Clandestins – Christian Dumotier

Clandestins

Nous étions quatre vingt douze
et nos corps mêlés formaient
une tresse vivante et gémissante.
Une bruine têtue avait lessivé les embruns
elle perlait sur la peau
avec des lourdeurs de fin du monde.

Le bateau grelottait sous la mouvance des vagues
et les battements d’aile de l’hélice,
Il flottait à peine, c’est l’espoir qui pesait si lourd,
pas nos corps assoiffés,
pas la veste de mon père ni mes livres de classe,
vite jetés à la mer pour éviter le pire.
Nous étions quatre vingt neuf,
la tempête avait fait le ménage
avec l’insistance d’une qui chasse la saleté,
avec la violence des derniers barbares,
avec des outrages à notre infinie faiblesse,
avalant les cris hallucinés et les pauvres suppliques.

Nous étions soixante sept,
le moteur avait choisi le silence
après deux claquement sinistres,
nous nous sommes redressés
comme des cheveux sous la brise,
alors le bateau a préféré chavirer,
laissant fuser des couinements de détresse
et des bouquets de bulles
dans une apocalypse noyée et vite silencieuse.

Nous étions encore soixante deux
à échouer dans les bras chauds des sauveteurs
portés par les mots qui caressent
et les œillades de douceur.
Soixante deux.

La mer seule aime les clandestins.

Christian DUMOTIE

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1 Commentaire
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Invité
13 mai 2019 13 h 43 min

Bonjour un beau émouvant poème qui dénonce fort bien ce drame merci amicalement
Béa