Chant tavernicole – Christian Satgé

Dans le vieux troquet du bistrotier,
À l’heure où le trottoir lassé résonne
De petits pas pas pressés, presque altiers,
Qu’à « La Pizza » le silence calzone,
Que mémère nous attend en peignoir,
Le jour vieilli venu sous l’éteignoir,
On chante l’œil aussi lourd que la pierre,
Loin des larmes qui usent les paupières :

« La terre est basse, le ciel est haut,
Y’a que la table qu’est à niveau !
Et tant pis pour les têtes de veau :
La terre est basse, le ciel est haut,… »

Dans le vieux troquet du bistrotier,
Qu’importent hardes, frusques ou bien nippes,
Les braies qui béent bien mais le verbe entier,
Tout en barouffe et en rires, la lippe
Un brin emmegotée, les vieux sablaient
À tire larigot et nous radotaient
Leur enfance jusqu’à blanchir l’ardoise
Quand la griserie leur venait grivoise :

« La terre est basse, le ciel est haut,
Y’a que la table qu’est à niveau !
Qu’on ait le cul et le cœur au chaud,
La terre est basse, le ciel est haut,… »

Dans le vieux troquet du bistrotier,
Les anciens cancanent comme commères,
Sans vous souiller d’injures – c’t’un métier ! –
Ni soûler plus que leurs boissons amères :
La goutte s’est faite larme et puis pleur,
Elle tourne par plaisir au chagrin,
Donnant à tous du bagout et un grain
S’ils en perdent, parfois, un peu, les chèvres
C’est pour mieux chanter, la clope aux lèvres :

« La terre est basse, le ciel est haut,
Y’a que la table qu’est à niveau !
Y’a que notre ventre qui nous chaut :
La terre est basse, le ciel est haut,… »

Dans le vieux troquet du bistrotier,
Les avortons endimanchés écoutent
Potiner en portières, charretiers
Et charrons, désoiffés coûte que coûte
À l’eau de vie et donc plus morts que vifs,
Leur âge servant à leurs derniers tifs
De mobile ou d’alibi pour que leur glotte
Salue bas les verres qui y sanglotent.

« La terre est basse, le ciel est haut,
Y’a que la table qu’est à niveau !
Qu’on ait le cul et le cœur au chaud,
Y’a que notre ventre qui nous chaut :
La terre est basse, le ciel est haut,
Y’a que la table qu’est à niveau,
Et tant pis pour les têtes de veau ! »

© Christian Satgé – septembre 2015

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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6 Commentaires
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Philippe X
Membre
10 janvier 2019 7 h 00 min

Refaire le monde pacifiquement au son du canon….c’est un lieu propice à l’oublie ou l’on vient boire pour se souvenir .
Vous êtes un pilier de ces passerelles qui servent à passer d’un monde à un autre….merci

Anne Cailloux
Membre
8 janvier 2019 20 h 25 min

j’adore les odes qui se passe à la taverne est autre.;
les bois sans soifs, j’adoreeeeeeeeeee
Anne

Invité
8 janvier 2019 17 h 11 min

Bravo ! C’est un ode genial à la bonne vie ! Merci ! Un délice !!!!