Brouillard – Alain Salvador

Quand la possibilité s’offre à moi, je vais me noyer dans une brume épaisse, à couper au couteau, et me voici arrivé dans un autre monde, un environnement à part, où seuls les bruits de la ville peuvent encore me relier à la réalité, avant qu’ils ne s’éloignent pour enfin disparaitre et ne laisser place qu’au silence et aux bruits de la nature dont je me suis rapproché.

Le vent est absent et ne fait pas frémir les feuilles, il semble attendre, respectueux de ces brumes enveloppantes et ne pas vouloir les chasser, enfin pas tout de suite, car peut-être la nature a des secrets à cacher, des choses à dissimuler, et que de petits êtres, animaux ou lutins, transportent d’une cachette à l’autre, à l’abri des regards indiscrets.

Un brouillard dense, une purée de pois, d’ailleurs pourquoi ce nom, à part quand il se dissipe et laisse apparaitre le feuillage vert des arbres, car pour le reste… Mystère comme sont mystérieuses les formes nébuleuses, habitants de ce monde de grisaille, de bruits étouffés venant de je ne sais où, inquiétants quand ils me surprennent, craquements soudains et secs de ramifications cédant sous le poids du givre, vides de sève dans un hiver rigoureux.  Déchirements angoissants et sinistres de branches comme un écartèlement subi par un supplicié, qui n’a plus même la force de gémir, le corps si engourdi par le froid.

Des coassements se font entendre au loin, venus de quelques étangs perdus, mares d’eau inertes écrasées par ce smog étouffant.

Petits bruits à peine audibles de feuillages remués, de brindilles écrasées, conséquences du passage d’un animal heureux d’échapper à la vue d’un intrus, d’un être tel que moi qui n’a pas sa place en ce monde peuplé d’ombres et de fumées.

Des formes qui de plus en plus se dessinent, inquiétantes à mesure que je m’avance dans ce gros nuage tout droit descendu du ciel. Des géants fantomatiques encore enveloppés d’un voile épais pour dissimuler le plus longtemps possible leur véritable identité, tels des bandits masqués prêts à se jeter sur moi pour me dévaliser, voir m’assassiner, et faire de moi un nouveau spectre pour grossir leur rang de criminels aux visages blafards et menaçants.

Non, ils ne m’auront pas, pas encore aujourd’hui du moins, enfin je l’espère… J’allonge la foulée, accélère le pas, mais à quoi bon ! Ils sont si nombreux autour de moi, et je suis si petit à côté d’eux ! Mais que suis-je venu faire dans cet univers de blancheur sale, ai-je voulu revenir en arrière et retrouver le temps de mon enfance, à l’époque où j’aimais aller dans le train fantôme, marcher dans le château hanté, lorsque l’été la fête foraine m’entraînait dans son tourbillon de musiques et d’odeur de barbe à papa, de pralines et de crêpes chaudes.

Je les distingues beaucoup mieux à présent, est-ce le brouillard qui se dissipe ou sont-ils encore plus nombreux à m’encercler, à vouloir m’attraper de leurs immenses branches tentaculaires, piégeuses, acérées aux extrémités, au dense feuillage semblant vouloir m’étouffer dans une étreinte létale et douloureuse.

Ma seule planche de salut, c’est qu’ils sont bien enracinés et que ce sol gelé les retient prisonniers, jusqu’aux prochaines grosses pluies de printemps qui détremperont le sol.

Cette forêt si souvent parcourue je ne la reconnais plus, je n’y vois plus qu’à quelques mètres. De tout manière je suis tout de même mieux ici qu’enfermé chez moi entre quatre murs, cherchant de quoi m’occuper les mains et l’esprit, ou réfléchissant à une quelconque excuse pour ne pas me lever les fesses du canapé.

Un bruit de glissement régulier se fait entendre de plus en plus distinctement. C’est le chant du ru qui court non loin de là, caché sous son édredon vaporeux qui le couvre délicatement pour préserver le peu de chaleur qu’il lui reste.

M’approchant au bord de ce petit ruisseau qui plus loin viendra grossir les eaux de la Loire… Enfin grossir… Le mot est bien trop fort… Disons apporter sa modeste contribution au débit du Fleuve Royal, mon oreille perçoit s’opposant à la régularité du courant des petits clapotis, des notes comme pour rompre la monotonie d’une musique soporifique.

Ses eaux grises se confondent avec le brouillard. Peut-être est-ce le Styx que je vois couler là, qui bouillonnant des flammes de l’enfer au milieu duquel il coule émet en vapeur le spectre des damnés, condamnés à errer dans un monde de dédales, cernés à l’orée par des hauts buissons impénétrables et ne pouvant s’échapper vers les cieux, stoppés par le couvercle d’une épaisse frondaison.

Tout en poursuivant mon chemin, pour ne pas prendre froid par ce brouillard pénétrant, je me pose une question, pourquoi est-ce que j’aime tant le brouillard ? Pourquoi plus il est épais plus je m’y plais ?

Peut-être que le brouillard a une certaine similitude avec la vie, on la traverse et ce qui est devant on le découvre petit à petit, en avançant prudemment, pour ne pas se prendre les pieds dans des pièges cachés, ne pas s’aventurer par des chemins inconnus, incertains, pour ainsi s’égarer dans un univers qui n’est pas le notre, pour n’en émerger que très difficilement, si toutefois nous puissions nous en échapper…

Renaître de ce brouillard comme au sortir d’un rêve, cette incertitude de ce que sera le futur, tout comme l’est l’opacité du paysage m’entourant. Et là je fais le rapprochement entre mes rêves et le brouillard…

 

Lorsque le matin je m’éveille, quelquefois me reste en tête le brouillard d’une nuit où s’accrochent encore les souvenirs d’un rêve, scènes furtives ou intenses selon la trace qu’ils ont laissé en moi.

Quelques images, des paroles échangées avec un proche, présent ou disparu, un inconnu dont le visage s’est déjà évanoui. Quelquefois ces images ne sont plus très nettes, telles celles d’un très vieux film, où les couleurs ont passé.

Cet effort mental d’essayer de relire les pages de ce rêve qui demeure en mon esprit comme s’il voulait continuer à vivre, ne pas mourir prématurément avant d’avoir tout dit, tout donné, souvent s’avère payant. Je retrouve petit à petit des scènes, et un film se repasse dans na tête, je revois des images, je me souviens de quelques mots d’un dialogue, certain d’avoir oublié quelque chose mais aussi d’avoir gardé le plus important en mémoire.

Les rayons du Soleil commencent à percer cette brume, il vient de remporter une nouvelle fois une victoire sur un univers de sorcières et d’êtres maléfiques. Pour moi le charme se rompt, tout doucement, mon rêve s’enfuit et je vais devoir très vite me replonger dans ce quotidien où ma vie a beaucoup de mal à trouver sa place… Jusqu’aux prochains jours de brouillard.

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Alain Salvador

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Je suis né en 1956, et ai toujours eu le goût pour l’écriture.
Cependant je n’ai fait aucunes études , ni de lettres ou autre chose de bien gratifiant.
Je n’ai qu’un CAP de mécanique en poche et ma vie passée en usine , ma famille avec mes trois enfants, font que depuis ma retraite, j’ai repris du temps pour me consacrer aux mots.
On pourrait dire de moi que je suis plutôt un autodidacte.
Les quelques personnes à qui je fais lire mes textes me disent que j’ai une facilité d’écriture.
A ceux-là je leur réponds: ”ce n’est pas toujours aussi facile qu’il y paraît… ” Et pour l’orthographe, et bien je révise les règles…Il n’est jamais trop tard si l’on veut entreprendre quelque chose dans sa vie.

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5 Commentaires
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Jean-Marie Audrain
Modérateur
9 novembre 2020 12 h 01 min

Magnifique éloge du Blizzard du dalton et splendide narration de ta sortie du quai des brûmes. Ne pas aimer le brouillard sur la Seine ou la tamise ? De qui smog-t-on ?

Saber Lahmidi
Membre
8 novembre 2020 16 h 59 min

L’espoir vainc le brouillard.