, de nouveaux adeptes nous rejoignaient. Il s’agissait surtout de jeunes, d’étudiants qui se révoltaient contre la société, mais ils étaient plein de vie et leur jeunesse leur permettait souvent de rester mince sans mincivit, ce qui en faisait des éléments précieux de par leur discrétion lors de leurs sorties.

 

***

 

Malgré tous nos efforts, on nous retrouva, et malheureusement, ce ne fut pas la police. Je reconnus les couleurs noires et vertes des U.P.M, les Ultra Pro-Mincivit

Ils nous tombèrent dessus à la fin d’un après midi de printemps. Il avait fait beau et la plupart d’entre nous vaquait à des occupations extérieures.

Ils devaient être une cinquantaine au moins.

Ce fut une hécatombe.

Ils ont encerclé le village et, armés de mitraillettes, nous ont tirés comme des lapins.

Je venais de rentrer chez moi après un après midi de jardinage, et je vis horrifiée, mes compagnons tomber un par un sans aucune possibilité de s’abriter ni de se défendre. Je vis ensuite nos attaquants sortir de leur cachette et fondre sur le village en criant : « A mort les gros ! »

Les premières maisons furent incendiées et leurs habitants exécutés dès leur sortie. Des familles entières furent assassinées.

Devant la virulence des extrémistes à notre encontre, les agressions anti-GROS chaque jour plus nombreuses et plus violentes, nous ne nous étions jamais faits d’illusions, et savions que ce jour viendrait tôt ou tard. Nous  avions donc tous aménagé une cachette dans notre habitation pour nous y réfugier en cas de besoin. La mienne se résumait à un trou creusé sous les fondations  de la maison.  La trappe d’accès était dissimulée sous le tapis  d’entrée. Par chance j’habitais à l’autre bout du village et nos assaillants n’avaient pas encore investi cette partie de notre communauté.

Je me glissai donc dans ma cachette.

Au  moment précis où je refermais la trappe, une explosion me déchira les tympans. Je compris qu’une grenade venait d’exploser tout près. Un rempart de poussière envahit mon champ de vision en même temps que mes poumons. Entre deux violentes quintes de toux, je sentis les murs s’effondrer au dessus de moi. Lorsqu’elle se dissipa, un trou béait dans le mur, à quelques pas d’où je me trouvais. De là, je pouvais observer toute la scène sans être vue.

J’avais malgré moi, conservé la vieille habitude de garder mon téléphone portable sur moi en permanence, même si je ne m’en servais plus pour communiquer depuis que j’avais rejoint le GROS. Les exactions que commettaient nos attaquants sous mes yeux, devaient être connues du monde entier. Ils arboraient les brassards des Ultra Pro-Mincivit, et tous avaient une silhouette parfaite, mais ils étaient en train de commettre les pires horreurs. Il fallait que le monde sache de quoi ces extrémistes étaient capables. Alors je les filmais, horrifiée, apeurée, honteuse de ne pas m’interposer directement pour sauver mes compagnons.

Je restai là plusieurs heures, attendant que les monstres partent,  priant pour ne pas être la seule survivante. Ils décidèrent de lever le camp une fois la nuit tombée. Dès que je fus certaine qu’ils étaient bien partis, je m’exhortai à sortir de mon trou à la recherche d’autres rescapés. Je réussis à m’extraire des décombres et fus étonnée d’être moi-même encore vivante.

Nous n’étions qu’une dizaine à nous en être sortis, et je fus la seule à avoir pu filmer ce qu’il s’était passé. La mémoire de mon téléphone avait pu enregistrer seulement dix minutes de film, mais les images étaient suffisamment éloquentes.

Avec les autres rescapés, nous décidâmes d’envoyer une copie de ce film à un journal télévisé. Mais il fallait choisir judicieusement car nous redoutions la réaction de certains journalistes.

 

***

 

Finalement, nous nous décidâmes pour une émission dont le titre était le « Journalenvers ». Dans le village nous avions été nombreux à regarder régulièrement ce journal  qui aimait à montrer ce que les autres cachaient.

J’envoyai donc le film, accompagné d’une lettre que je rédigeai ainsi :

 

« Mesdames et Messieurs les journalistes,

 

On sait tous comment naissent les dictatures ; il suffit d’avoir un peu étudié l’histoire à l’école pour en comprendre les mécanismes.

Pour asseoir son pouvoir, un dictateur vise une minorité comme étant la cause de tous les malheurs du pays. Les pays pauvres sont bien sûr plus vulnérables à l’autocratie, mais ils ne sont pas les seuls, car les pays riches, se croyant à l’abri de tout grâce au pouvoir de l’argent, oublient de regarder ce qui se passe dans leur propre société. Ils ne voient pas les signes avant-coureurs d’une insurrection, ils refusent de réfléchir à la portée humaine et philosophique de leurs actes.

Ainsi, notre société a porté aux nues les effets du Mincivit, un simple médicament qui s’il n ‘était devenu obligatoire, par la faute du gouvernement, n’aurait pas provoqué les dégâts que l’on sait.

Pour ceux qui douteraient encore du bien fondé de la liberté du corps et de l’esprit, regardez ce qui va suivre. Les images diffusées, ont été filmées à partir d’un téléphone portable du trou où l’un de nous se cachais en essayant de ne pas mourir de la main de la main de nos attaquants, des extrémistes pro-mincivit, ainsi que leur brassard l’indique, ceux-là mêmes qui dans leurs discours prônent la liberté d’expression et d’idées (les leurs), ceux-là mêmes qui parlent de tolérance relative, terme on ne peut plus vague…

Pour tout le reste, les images, parlent d’elles-mêmes. »

 

Nous avions décidé de ne plus nous cacher derrière nos pseudonymes du G.R.O.S.Nous signâmes tous le courrier de nos véritables noms. Puis nous citâmes le nom de chaque compagnon décédé lors de cette attaque.

Notre document fut diffusé une semaine plus tard. Nous le regardâmes dans une des chambres d’hôtel du village voisin, où le propriétaire, un sympathisant, jusque là passif, de notre cause avait accepté de nous héberger en apprenant ce qu’il s’était passé.

Le journaliste, au lieu d’introduire le sujet comme il le faisait d’habitude, se contenta de lire notre courrier, puis il conclut :

« Cela se passe de commentaires ».

Nous pleurâmes lorsque le présentateur du Journalenvers énuméra les noms après la diffusion de nos images.

 

 

Le film provoqua un électrochoc.

Seuls les extrémistes en causes crièrent à l’imposture, mais personne ne fut dupe.

Dès le lendemain, le Journalenvers  nous réclama un entretien. Les risques encourus étaient toujours d’actualité, mais nous jugeâmes qu’il en allait de notre devoir vis à vis de ceux qui étaient morts lors de l’attaque du village.

 

Notre interview nous permit d’exprimer à nouveau nos convictions, et nous en profitâmes pour rappeler à tous que le G.R.O.S, même dans sa période la plus active, n’avait jamais tué, ni même blessé personne. Nous n’étions pas contre le Mincivit, nous étions contre l’obligation de le prendre, obligation induite par les lois sur les mensurations votées par le gouvernement. Le journaliste nous laissa conclure l’entretien, et nous nous contentâmes de rappeler les sombres heures du vingtième siècle, où certaines idées antisémites avaient pris le pas sur le simple bon sens humain grâce à la propagande et à la manipulation. En l’occurrence, même si cela se passait à une moindre échelle, les mécanismes en œuvre étaient les mêmes.

 

Dès notre sortie des studios de télévision, nous constatâmes que les mentalités avaient commencé à changer.

Toutes les précautions avaient été prises pour notre sécurité par la chaine télévisée, mais celles-ci, à notre grande surprise furent inutiles. Les gens qui nous attendaient sur le trottoir voulaient nous saluer, nous serrer simplement la main pour exprimer leur sympathie à notre égard.

 

Les extrémistes voyant la situation leur échapper, tentèrent à nouveau de retourner la situation en leur faveur. En vain. Leur cote dans les sondages dégringola en flèche, et de nombreuses manifestations spontanées eurent lieu, réclamant l’abrogation de la loi sur les mensurations nationales.

Le peuple s’était enfin réveillé, et les quelques rescapés du G.R.O.S. que nous étions pûmes reprendre une vie normale en quelques semaines.

Mon ex patron me proposa de réintégrer  ma place. Mais je refusai ; je m’y étais trop ennuyée !

A mon grand étonnement, le Journalenvers me proposa peu de temps après un emploi dans son équipe et je devins journaliste. Je me spécialisai dans la traque des menaces à la démocratie, la dénonciation des propagandes et des lavages de cerveaux organisés de par le monde.

Les trente kilos que j’avais repris pendant ma période révolutionnaire me gênaient toujours autant. J’avais combattu pour la liberté, par pour devoir rester grosse.

 

Alors, puisque le miracle était toujours possible, je repris du Mincivit, parce que, cette fois, c’était mon choix.

Nombre de Vues:

61 vues
Sauvegardes Poèmes

Sauvegardes Poèmes (4)

Ce compte regroupe tous les poèmes des auteurs qui ne sont plus inscrits sur le site en tant que Membre afin de laisser une trace de leurs textes pour le plaisir des lecteurs depuis le site Plume de Poète.

S'abonner
Me notifier pour :
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires