Feu rouge pour un monde vert – Saber Lahmidi

Le jeune homme arriva à l’ambassade et poussa un soupir de soulagement, comme un noyé qui s’accrochait à une paille dans l’océan, repérant une bouée de sauvetage ou comme s’il était dans un beau rêve et ne voulait pas qu’il finisse.
Il mit sa main tremblante dans la poche de son vieux manteau brun foncé, la réchauffa un peu et en sortit un papier maudit et scellé et un petit livret vert pistache.
Il soumit la demande et son passeport à l’employé distingué, fronçant les sourcils et affamé de l’ambassade étrangère.
L’employé mécontent vérifie le passeport après avoir regardé la photo accrochée à l’innocence et lui a demandé de le renouveler avec une photo récente afin que la demande du visa soit acceptée.
Il a pris son passeport, maudissant sa malchance et ses yeux larmoyants, à cause du froid et d’avoir retardé la requête souhaitée. C’était sa sixième tentative pour obtenir l’autorisation de traverser l’autre rive.

La première fois, et c’était il y a presque deux ans. Ils lui ont demandé d’innombrables papiers, documents et certificats scientifiques et professionnels.
Et il l’a presque fait. Il le fera un jour.

La deuxième fois, ils lui ont demandé d’ouvrir un compte bancaire en euros dans une banque étrangère et de mettre et bloquer un montant important en garantie.
Et il l’a presque fait. Il le fera un jour.

La troisième fois, ils lui ont demandé un bulletin de sécurité détaillé pour lui-même, sa famille, ses voisins et ses grands-parents décédés.
Et il l’a presque fait. Il le fera un jour.

La quatrième fois, ils lui ont demandé un certificat médical détaillé et accompli avec un carnet de vaccination complet et achevé, et ils ont également exigé le résultat parfait d’une prise de sang contenant toutes les analyses possibles, y compris l’analyse sérologique du COVID-19 actuel et des 20 et 21 suivants.
Et il l’a presque fait. Il le fera un jour.

La cinquième fois, ils lui ont demandé des documents supplémentaires et des certificats prouvant sa maîtrise de trois langues vivantes et deux autres agonisantes telles que le cunéiforme et le pharaonique. Ils ont également ordonné un certificat de secourisme de base et un brevet en cuisine orientale, occidentale et arctique si possible.
Et il l’a presque fait. Il le fera un jour.

À la sixième fois, ils lui ont demandé de renouveler certains des documents qu’il avait soumis il y a deux ans au bureau des saisies de l’ambassade. Sans oublier de détenir un permis de conduire poids lourd.
Il a décidé de laisser les papiers de côté et d’essayer d’émigrer sans papier… sans pitié.

Ces événements m’ont été racontés par le père de ce jeune homme qui aspirait à l’immigration organisée et qui n’avait pas réussi ses six dernières tentatives et échouait à sa septième tentative lorsqu’il décidait de tenter de faire une fuite illégale, discrète et clandestine des rives de Zarzis* et que leur petit bateau terrible coulait avec ses rêves inachevés dans la cruelle mer Méditerranée. Il cherche le cadavre de son fils dans les morgues chaque fois que la mer expose nos petits trésors et expulse nos biens méprisés ici… Et partout.
Et finalement il l’a fait.

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Saber Lahmidi

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Je me laisse guider par ma patience et mon endurance. J'aime lire et écrire.
L'écriture m'a ravivé et les mots m'ont rendu heureux.
J'ai commencé à écrire de manière compulsive en juin 2020 lors du premier confinement suite à la première vague de Covid-19.
J'adore ce merveilleux site (Plume de poète)

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4 Commentaires
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Invité
25 octobre 2020 22 h 46 min

Tant de détresse d’humiliation, au milieu de rires acides. J’ai beaucoup aimé ce texte, et vous l’avez fait.

Anne Cailloux
Membre
25 octobre 2020 19 h 21 min

Si je puis me permettre. Dommage que cela est romancée. Cela fausse le rapport avec ce genre de faits aussi grave. Certificat de secourisme et brevet de cuisine… Ou alors faut pousser plus loin le bouchon est montrer que les papiers demandés n’en finissent pas.
Tant de malheur pour ses gens, cela est vrai en plus.