Le coeur révélé – Armelle Barguillet

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Tandis que l’aube
déchire le voile du temple de la nuit,
attardé en ses ténèbres,
voilà que l’absent m’apparaît enfin.
A moi, qui me tiens à l’écart,
il offre sa main fraternelle.
Ai-je mérité son attention
ou sait-il que je l’attends depuis toujours ?
Il sait et je sais que ses yeux ne peuvent mentir,
que j’existe depuis longtemps dans son désir.

 

Nous venons l’un et l’autre de si loin,
lourds de nos tâches et de nos peines
et de ce passé qui s’étend à l’infini
comme une plaine.
Nul obstacle ne décourage
ceux qui tentent de se rejoindre.
Déjà nos lèvres se cherchent,
déjà se mêlent nos paroles
et un vocable s’instaure
qui dit ce qu’ensemble nous sommes,
lui le désir de mon attente
moi l’attente de son désir.

 

Ne doute pas mon ami, mon frère,
l’amour est autre qu’un songe vague,
que la promesse du jeune matin,
que l’eau du puits fraîche à notre soif.
C’est la relation sensible au coeur qui se révèle,
c’est la voie qui conduit à l’indicible.
Que je naisse de ton désir
comme tu nais de mon attente,
et que je ne puisse plus me mouvoir
que dans le rayon de ton regard
où je me veux à jamais captive.
J’ai laissé ce vide à mon côté
pour que tu y prennes place.
Installe-toi, mets-toi à l’aise,
que toute entière je t’appartienne.
A gestes lents et solennels,
apprends-moi comme je t’apprends,
car ni hier, ni demain,
ne pourront plus nous reconnaître.
Parce que tu as investi ma pensée,
qu’en secret tu y demeures,
que tu es lumière pour l’esprit,
source de chaleur pour le coeur,
parce que tu es l’absent le plus présent qui soit,
que le bonheur nous soit partage
et même l’absence de bonheur.
Le feu prend, l’âtre fume.
C’en est fini de mon attente.
Me vois-tu désormais
ton attentive, ta patiente ?
Le jour se lève à pas furtifs,
l’oiseau émet un cri posthume.
Soyons ensemble dans l’orbite
du Regard qui nous dépasse,
sur ces mondes qui gravitent,
éphémères et nomades.

M’entends-tu dire adieu
à ce qui tente de nous restreindre ?
Le temps n’exerce sa tyrannie que sur les incrédules
qui emboîtent son pas.
Où finit ce qui en nous finit,
où commence ce qui ne finit pas ?
L’espérance a-t-elle pouvoir de nous tromper et de nous perdre ?
Non, mon aimé, ne faiblis pas,
toujours vers elle les yeux tournés,
comme le passeur qui guette en vain
l’horizon qui, sans cesse, se soustrait.

Si d’autres mondes se découvrent,
c’est toi encore qui apparais,
aube sur ma vie recommencée.
Je suis bien quand tes bras me tiennent et me confortent,
que je m’accepte ton enchaînée aux seules chaînes de ton désir.
Mais puis-je aspirer à me confondre
sans briser l’élan qui me porte ?
Je ne le puis et je rends grâce.

Le jour s’approprie le ciel
qui a rincé jusqu’à l’écume des nuages.
Ainsi que des expatriés,
les pieds lourds d’une marche incessante,
nous rentrons chez nous, dans notre humanité
qui ne desserre pas son embrassement.
Assumons-là, jusqu’à ce que l’outre-temps
nous soulève dans sa houle, et osons dire
ce qu’avec elle et contre elle nous devenons.

L’éternité n’est qu’un fruit vert
et, en ce monde,
notre union ne peut aboutir,
à moins qu’en songe elle ne transgresse
la mesure invariable de l’être.
Ce sera le passage auquel nul ne déroge,
pas davantage l’homme oublieux
que les amants que l’on surprend enlacés,
tant ils craignent que l’épée du jugement ne les sépare.

Nous, qui rendons ce jour maussade plus clair,
notre amour est comme le message du feu, de la pierre et du vent !
Il est le sourire des jours perdus.
Non, la beauté ne sera pas défaite,
pas plus que l’amour rassasié.
Prends dans ma main ma main de femme
et ensemble poussons l’octroi de la ville-songe.
A l’abri de son enceinte,
on murmure que l’ineffable subsiste.
C’est ainsi qu’une certitude s’avance,
que, soudain, les peuples se recueillent.
Mon cavalier, emporte-moi !
Ta monture est ardente, nous irons loin.
Certains proféreront des sentences qui troubleront notre repos.
Elles nous indiqueront les choses qui n’ont pas franchi les seuils.
Elles souffleront un vent contraire et nous saurons, alors,
combien insignifiant est le poids du visible.
Donne-moi un baiser, emmène-moi,
aussi confondus que la parole à son souffle,
le crépuscule à sa nuit
et jamais autrement que nous-mêmes.

Nous étions seuls,
nous voici innombrables et tout recommence.
Soyons confiants, la mort ne nous touchera pas
de son aile sombre,
l’Amour n’a pas de sépulcre,
il est le Songe inconsolé de Dieu,
car, au-delà de nos attentes,
au-delà de nos désirs,

est la permanence de Son Coeur.

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 
Extraits de “Profil de la Nuit – un itinéraire en poésie

 

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Armelle Barguillet

Armelle Barguillet (15)

Écrivain et poète, j’ai à mon actif une quinzaine d’ouvrages, dont « Le chant de Malabata » couronné par l’Académie française et une étude sur Marcel Proust « Proust et le miroir des eaux ». J’anime depuis plusieurs années deux blogs : « Interligne », consacré à la littérature et aux voyages et « La plume et l’image », exclusivement au 7e Art. Je suis membre du Conseil d’administration du « Cercle littéraire proustien de Cabourg-Balbec ».

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4 Commentaires
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Aure
Membre
5 juin 2016 20 h 49 min

Un site de poésie
nous permet d’aller à la rencontre
de l’autre
le merveilleux autre
votre style
me touche
par son élan
sa force
et sa beauté

Véronique Monsigny
Membre
5 juin 2016 18 h 20 min

tout est très beau Armelle dans ce poème, mais j’aime particulièrement la dernière strophe… petit chef d’oeuvre !
“l’Amour n’a pas de sépulcre,
il est le Songe inconsolé de Dieu,
car, au-delà de nos attentes,
au-delà de nos désirs,
est la permanence de Son Coeur.”

Bravo !