De la trouille à la transe – Christian Satgé

Petite fable affable

Un mal inconnu ravagea un bout du monde
Et vint, hélas, frappé aux portes du pays.
Notre village, échappant encore à la ronde
Du temps, fort loin de tout, s’en croyait à l’abri.
Funeste erreur. Car, de nos jours, les mots voyagent
Plus vitre encore que le pire de nos maux.
On se rappela lors pestes du Moyen-âge,
Choléras d’hier, neuves grippes d’animaux,…
Radios, télé en rajoutaient à la somme.
Pour le curé c’était divine punition ;
Restait à savoir de quel péché car l’homme
A tant à se reprocher entre vices et passions.

On hésita, de l’horreur à l’inquiétude.
Après le dédain vint la crainte. Prés et champs,
Vergers et vignes on bouda car, c’est l’hébétude,
L’air ou l’eau étaient du mal les vecteurs méchants.

Le maire demanda à raison garder mais plèbe
Voit l’émotion gagner : échoppes on déserta
Et boutiques on évita. Même les fils de glèbe
Boudèrent le café et les taratatas :
L’anxiété était devenue, pour tous, angoisse.
Le régent expliqua le cas. Démentit le faux,
Montra le vrai. En assemblée. Poisse des poisses,
Il colla frousse et donna frissons car « il me faut
Avouer qu’il est des choses que la science ignore ! »
Le docteur allait dans sons sens sans s’en cacher.
C’est que c’était, c’est sûr de sûr, plus grave encore
Qu’on ne le disait partout : on va tous calancher !

L’école se vida. Les esprits se troublèrent.
On fuyait « l’Autre » et la rue. On s’épouvantait
De on-dits et on cauchemardait, pauvres hères,
Sur des « possibles » ; on s’effrayait, comme hantés,
De « probables ». Le mal faisait pétaudière !

Parce que nul au village n’était contaminé
On s’affola. C’était suspect : on cloitra portes
Et fenêtres « ’Faut pas nous embabouiner ! »
On se barricada de la pire des sortes :
Même aux amis. Même aux voisins. Même aux parents.
On vécut sur les réserves et dans ce vertige
De panique. Bien avant le bout de l’an,
On les épuisa. Et on défuncta, dans les vestiges
D’une vie qui n’en était plus une, au chaud
D’un lit transpirant de male peur dans les affres,
Non de la torpeur, mais d’une faim de cachot.
Un comble dans un pays de bons gouliafres !

Aux bourgs d’alentour, lors de cette épidémie,
Un décès ou deux conduisirent aux larmes.
Des vieillardissimes mal allants, à demi
En tombe depuis lurette, ont rendus les armes !

Quelle leçon tirer d’un bourg où on mourut
Par crainte de la mort ? Que la peur du mal fait
Plus de dégâts, très souvent, que le plus ventru
De tous les maux quels que soient ses cruels méfaits…

© Christian Satgé – mars 2020

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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OberLenon
OberLenon
Invité
23 mars 2020 19 h 03 min

Un texte qui colle au contexte actuel et une mise en forme dont vous seul avez le secret ici. Bravo Christian

Anne Cailloux
Membre
18 mars 2020 15 h 44 min

Quelles mots… Ils faudrait un graffiti est les afficher. tellement vrai.
Cela se voit tout les jours.
Merci Christian de cette vérité si bien dit.
Anne.