” Papa, passe moi les clefs de ta voiture, t’as fait le plein au moins ?… » Le jeune garçon se tenait face à son père, bien décidé à obtenir ce qu’il demandait. La première exigence formulée ayant été satisfaite, il ne restait plus qu’à décrypter le « comment et pourquoi » de cette mise en demeure. Le comment est facile à comprendre, tu remets les clefs….quant au pourquoi… “y’a qu’à demander “. L’effet de surprise passé, le père ne semblait pas avoir découvert le code pour accéder à la deuxième info. « Ben oui, j’ai rempli le réservoir de gaz-oil, tu vas où ?» Mais le temps de réflexion étant écoulé, la véritable énigme surgit : ” Quoi tu vas à un mariage ? “ Les « jeunes Hommes » de notre famille assument très tôt leurs choix dans cette vie difficile des Gens du Voyage et cet « énergumène » ne déroge pas à cette règle. « Bien sûr que tu la connais et Lui, il a les qualités de son Père, c’est parait-il un Homme bien ». Le jeune homme a ramassé les clefs de voiture, la jeune gitane qu’il fréquentait s’est engouffrée dans la voiture, et dans un crissement de pneus, ils ont quitté les lieux en cette fin de journée. Voilà comment j’ai appris que mon fils venait d’enlever une jeune fille de seize ans avec ma voiture, et sans le consentement des parents, mais dans la pure tradition… l’honneur est sauf ! J’allais devenir Beau-père et puis plus tard, Grand-père. En quelques instants, mes épaules s’étaient ornées de deux galons. Mon esprit vagabondait de marche nuptiale en couloir de maternité, le roi n’était pas mon cousin et le sourire béat qui ornait mon visage en disait long sur mon état, j’étais assurément en apesanteur. . … « Il y a une femme qui est passée, le père de la petite nous attend ce soir chez lui, il veut te parler du Pierre…». Qu’est-ce qu’elle me dit cette femme ?….. ah oui, c’est Catinou, la mère de l’emprunteur de voiture, c’est aussi ma femme. J’avais la sensation que quelqu’un m’avait propulsé hors de l’avion en criant : « Eh, tu sautes sans parachute !» L’atterrissage fut brusque et la réalité rejoignait l’actualité. Que pouvait bien vouloir ce Gitan, je n’y suis pour rien si mon fils a enlevé sa fille mineure. Des rumeurs les plus folles circulaient sur le manque d’humour de ces gens… J’allais devoir déployer des trésors d’imagination pour ne pas froisser leur manque de savoir vivre. Je me présentais chez eux dans la soirée, une dizaine de fourgons embouteillait la cour de la villa. Passant entre deux rangées de gamins et de femmes qui piaillaient devant la porte, je sentais le dard de leurs regards me défoncer le dos.. des guêpes n’auraient pas fait autrement. Je poussais Cathy devant moi, ils n’auraient pas osé tirer sur une femme de leur race… Quoique…. Je pénétrais donc, dans l’antre du diable. Dans le salon, une vingtaine d’hommes se tenait assis au tour d’une table recouverte de bouteilles d’alcool de toutes sortes, parlaient à voix basse. J’avais la nette sensation de revisiter des scènes de films des années 50, histoires de gangsters, de parrain mafieux. Il régnait tout à coup un silence pesant . Le père en pleurs se leva en titubant, bousculant des invités pour se diriger vers moi. J‘avais de solides notions de boxe Française et de self défense, mon professeur n’étant autre que Cathy… au fait où était-elle passée ? Je me retrouvais en première ligne, seul, pour affronter cet hurluberlu aviné et vindicatif. Évitant le premier geste qui m’était destiné par une simple esquive rotative, le bras droit de mon adversaire atterri mollement sur mon épaule gauche. La deuxième tentative n’eut pas plus de succès, son bras gauche enserra mon épaule droite. Il se plaqua contre moi en sanglots… J‘étais le beau-père de sa fille ! La suite fut une succession de toasts, portés à tout ce qui peut représenter de l’importance dans de pareilles circonstances. Nous avons trinqué à l’amour, à la vie, aux souvenirs de nos chers défunts, aux chevaux, aux escaliers, aux femmes et à tout ce que nous n’avons pu monter ! Tard dans la nuit, nous avons eu des nouvelles de nos tourtereaux. La future belle-mère trouvait que sa fille était encore trop jeune, seize ans . Elle avait connu cette aventure à dix-sept ans mais son mari en avait seize… Ainsi, ce soir-là, nous avons été télescopés une fois encore par un satellite en provenance d’un monde parallèle. Une longue succession d’aventures succéda à notre rencontre mais ça, c’est une autre histoire. La charge honorifique de Beau-père, vous ne pouvez pas vous l’offrir, vous n’êtes pas assez fou pour vous taper sur les doigts à coups de marteau en criant :« Ça fait mal, mais à chaque fois que j’arrête, ça fait du bien ». Effectivement, c’est un cadeau empoisonné qui vous est offert. Et ce merveilleux cadeau, quelques années auparavent, je l’avais fait au père de Cathy. Lui et moi, nous nous en souvenons encore…. pendant combien d’années encore ?
©Philippe X – 03/03/2020 |
Quelle narrateur que tu es le loup. Il me manquait juste l’esquimau glacé. Sourire, émotion puis, on change de décors avec la dernière phrase : Lui et moi, nous nous en souvenons encore…. pendant combien d’années encore ?
Nonobstant..
Merveilleux écrit d’un mon de dans lequel tu nous emmènes à petit pas.. Envide de pousser la porte mrd !
Anne..
Merci pour cette histoire intéressante sur les coutumes des gens du voyage ! Ainsi notre esprit voyage aussi …
Il n’y a que vous pour écrire des choses qui permettent d’élargir ainsi notre regard. C’est un beau partage. Amicalement. Marie
Toujours te encore une histoire magnifique qui fait voyager dans l’espace te le temps sur les chevaux du vent… Merci pour tout ça Cher Loup. C’est irremplaçable… comme toi. Amicalement.
Merci Philippe pour vos beaux et enrichissants partages. bravo.