Cétacés – Nathalie Denis

Il y a bien longtemps,
lorsque le littoral était féerie
et la mer magicienne,
une otarie anglaise
aux grands yeux rieurs
devisait chaque après-midi,
avec son cousin
le phoque gris,
jeune dandy moustachu,
sur un îlot enchanteur,
en mer d’Iroise.

A cette époque, dit-on
perchés sur une falaise,
ils défiaient le vent
jusqu’à la tombée de la nuit,
en dégustant un thé raffiné,
savourant avec gourmandise
le panorama sauvage qui s’offrait à eux,
tableau coloré de rochers dentelés par les vagues,
où chaque grain de sable, chaque rouleau, chaque ajonc
portaient encore dans leurs coeurs,
respect de la nature et hommage à la vie.

On raconte que des années durant,
afin de conjurer le sort,
les marins les saluaient
à chaque passage.
Ce rituel, digne d’un roi et d’une reine, n’est plus,
comme Miss Daphné Jugglery et Sir Mac Gray.
Depuis, je suis la mémoire vivante
de ces deux âmes, amis fidèles de l’harmonie.

Je suis Prudence Mac Gray, océanologue,
arrière-petite-fille de Sir Peter Mac Gray, guide passionné
qui doit se retourner dans sa tombe de granit…

Car aujourd’hui, sur la plage, à marée basse,
plus de crustacés qui font la fête,
mais un monde silencieux
où la mort règne sans pitié !
Les crevettes carburent au soda,
saoulées de nos cultures immatures !
Le ventre lourd, tenaillés par la fin,
les crabes en pincent pour les métaux !
Citoyennes, les huîtres sentinelles fabriquent
un collier de perles, future rivière de nos trésors trépassés !

C’est assez !
tempête le cachalot.

Dans les épuisettes, à marée haute,
prolifèrent d’ordinaires cueillettes
de créatures décomposées et d’oeuvres contemporaines à recycler !
Dans un tourbillon de grande consommation,
les oiseaux se piquent de ces pitances empoisonnées,
près des colonisateurs qui font leur toilette, sans pudeur !
Les poissons s’habillent d’arsenics culottes,
se couchent sur le dos, suicidés par leurs amis hommes pêcheurs !
Des déchetteries sous-marines squattent les grands fonds !
Philanthropes, les cétacés se chargent du tri sélectif !

C’est assez !
s’écrie le dauphin.

La mer, le coeur plein de bleus, ne décolère pas et houle de peur,
à en perdre la boussole, aiguillée par la folie des hommes !
Partout son âme fond en larmes, à l’assaut d’une terre promise !
L’amer se déchaîne,dans un climat de fin du monde, rien n’y résiste !
La vanité est omniprésente, tapie dans l’aridité humaine !
Aux rythmes des maux de l’océan, tous nagent dans la tourmente !
La nature domestique l’homme impi, corrompu par ses habitudes !
L’humanité met le cap sur sa survie,
l’esprit englué dans sa pauvreté !
L’homme deviendra t’il un jour plancton ?

C’est assez !
s’exclame la baleine.

Remplissez votre baignoire d’or bleu non filtré.
Ajoutez-y une poignée de sel de Guérande,
plusieurs mégots qui tuent,
quelques détritus et autres parasites,
une petite galette de pétrole,
un joli sac en plastique ;
et pourquoi pas, une pincée de salicornes,
les nuages d’un cidre artisanal,
un peu de caramel breton pour vous détendre !

Si vous n’êtes pas un mammifère champion de l’apnée,
porter un scaphandre est autorisé !

C’est la panique !

Vous en avez assez !

Les cétacés aussi…

Poème “Cétacés” – MOONATH © ND

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2 Commentaires
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alcaraz emmanuel
alcaraz emmanuel
Invité
29 juillet 2015 13 h 54 min

Un conte écolo de très grande qualité. Une poésie engagée , ou l’humour est présent. Des images fortes au service d’une bonne cause. Bravo!!!